dimanche 30 octobre 2011

A bas Halloween dans la llajta!

Le journal Los Tiempos de Cochabamba d'aujourd'hui nous pond un article ayant pour thème: à Cocha, nous ne fêtons pas Halloween, au contraire, les cultes traditionnels sont en pleine réactivation. Explication: traditionnellement, dans les cultures andines, la mort est un événement de la vie, parmi d'autres, et, contrairement à la plupart des religions, de coupe pas le lien entre les vivants et les défunts, ne représente pas une rupture. Régulièrement, on leur rend visite au cimetière, on allume des bougies dans les maisons chaque semaine, chaque mois, pour entrer à nouveau en contact avec eux. Il ne s'agit pas de l'épouvante, du frisson malsain de faire tourner les tables, un coup pour oui, deux coups pour non. Non, la mort, les morts ne font pas peur. Au contraire, leur présence rassure et réconforte. Malgré leur absence physique, ils sont toujours là. Le jour de la Toussaint catholique est aussi un moment de convergence entre christianisme et rituels andins, comme il en existe tant dans le calendrier. Les évangélisateurs ont toujours été très forts pour situer les fêtes catholiques au moment des célébrations ancestrales, la plupart du temps liées aux solstices, calquées sur le calendrier agricole. Tandis que les "croyants" se rendent à l'église et sur les tombes pour pleurer, les "païens", eux, accourent au cimetière les bras chargés de fleurs et des mets préférés de leurs petits morts adorés, afin de les partager avec eux, de réactiver le lien, paradoxalement de semer un peu plus de vie. Ce genre d'explication fait bondir et dresser les cheveux sur les têtes monothéistes, catholiques ou musulmanes avec qui j'ai pu en discuter. Pour eux, le mort est entre les mains de Dieu et c'est un domaine interdit. Impossible d'imaginer une seule seconde que le défunt puisse lui aussi devenir en quelque sorte un dieu, un esprit protecteur. Il est pourtant tellement réconfortant de les laisser revenir et de sentir la chaleur et le réconfort de leur présence, de leur ajayu (j'ai déjà expliqué ce mot ici) autour de nous.
Bref, l'article de Los Tiempos revendique cette conception des choses comme dominante dans la ville de Cochabamba, contrairement à la capitale La Paz (et hop, un coup de pied) dont le trafic est même totalement paralysé dans certaines grandes artères par tous les enfants qui demandent des bonbons habillés en sorcières. De même dans les quartiers riches ou Halloween est très implanté (et hop, deuxième tacle). La conclusion de l'article: cette fête andine est une fête de partage et de vie, de communication avec les morts, de joie de les retrouver, comment laisser entrer dans notre douce ville de Cochabamba les esprits maléfiques de cette fête nordique ancestralement en rapport elle-aussi avec l'agriculture mais pervertie par les Etats-Uniens (tacle les deux pieds en avant, mais à qui met-on le carton rouge?).

samedi 29 octobre 2011

La tombe d'à côté

Katarina Mazetti, Le mec de la tombe d'à côté, 2009.
Le titre résonne déjà en lui-même d'une originalité et d'un humour décapants. Il s'agit d'un roman en miroir, à deux voix, deux personnages totalement faits pour ne jamais se rencontrer, aux chemins parfaitements opposés. D'un côté, Benny, robuste agriculteur, célibataire, la trentaine, un peu plouc sur les bords, passant tout son temps dans sa ferme avec ses vingt quatre vaches laitières, ne sortant que rarement en ville, le parfait bouseux. De l'autre côté, Désirée, frêle et pâle citadine, bibliothécaire intello, adepte des plats surgelés et du théâtre contemporain, à l'appartement tout blanc, une vraie bobo. Chacun, très régulièrement, se rend au cimetière: Benny, sur la tombe de sa mère, Désirée sur celle de son mari. La présence de l'autre les agace, les dérange, et pourtant. Et pourtant un jour un sourire et les deux univers, et on parle vraiment d'univers bien distincts, se téléscopent. Commence alors une passion dans laquelle très vite l'incompréhension laisse place à l'insouciance. Chacun, individuellement, ne comprend rien à l'existence menée par l'autre ni à ses goûts, et aucun des deux ne cherche à se remettre en question et encore moins à faire ne serait-ce que l'ombre d'une concession. Et malgré les disputes, les différents et les attaques, ils reviennent toujours l'un vers l'autre. Les chapitres s'intercalent. Elle, son cynisme et sa ridicule fierté de femme indépendante; lui, sa rudesse et ses touchantes tentatives d'interprétation de sa belle. Peu à peu, les personnages de creusent, se mêlent, se complexifient et le roman sort de la comédie romantique par laquelle il avait semblé commencer pour s'interroger vraiment sur le choc des cultures, puisqu'il s'agit vraiment de cela. Cette histoire nous rappellera à tous une péripétie de ce genre dans notre vie, quand on sent que l'évidence est indéniable mais que tout nous oppose pourtant, et qu'aucun ne veut renier quoi que ce soit de ce qu'il est. On se rend alors compte qu'aucun compromis n'est possible, qu'aucune solution n'est envisageable et fatalement, on souffre. La fin du roman est à l'image de toute l'oeuvre, surprenante, originale, à méditer...

jeudi 20 octobre 2011

Les folles de la place de Mai

Qui n'a pas entendu parler d'elles, ces mères qui défilent chaque jeudi sur la Plaza de Mayo de Buenos Aires pour réclamer qu'on leur rende leurs enfants enlevés, disparus pendant la dictature argentine? Dès 1976, année du coup d'état, et au cours des années qui suivirent, la dictature militaire de Videla fit disparaitre, d'abord de manière "expérimentale" puis de manière organisée et systématique, tous les opposants au régime. Il s'agissait en général de jeunes gens, entre 20 et 30 ans souvent, qui croyaient encore qu'ils pouvaient dire non, dire stop et qui croyaient en un monde meilleur, à la démocratie. Le reportage qu'a diffusé France Ô hier était différent des précédents sur ce même sujet en ce qu'il ne retraçait pas de manière chronologique des faits historiques, qu'il ne faisait pas le portrait détaillé des disparus dans un style tragique et larmoyant. Au contraire, il s'attachait à montrer le travail des mères des disparus et par la suite de leurs enfants dont certains avaient été "adoptés" par des familles de militaires. D'autres de ces enfants ont été élevés par leur grand-mère, dans la faille constante et irréparable que leur a laissé l'absence de parents. Ce qui frappe, c'est de voir qu'aujourd'hui, en 2011, ces mères qui étaient dans la force de l'âge lorsqu'on a enlevé, torturé et assassiné leurs enfants, sont de petites grand-mères, cheveux blancs et lunettes double foyers, rides au coin des yeux et démarche fatiguée. Et pourtant... Et pourtant elles sont toujours debout. Elles disent elles mêmes qu'elles ont "20 ans de plus dans le corps mais 40 ans de mois dans la tête", parce qu'en elles vit à jamais le souvenir de leur progéniture disparue et qu'elles se sentent le devoir indiscutable de faire perdurer leur mémoire et de brandir haut leurs idéaux. Elles disent que ce sont "leurs enfants qui les ont enfantées", parce qu'avant tout cela, elle n'étaient "que des femmes au foyer qui ne connaissaient par grand chose", et que grâce à leurs jeunes leur conscience s'est éveillée, pour ne plus jamais s'éteindre. Lorsqu'elles prennent le micro, les années s'effacent effectivement et la voix rauque ne tremble pas, à force de répéter ce discours de justice et de liberté depuis des décennies. Ce sont elles, et maintenant aussi leurs petits enfants regroupés dans l'association HIJOS, qui brisent définitivement la loi qu'on avait appelée "point final, obéissance, pardon" et qui avait de fait mis un lourd couvercle sur toutes les exactions commises pendant la dictature. Les mères "de la plaza" et leurs petits enfants refusent ce silence et le font savoir en menant des actions retentissantes, comme par exemple des "escraches" à répétition. Il s'agit d'organiser un grand rassemblement devant la maison de l'un des ex tortionnaires qu'ils ont localisé et de lui montrer avec des cris, des slogans, des chansons, des tags, que les coupables ne dormiront plus tranquilles, qu'ils ne cesseront de les harceler tant qu'on ne les aura pas jugés. Il s'agit également d'alerter le voisinage et plus généralement l'opinion publique, celle d'un pays qui, bien des années plus tard, a encore peur. Traque des tortionnaires, recherche de documents révélant l'emplacement des centres clandestins de détentions, mais aussi recherche des enfants volés, "adoptés" par la dictature, et surtout soutien, partage, espoir et lutte permanente. Pour les jeunes que l'on a privés de parents, cette force commune est d'une importance capitale. Tous portent une plaie béante en eux, impossible à refermer, une grande tristesse, un évident sentiment d'injustice, de la colère qui va parfois jusqu'à la haine. Beaucoup d'entres eux parviennent à exorciser ces sentiments dans la musique et en particulier dans le rock, aux paroles aussi assassines que ceux à qui elles s'adressent. Les mères de la plaza de mayo, dans un mouvement d'amour infini, partagent maintenant la scène de leurs manifestations avec ces groupes de rock, non pour se faire de la pub ou pour surfer sur une mode musicale, mais essentiellement parce qu'elles croient en ces jeunes et en ce qu'ils sont l'avenir de l'Argentine, ceux qui permettront qu'un jour la vérité éclate au grand jour et que les coupables soient jugés, et qu'enfin leurs enfants soient réhabilités. L'Argentine, un pays encore blessé et traumatisé par une histoire de violences et de déchirements.

mardi 18 octobre 2011

Les caprices d'un fleuve

Etant fan de Bernard Giraudeau, je me devais de voir enfin son film, Les caprices d'un fleuve, tourné en 1996 au Sénégal. Brièvement, résumé: le personnage joué par Giraudeau tue un adversaire au cours d'un duel et part en exil dans un comptoir en Afrique. Nous sommes en 1787, à la veille de la Révolution. L'esclavage bat son plein et le commerce triangulaire est à son apogée. Au fur et à mesure de sa découverte de cet autre monde, le protagoniste, au début indifférent au sort des populations locales et acquis à la cause française, s'éveille peu à peu à la réalité. Il découvre les paysages et les hommes, surtout les femmes, la crauté du régime infligé aux noirs et l'absurdité du système esclavagiste, la corruption des représentants de l'Etat et de la monarchie elle-même. Peu à peu, on le voit passer de la distance à la proximité, du dédain à l'intérêt et finalement de l'humanisme à la passion. C'est d'abord une femme qui le fait naître à cette fusion entre les êtres, puis une esclave qu'il a recueillie enfant et qu'il protège par la suite comme sa propre fille. L'amour filial se fait amour tout court. La fin du film évoque les événements post révolutionnaires et l'importance du virage pris par l'existence du personnage au cours de ces années d'exil africain. J'avais lu certaines critiques qui, avec ou sans jeu de mots, avaient trouvé que l'oeuvre de Giraudeau était un "film fleuve". Pour ma part, en presque 2 heures je ne me suis pas ennuyée une seconde. Peut-être que si j'avais vu le film avant de lire les livres de l'auteur et de voir ses documentaires la chose aurait été différente. Mais j'ai trouvé hier que le style Giraudeau était omniprésent et l'ai retrouvé comme une série de clins d'oeil: l'échange épistolaire lu à deux voix avec la femme aimée restée en France; certaines scènes un peu crues, d'autres très poétiques mais la réalité toujours dépeinte au plus près de ce qu'elle est, cruelle et magique à la fois; la manière de filmer comme la manière d'écrire, partant des regards entre les gens et de leur façon de se regarder les uns les autres; la musique omniprésente, ici métissage du clavecin et d'une magnifique voix africaine. Les caprices d'un fleuve n'ont à mon avis rien du film tout en longueurs que l'on a bien voulu décrire. Au contraire, c'est un magnifique arrêt sur images sur l'histoire, une photographie de l'esclavage sans jugement à l'emporte pièce, un hymne à l'humain dans ce qu'il a de plus laid et de plus beau, loin de la niaiserie d'autres navets sur la tolérance entre blancs et noirs. A cela une seule raison: lorsqu'il parlait de ce partage et de cette fusion charnelle et culturelle entre les hommes (et parmi eux les femmes, vénérées), Bernard Giraudeau, qui vogue maintenant sur d'autres fleuves, savait de quoi il parlait.

vendredi 14 octobre 2011

Christophe Colomb toujours vivant

Le journal Los Tiempos de Cochabamba du 13 octobre nous révèle l'existence d'un autre Colomb, Cristobal Colon de Carvajal, descendant du célèbre navigateur. Espagnol, amiral de la marine espagnol, il affiche avec fierté le titre d'Amiral des Indes hérité de son ancêtre. Jusque là, l'article du journal bolivien nous fait plutôt sourire, nous laissant même imaginer les quiproquos originés par un tel nom, notamment au moment de remplir des formulaires administratifs. "Mais oui, et moi je suis la reine d'Angleterre!", passons. Mais on se rend vite compte que le fait de nous parler de Christophe Colomb un 13 octobre, lendemain du 12, "dia de la raza" (déjà, ce mot fait peur) qui célèbre la "découverte" de l'Amérique, n'est absolument pas dû au hasard. En effet, rien de réellement foklorique dans ce personnage, depuis des siècles la perception de l'histoire et de l'Autre n'a pas du tout évolué. Tout d'abord, on sait maintenant que des blancs avaient débarqué et fait des petits en Amérique bien avant que Totof n'y mette ses guettres: Vikings cherchant à tisser des liens commerciaux ou encore embarcations venues d'Océanie. Et bien non, l'idée, largement diffusée et imposée en Espagne, selon laquelle c'est Christophe Colomb qui a découvert le nouveau continent n'a pas pris une ride. Selon cette manière d'interpréter l'histoire, avant les Espagnols, le néant, après eux, une révélation. La lignée de Colomb se perpétue donc toujours et depuis des siècles sous le signe du héros, signe qui se perpétue d'ailleurs jusqu'à nos jours, puisque le défunt père de notre actuel Christophe, celui évoqué par le journal bolivien, serait mort dans un attentat de l'ETA; mort pour la Patrie, en quelque sorte, je passe sur l'idéologie que l'on veut faire transparaître ici.
Ce qui n'a pas changé non plus chez les Colomb et par extension dans la mentalité espagnole, outre le sentiment d'être LA nation élue qui a été choisie pour "civiliser" le monde, c'est le sentiment de supériorité sur les peuples conquis et le mépris pour ceux-ci. Ici, le Colomb contemporain en rajoute une couche en manipulant l'humiliation avec ce qu'on pourrait quasiment prendre pour de l'ironie mal placée. Evidemment que les espagnols n'ont jamais disciminé les populations indigènes, la preuve, il nous dit sans vergogne qu'il "descend de Moctezuma". Oublie-t-il que la plupart des enfants métisses de l'époque de la colonisation étaient nés des viols des femmes indigènes par les blancs assoifés d'or et de chair fraiche? Oublie-t-il les conversions forcés et l'esclavage, le travail dans les mines jusqu'à la mort et les massacres? Son discours consiste en résumé à nous dire qu'évidemment les conquistadors n'étaient pas tous des anges, mais qu'il ne s'agissait que d'une poignée d'énervés. Ne généralisons pas, donc... Une poignée de blancs aurait-elle suffit à provoquer les 8 millions de morts dans les mines de Potosi? Bravo, bel effort civilisationnel. Et notre ami Christophe des temps pas si modernes que ça de nous sortir un argument imparable pour justifier ces événements selon lui à peine fâcheux: "les grands empires américains se maintenaient grâce à l'esclavage et des sacrifices humains d'une étonnante cruauté". Ou comment justifier la colonisation par la violence des autres. Cela ne vous rappelle rien? Les catholiques sauvant les pauvres indigènes de la sauvagerie polithéiste, les français civilisant l'Afrique, les Etats-Uniens menant des opérations guerrières contre les peuples martyrisés par la barbarie de l'islam... Même combat, même sale sentiment de supériorité et même bêtise de se comporter toujours de manière plus violente que ceux que l'on veut soit disant combattre.
Hier, en parlant de ces histoires de Colomb et de colons en classe, l'une de mes élèves d'origine africaine me dit: "moi madame, je n'ai jamais compris pourquoi ces pays, comme la France par exemple, n'ont jamais demandé pardon pour tout le mal qu'ils avaient fait". C'est en effet d'un côté une blessure jamais refermée, parfois une plaie béante (Christophe Colomb dans Los Tiempos s'interroge béatement sur le fait qu'en Bolivie on ne vénère pas son ancêtre. C'est pourtant clair comme de l'eau de roche) alors que de l'autre côté de l'Atlantique l'idée court toujours que l'on devrait au contraire remercier les espagnols pour leur action de libération des peuples indigènes de la sauvagerie de leurs empires autoritaires et sanglants. Affirmer que les grands empires ne représentaient pas le paradis que l'on a bien voulu décrire n'est pas totalement faux. On sait bien que les peuples soumis par les Incas ne l'avaient pas été avec des fleurs et qu'ils en gardaient une grande rancoeur. Mais qu'importe? Ces Etats n'étaient-ils pas souverains? On parlerait aujourd'hui de droit d'ingérence. A l'époque, c'était bel et bien une invasion. Personne ne semble encore en prendre la mesure et c'est bien triste.

jeudi 13 octobre 2011

La petite Provence

Tout près des arènes de Lutèce, dans un quartier paisible de Paris, une adresse toujours au top, petites tables mais grandes assiettes, cuisine ambiance comme à la maison, excellent mais sans chichi, bien présenté mais pas snob, familial mais fin, bon marché mais savoureux et parfumé à s'en lécher les babines. Bref, à noter dans la liste des petits restos parisiens qui laissent un grand souvenir. Le lapin à la provençale est divin et la mousse au chocolat vraiment superbe (et pourtant, en matière de mousse au chocolat, je suis difficile, parce que je trouve que celle de mamie est évidemment imbattable. Et bien là, j'avoue, je suis sous le charme. Quand à la tarte aux pommes toute chaude... Je vous laisse deviner!).
LA PETITE PROVENCE
RUE DU POT DE FER
PARIS 5ème

lundi 10 octobre 2011

Le chocolat

Depuis des années on me parlait de ce film. Comme souvent, j'ai attendu 10 ans avant de regarder l'objet en question. L'idée de départ est assez banale: Vianne s'installe avec sa fille, au début des années 60, dans un petit village français sans histoires et ouvre une chocolaterie. Jusque là, je n'étais pas extrêment emballée par ce thème vu et revu du refus ou de l'acceptation de l'étranger, de l'autre différent, dans une communauté. Le film a vraiment commencé à m'intriguer lorsque des références au Mexique s'y sont glissées et que la véritable histoire du personnage joué par Juliette Binoche s'est révélée. D'origine indigène, on suppose du Mexique, Vianne suit le destin des femmes de sa lignée qui les pousse à être nomades, à suivre le vent du nord, tout en possédant cette capacité quasi magique de se servir du cacao pour faire révéler les désirs profonds des gens. Leur boisson fétiche: du cacao amer relevé avec du piment rouge. Immédiatement, je me suis mise à penser au roman de Laura Esquivel, Como agua para chocolate, dont j'avais déjà fait le commentaire ici. Cette utilisation originale de la cuisine, ce pouvoir presque magique de l'art culinaire de lire dans les pensées des gens et révéler ce qu'il y a de plus enfoui, de refoulé dans l'être humain est tout à fait le lien entre le roman et ce film. Par ailleurs, d'autres symboles très forts m'ont marquée, comme par exemple le fait pour l'héroïne de ne jamais pouvoir rester en place, d'être poussée par ce vent du nord qui l'invite toujours à aller voir ailleurs, à changer de vie, toujours guidée par le souci de réconcilier les gens avec leur moi profond. Une sorte de mission. Et puis, vers la fin du film, Vianne voit par accident se casser le récipient en terre dans lequel elle gardait précieusement les restes de sa mère. Les cendres se dispersent sur le sol, signe que cet héritage familial féminin était bien un poids pour elle et qu'elle le faisait supporter à sa fille. Fatalité de la transmission, difficulté et erreur de porter des fardeaux qui ne sont pas les nôtres. Plus tard, Vianne finit par laisser s'échapper par la fenêtre, dans le vent du nord, le reste des cendres de sa mère qu'elle avait réussi à récupérer. Le cercle est brisé, elle se libère enfin de son passé et peut regarder sereinement vers l'avenir. Un film donc qui par moments fleure bon le romantisme pour jeunes filles mais qui par ailleurs renferme un message beaucoup plus profond et interroge chacun de nous, c'est vrai, plutôt chacune, et nous pousse à nous demander quels sont les fardeaux que nous portons et qui ne sont pas à nous, jusqu'à quel point notre vie est-elle encore guidée par le fatalisme d'un destin familial que nous ne parvenons pas à briser. Une sorte de conte mi fleur bleue, mi philosophique, un peu magique aussi, sur les femmes et leur combat pour être libres.

dimanche 9 octobre 2011

L'alcool en Bolivie

Mais sur quel terrain glissant se lance-t-elle?, diront certains. Certes, le sujet semble tabou, mais ô combien vaste. En effet, il ne s'agit pas d'un article sur l'alcoolisme, mais bien sur l'alcool, chacun jugera de la nuance, s'il en est. Car l'alcool en Bolivie touche des domaines variés et connaît différentes utilisations, porte différents symboles.
Partons tout de suite vers l'aspect rituel de la boisson alcoolisée. Lors des cérémonies indigènes d'offrandes aux divinités, que ce soit la Pachamama, la terre mère, ou bien le Tio, diable de la mine, en passant par les apus ou divinités des montagnes, l'alcool est omniprésent dans tous les rituels, servant de petite gourmandise offerte aux dieux pour solliciter leur bienveillance. Le rituel n'étant pas unilatéral mais réciproque, le partage est de mise. Les participants à la cérémonie doivent donc sacrifier au rituel, non sans avoir copieusement arrosé les quatre points cardinaux, de s'humidifier le gosier dans une action de partage avec la divinité en question. Il en va de même avec la religion catholique et avec une vaste panoplie de saints dont les vertus s'assimilent à celles des forces protectrices de la nature, ainsi qu'avec tout une serie de Vierges qui sont elles associées à la fécondité de la Terre Mère. Tout ce petit monde a également droit à ses offrandes et à sa dose d'alcool. Le but étant de donner plutôt des alcools forts, puisque selon les indigènes, il ne faut par exemple pas habituer la Pachamama aux boissons trop sucrées, elle risquerait d'en demander plus qu'il n'en faut et d'en devenir gourmande.
Lors de grandes fêtes religieuses et/ou folkloriques comme le sont le Carnaval de Oruro ou encore Urkupiña à Cochabamba, le 15 août de chaque année, l'utilisation rituelle de l'alcool se fait à grande échelle et devient l'un des éléments clés de la fête. Lors des rituels de Urkupiña par exemple, les habitants de Cochabamba, et de toute la Bolivie d'ailleurs, viennent se faire "bénir" ainsi que leurs possessions (maisons, voitures etc...) actuelles ou souhaitées, en se faisant copieusement asperger par les hommes et femmes aptes à diriger cette cérémonie très païenne. Cette fois, ce ne sont plus des célébrations ponctuelles et isolées mais bien des bénédictions par centaines, un rituel à grande échelle dans lequel l'acool tient encore une place centrale. Pour ce qui est du Carnaval de Oruro et d'autres fêtes fokloriques, les marques nationales de bière (Huari, Paceña, Taquiña) jouent souvent le rôle de sponsors, profitant ainsi d'une publicité très largement diffusée, entretenant une réputation qui n'est pourtant plus à faire.
Voici les aspects de l'alcool que mettent en avant tous les boliviens, soucieux de diffuser leur culture et d'affirmer le rôle rituel des boissons alcoolisées (essentiellement bière, chicha, c'est-à-dire boisson à base de maïs fermenté et eau de vie). Pourtant, tout n'est pas si simple et les dérives sont fréquentes.
Ainsi, lors des rituels miniers par exemple, ou encore lors du Carnaval, l'alccol déborde de sa fonction d'ingrédient rituel. C'est ainsi que l'on peut lire dans les journaux les incidents parfois comiques, parfois tragiques qui ont eu lieu à l'issue de certaines fêtes ou rassemblements fokloriques. Pour ce qui est des mineurs, il n'est pas rare, en se promenant dans les faubourgs miniers qui surplombent la ville de Potosi, de rencontrer des hommes ivres morts, allongés sur le sol, en plein après midi. Le San Lunes (le "lundi saint") est même une institution dans les villes minières et consiste à prolonger le week end jusqu'au lundi soir afin de récupérer des excès des jours précédents.
Mais il n'y a pas que dans les mines que l'alcool fait des ravages, et pas que chez les hommes non plus. Combien de fois, en passant devant une "chicheria" de Cochabamba (une sorte de troquet où on peut boire de la chicha tout en écoutant de la musique, souvent très forte), ai-je vu des femmes cramponnées à leur table, déjà ivres, leurs enfants tout près d'elles, la déchéance sous les yeux. Pour ce qui est des transports, le bilan n'est pas beaucoup plus positif. Pourquoi le cacher et continuer à diffuser une pseudo vérité? Certes, les routes boliviennes ne sont pas des autoroutes aussi lisses qu'en Europe et pour certaines comportent effectivement quelques virages dangereux. Mais j'ai pu l'observer, les chauffeurs de taxis sont  pas exemples des as du volant et les boliviens, en général, de bons conducteurs. Non, ce qui provoque un si grand nombre d'accidents mortels sur les routes, ce n'est pas l'état de celles-ci, mais bien celui des conducteurs, de bus notamment. Le sujet est bien connu, chaque bolivien, en grimpant dans un bus pour effectuer une grande ligne, scrute avec attention le visage du chauffeur pour s'assurer de sa sobriété.
Mais comment faire comprendre à certains que l'alcool est nocif quand on sait l'importance de son statut d'ingrédient rituel et donc sacré? Comment parvenir à différencier cet aspect traditionnel et culturel de l'idée selon laquelle l'alcool est indispensableà une réunion entre amis ou un repas de fête? Comment tracer la limite entre offrande rituelle lors d'un mariage ou du Carnaval et ivresse générale et incontrôlée? En Bolivie, les campagnes contre l'alcool au volant ne datent par exemple que de 2010 et je ne suis ni sûre de leur efficacité, ni certaine qu'elles n'aient pas été totalement abandonnées. Comme en France, l'alcool rapporte et personne n'a intérêt à ce que les ventes diminuent. Les brasseries nationales verraient leur chiffre d'affaire diminuer et les rassemblement folkloriques leur affluence se réduire considérablement. Qui aurait intérêt à cela, à part peut-être les jeunes filles violées, les enfants battus ou les femmes brûlées à l'acide? Mais s'en soucie-t-on vraiment? En minimisant ces crimes et ces débordements dûs à l'alcool, les boliviens décrédibilisent par la même occasion leur culture et leurs rituels et risquent de devenir aux yeux du monde un "peuple d'alcooliques". Reste à trouver la juste mesure...

Filet de canard aux figues

Filet de canard aux figues
Pour 4 personnes:
1 carotte
1 tomate
6 figues fraiches
2 filets de canard
1 cuillère à café de miel
1 cuillère à soupe de vinaigre de cidre à la canneberge
1/2 cuillère à café de cannelle
Sel, poivre
Découper en tout petits morceaux la carotte et la tomate. Les faire confire à la poele dans de l'huile d'olive. Ajouter le miel, et les figues découpées en quartiers pas trop gros. Laisser caraméliser. Déglacer avec le vinaigre et réserver.
Dans la même poêle, faire cuire les filets de canard découpés en tranches assez fines, salées et poivrées, dans un peu d'huile d'olive et le jus restant de la préparation aux figues. Une fois que les filets sont sur le points d'être cuits, remettre la préparation figues/carotte/tomate et laisser mijoter pour la canard s'imprègne des parfums.
Servir de suite, pourquoi pas avec une purée de chou fleur au curcuma.
Le canard mêlé au sucre des figues et du miel, à la légère acidité du vinaigre et relevé de cannelle, de quoi s'évanouir en direct! Je l'avoue en toute modestie, l'une de mes meilleures créations!

vendredi 7 octobre 2011

Elles n'ont pas la langue dans leur poche

Tiens, cela faisait longtemps, cher lecteur, que je ne t'avais pas parlé boulot. Je sais, tu vas me dire, le boulot, toi, pour ce que tu en sais... Et l'éternel refrain sur ces feignasses de profs. Comme chaque année (et là tu vas me dire eh bien, tu ne te renouvelles pas beaucoup!), je tente de faire faire un tour de l'Amérique Latine à mes élèves d'option 3ème européenne, à travers l'art, la poésie, la peinture, le cinéma et évidemment la musique, sinon ce ne serait plus moi. J'ai commencé par les Etats-Unis et la culture "chicana" des mexicains immigrés, qui vivent "dans le monstre", comme l'aurait dit José Marti. Je travaille sur le poème "She" de Sergio Elizondo, qui mêle espagnol et anglais, qui raconte en spanglish le quotidien bipolaire (privé/public, maison/travail, intime, sentiments/concret) d'une jeune fille. Ensuite, je jette mes élèves à l'eau en leur donnant comme seule consigne de me produire un poème bilingue, espagnol et une autre langue, de préférence celle qu'ils parlent chez eux. Certains cette année ont été totalement bloqués et n'ont pas pu écrire en arabe, ont préféré l'anglais ou même l'allemand, histoire de ne pas se livrer, de détourner le problème. D'autres en revanche ont joué le jeu et le résultat est incroyable. Je vous livre quelques uns de ces poèmes polyglottes, comme je les appelle, entre introspection, retour aux racines, affirmation de convictions ou création totale (l'une de ces jeunes filles, fan de mangas, dessinatrice hors pair, apprend le japonais toute seule chez elle... je rappelle qu'elles n'ont que 14 ans... )
"De kono kawa yume
Sora wa yume anata no
En este rio de flor
sakura kaze no naka e
Estos ojos ven la belleza
que esta en nosotros
tu espiritu es del color
del arco iris"
(Dans cette rivière de rêve, elle rêve de toi / dans cette rivière de fleur/ les fleurs de cerisiers volent au vent/ ces yeux voient la beauté qui est en nous/ ton esprit est de la couleur de l'arc en ciel)
"Viva Donia!
Me gusta esta tierra
Le cunt el ouhel
yo viajaria por el mundo
yo cantaria con mi voz
el ard douribet bil ahasir
estos rios donde encontramos nuestras risas y nuestros dolores
nhab el ard, el wardetou lhalem
y este amanecer infinitamente cariñoso venido del este
ah limada nehki hada?
Porque me encanta esta tierra
viva Donia!"
(j'aime cette terre/ si j'étais un oiseau je voyagerais à travers le monde/ je chanterais avec ma voix/ la terre fouettée par les tempêtes/ les fleuves où nous trouvons nos rires et nos peines/ j'aime cette terre, ces fleurs et ce monde/ et cette aube infiniment tendre venue de l'est/ ah, pourquoi je raconte cela? parce que j'aime cette terre/ vive la vie!)
"La revolucion
L'abed ykhafou y jianin
luchan por la libertad
t'alkou al khobs
luchan por el dinero
ir al khedma
yistena barcha por la libertad
i'moukiou alla bledom
son valientes
son pacientes
viva la libertad!
viva la révolucion!"
(les gens ont peur et faim/ ils se battent pour la liberté/ ils se battent pour le pain/ ils se battent pour l'argent/ aller au travail/ ils attendent beaucoup, pour la liberté/ ils meurent pour leur pays/ ils sont courageux, ils sont patients/ vive la liberté! vive la révolution!)
Un petit air de "printemps arabe" dans la classe et peut-être de futures Prix Nobel de la paix... ou de poésie!

jeudi 6 octobre 2011

Captive

Clara Rojas, Captive, 2009.
Elle a été séquestrée pendant 6 ans par les FARC dans la jungle colombienne et elle a la force de nous livrer ce témoignage, d'opérer un douloureux retour en arrière pour nous faire partager ses souvenirs, ses peurs, ses espoirs, ses douleurs et ses combats quotidiens. Clara Rojas, à l'époque, en 2001, était la directrice de campagne de la candidate à la présidence Ingrid Bétancourt qui dirigeait le Parti Verde Oxigeno. Ces deux là étaient liées par une même volonté, une amitié sincère qui n'a pas résisté à la captivité et a très vite littéralement explosé. On connaît Clara Rojas parce qu'elle "a eu un enfant dans la jungle". Tous les médias s'étaient emparés du sujet, spéculant sur le nom de père et les circonstances de cette grossesse. Viol? Histoire d'amour? Le livre ne répond surtout pas à cette question, cela demeure de l'ordre du privé, de l'intime et c'est très bien ainsi. Ce qu'il en reste, ce sont les heures, les semaines, les mois, mêlés de courage, de joie intense, de souffrance extrême, psychologique et physique, la torture mentale et corporelle d'accoucher seule, sans famille, au milieu de nulle part, sans assistance médicale, au bord de la mort. Ensuite, on sait toute l'aventure de cet enfant miracle, Emmanuel, enlevé à Clara alors qu'il n'a que 8 mois et qu'elle ne reverra que 3 ans plus tard, à l'aube de ses 4 ans. Comment survivre à l'insoutenable, la séparation, l'arrachement de l'enfant à la mère? Clara nous parle énormément de sa foi. Catholique pratiquante avant l'enlèvement, elle le reste, le revendique et creuse son sillon spirituel pendant ses 6 ans de captivité. Croyant ou pas, catholique ou pas, on accepte volontiers que c'est cette foi sans bornes en Dieu qui lui a permis de rester debout quand la folie la guettait. Car à quoi d'autre se raccrocher? A rien. Les guerrilleros sont loin d'être dépeints comme des sauvages sanguinaires, mais ils restent des ravisseurs, des hors la loi, des voleurs de vie. Certains otages de l'époque de Clara Rojas y sont d'ailleurs toujours. Elle, elle dit qu'on lui a volé des années de sa vie. L'épreuve est morale, physique aussi. Marcher, changer de camp, avancer pendant des jours à travers la jungle humide, mouillée jusqu'aux os, dormir dehors, sous la lune, entourée de fourmis, de serpents, de moustiques. Lutter contre le paludisme, l'absence de communication, avec le monde mais aussi avec les autres otages. L'autre point qui a été largement repris par la presse, outre la naissance de son enfant, ce sont les relations avec Bétancourt. Tout l'inverse de ce qu'Ingrid a bien voulu raconter. Des conflits à revendre, des semaines de silence, du mépris, de la colère, de l'ignorance. On a envie de pencher d'un côté plutôt que de l'autre, et puis on se raisonne: comment ne pas changer de personnalité, ne pas devenir autre, fou, dans cet enfer vert, entourée de ses hommes armés jusqu'aux dents, harcelés par les hélicoptères de l'armée, quand d'une seconde à l'autre tout peut basculer. Enfin, Clara nous parle de sa libération, de Chavez, très polémique également, encore un peu sombre dans les détails. Mais ce n'est pas ce que nous retenons de ce livre. C'est plutôt, loin de la politique et de la folie des hommes, l'épopée d'une femme forte, d'une héroïne qui ressemble malheureusement à tant d'autres en ce moment dans le monde.

lundi 3 octobre 2011

Los Jairas y El Trio

Maria Antonieta Arauco, Los Jairas y El Trio Dominguez, Favre, Cavour, 2011.
Je viens de terminer la lecture du livre. Je viens de comprendre. Quoi? En fait, à peu près tout. Tout, du début, des origines, du pourquoi, jusqu'au comment, à aujourd'hui, à moi-même. Je suis en train d'écouter le CD qui vient avec cette première édition de l'ouvrage. Des souvenirs. Et pourtant... Et pourtant, comme on dit souvent, "ce n'est pas ma génération", "je n'étais pas née". Cavour, Favre, Joffré, Dominguez, Godoy, ces noms me semblaient bien lointains dans une histoire embrumée de la musique bolivienne. Ces mêmes noms que mes amis mentionnaient à chacune de nos rencontres, je l'avoue, ne me disaient rien, ou pas grand chose. Et puis, j'ai rencontré la Bolivie d'un peu plus près. J'ai joué un morceau sur une scène de Montpellier, un soir, avec le charmant et mythique Julio Godoy. J'ai côtoyé, au détour d'un Festival du Charango à Paris, le sensationnel et l'inégalable Cavour et son charango, charanguito, quirquincho. Déjà, depuis de nombreuses années, j'écoutais les chansons et la guitare frissonnante d'Alfredo Dominguez. Je connaissais le nom de Jean Vidaillac, Sagarnaga, de loin. Il ne manquait plus que ce livre pour rassembler les pièces du puzzle et leur donner leur cohérence: los Jairas y El Trio. J'ai dévoré, emmaganisé, me suis étonnée, ai relié les événements et les époques, déchiffré les minuscules notes de bas de pages, ai épluché les coupures de presse, tout ce travail minutieux, de longue haleine, passionné qu'est celui qu'a réalisé Maria Antonieta Arauco. J'ai découvert l'étonnante histoire de la création de la Peña Naira, à La Paz, par le suisse Gilbert Favre à son arrivée du Chili. Berceau de los Jairas, antre de la naissance d'une nouvelle musique, du néo folklore. J'ignorais d'ailleurs (j'ignorais tant de choses avant cette lecture) que la Peña Naira était à l'origine une galerie d'art créée à l'initiative, entre autres, du célèbre sculpteur et peintre bolivien Jorge Carrasco, très connu en France notamment pour l'oeuvre de sa vie, la chapelle du village du Menoux, dans la Creuse. La Peña Naira... On dit même que le Che s'y serait rendu en 67, avant que tout ne commence en Bolivie, ou ne finisse, tout dépend. J'écoute et je réécoute ce disque qui fait partie du livre. Quelle modernité; ou bien devrais-je dire, on n'a pas fait mieux depuis. Cette introspection au coeur de la musique traditionnelle bolivienne, pour en faire jaillir un folklore de haute altitude, puissant et puisé au fin fond des tripes de chaque musicien et de sa terre. Et je me rends compte que toutes ces chansons, moi qui pensais les ignorer, qu'elles n'étaient "pas de mon époque", je les connais toutes. Pas quelques unes, au passage, non, TOUTES. Au fond, lorsque mes amis me racontaient la naissance de leur passion pour la musique bolivienne, El Gringo, Cavour, Los Jairas, je restais interrogative. Je viens de réaliser que los Jairas sont aussi à l'origine de mon histoire d'amour avec la Bolivie. Parce que leur style inimitable à été repris par tous les autres groupes, à travers les décennies. Parce que les chanteurs se sont inspirés et qu'à travers leur chant, c'était toujours la voix de Yayo Joffré qu'on entendait. Parce que la quena de Favre n'a pas trouvé d'égal dans sa mélancolie et cette capacité à nous faire danser et trembler en même temps. Parce qu'après avoir joué quelques temps dans le Grupo Sagarnaga de Paris, en réécoutant encore et encore ces chefs d'oeuvre musicaux dans mon casque pendant que je vous écris, j'y trouve la trace de cette volonté que le groupe français avait de jouer tel ou tel morceau à tel ou tel rythme, de telle ou telle façon, parce que dans leur inconscient flottait toujours un air de los Jairas qui les entêtait et les empêchait de renier le sillon que Cavour, Favre et les autres avaient si bien su creuser. Que dire de plus sur ce livre, sinon se dire qu'on a peut-être, sans doute, raté quelque chose, si on est né après Los Jairas. Mais que malgré tout, il y a justement un avant et un après, un après au temps indéfini, à l'empreinte à jamais gravée, de la Bolivie à l'Europe, de La Paz à Genève, à Paris et au monde entier. Et je comprends tout. Je comprends maintenant pourquoi ceux que je disais rétrogrades continuent depuis des dizaines d'années de jouer les mêmes morceaux de la même façon (non que cela me plaise, à moi, en temps que musicienne): comment chercher à innover ou changer lorsque la perfection a semble-t-il déjà été atteinte? Nostalgie? Sans doute. Immobilisme. Peut-être également. La musique bolivienne a de son côté beaucoup évolué, expérimenté, s'est reniée et pervertie aussi parfois, mais a de toute façon avancé. Qu'ont de commun Los Jairas et Alcoholica? Je me demande. Mais il y a forcément un lien, peut-être justement le désir de mouvement que les premiers ont permis dans le paysage musical national. Est-ce que le métal bolivien existerait si Los Jairas n'avaient pas révolutionné la musique bolivienne?

La chute de la Druise

Premier octobre dans la Drôme. Rien de tel pour profiter des derniers jours d'été que d'aller vers le sud, dans cette belle région entre Provence et Vercors, entre montagne et champs de lavande. Nous sommes déjà en automne et pourtant on dirait que le temps s'est arrêté sur le beau, que la pluie et le froid ne passeront plus jamais par ici. C'est l'éternel soleil, la chaleur rassurante, ce sont les villages aux tuiles claires éparpillés sur les vertes plaines ou accrochés aux falaises.
Après Crest, on passe le village de Beaufort sur Gervanne, qui n'a rien à voir avec Beaufort sur Doron, beaucoup moins exposé au soleil. Au Moulin de la Pipe, nous sommes déjà dans le Parc Régional du Vercors. La route serpente et grimpe, mais notre objectif du jour n'est pas d'escalader l'une de ces impressionantes falaises. Nous allons plutôt descendre, sur un petit sentier caillouteux, à l'ombre des arbres aux feuilles pas encore orangées. Saignée de verdure entre les cathédrales de calcaire.

Au bout de quelques temps le bruit de l'eau commence à se faire entendre. Nous nous rapprochons du cours de la rivière, pas très loin des gorges d'Omblèze. Le bruit se fait de plus en plus sourd, de plus en plus fort et soudain la chute d'eau apparaît. Evidemment, ce ne sont pas les chutes d'Iguazu. Mais celle de la Druise reste impressionnante. Elle se jette du haut d'une falaise, dans un canyon dont les roches sont peuplées de visages inquiétants, et vient s'écraser dans un lagon qui va du bleu au turquoise, dans un jet droit et puissant.



La fraîcheur et la relative obscurité constrate avec les températures élevées qu'on retrouve dès qu'on commence à remonter le sentier. Petit à petit, on retrouve le soleil qui s'entraine à peindre des ombres autour du cirque minéral et végétal.

Cette région m'est encore inconnue mais à chaque visite elle a la grâce de me dévoiler quelques uns de ses charmes. Parfois sauvage, parfois rassurante, la Drôme a encore beaucoup de choses à me dire.