Maria Antonieta Arauco, Los Jairas y El Trio Dominguez, Favre, Cavour, 2011.
Je viens de terminer la lecture du livre. Je viens de comprendre. Quoi? En fait, à peu près tout. Tout, du début, des origines, du pourquoi, jusqu'au comment, à aujourd'hui, à moi-même. Je suis en train d'écouter le CD qui vient avec cette première édition de l'ouvrage. Des souvenirs. Et pourtant... Et pourtant, comme on dit souvent, "ce n'est pas ma génération", "je n'étais pas née". Cavour, Favre, Joffré, Dominguez, Godoy, ces noms me semblaient bien lointains dans une histoire embrumée de la musique bolivienne. Ces mêmes noms que mes amis mentionnaient à chacune de nos rencontres, je l'avoue, ne me disaient rien, ou pas grand chose. Et puis, j'ai rencontré la Bolivie d'un peu plus près. J'ai joué un morceau sur une scène de Montpellier, un soir, avec le charmant et mythique Julio Godoy. J'ai côtoyé, au détour d'un Festival du Charango à Paris, le sensationnel et l'inégalable Cavour et son charango, charanguito, quirquincho. Déjà, depuis de nombreuses années, j'écoutais les chansons et la guitare frissonnante d'Alfredo Dominguez. Je connaissais le nom de Jean Vidaillac, Sagarnaga, de loin. Il ne manquait plus que ce livre pour rassembler les pièces du puzzle et leur donner leur cohérence: los Jairas y El Trio. J'ai dévoré, emmaganisé, me suis étonnée, ai relié les événements et les époques, déchiffré les minuscules notes de bas de pages, ai épluché les coupures de presse, tout ce travail minutieux, de longue haleine, passionné qu'est celui qu'a réalisé Maria Antonieta Arauco. J'ai découvert l'étonnante histoire de la création de la Peña Naira, à La Paz, par le suisse Gilbert Favre à son arrivée du Chili. Berceau de los Jairas, antre de la naissance d'une nouvelle musique, du néo folklore. J'ignorais d'ailleurs (j'ignorais tant de choses avant cette lecture) que la Peña Naira était à l'origine une galerie d'art créée à l'initiative, entre autres, du célèbre sculpteur et peintre bolivien Jorge Carrasco, très connu en France notamment pour l'oeuvre de sa vie, la chapelle du village du Menoux, dans la Creuse. La Peña Naira... On dit même que le Che s'y serait rendu en 67, avant que tout ne commence en Bolivie, ou ne finisse, tout dépend. J'écoute et je réécoute ce disque qui fait partie du livre. Quelle modernité; ou bien devrais-je dire, on n'a pas fait mieux depuis. Cette introspection au coeur de la musique traditionnelle bolivienne, pour en faire jaillir un folklore de haute altitude, puissant et puisé au fin fond des tripes de chaque musicien et de sa terre. Et je me rends compte que toutes ces chansons, moi qui pensais les ignorer, qu'elles n'étaient "pas de mon époque", je les connais toutes. Pas quelques unes, au passage, non, TOUTES. Au fond, lorsque mes amis me racontaient la naissance de leur passion pour la musique bolivienne, El Gringo, Cavour, Los Jairas, je restais interrogative. Je viens de réaliser que los Jairas sont aussi à l'origine de mon histoire d'amour avec la Bolivie. Parce que leur style inimitable à été repris par tous les autres groupes, à travers les décennies. Parce que les chanteurs se sont inspirés et qu'à travers leur chant, c'était toujours la voix de Yayo Joffré qu'on entendait. Parce que la quena de Favre n'a pas trouvé d'égal dans sa mélancolie et cette capacité à nous faire danser et trembler en même temps. Parce qu'après avoir joué quelques temps dans le Grupo Sagarnaga de Paris, en réécoutant encore et encore ces chefs d'oeuvre musicaux dans mon casque pendant que je vous écris, j'y trouve la trace de cette volonté que le groupe français avait de jouer tel ou tel morceau à tel ou tel rythme, de telle ou telle façon, parce que dans leur inconscient flottait toujours un air de los Jairas qui les entêtait et les empêchait de renier le sillon que Cavour, Favre et les autres avaient si bien su creuser. Que dire de plus sur ce livre, sinon se dire qu'on a peut-être, sans doute, raté quelque chose, si on est né après Los Jairas. Mais que malgré tout, il y a justement un avant et un après, un après au temps indéfini, à l'empreinte à jamais gravée, de la Bolivie à l'Europe, de La Paz à Genève, à Paris et au monde entier. Et je comprends tout. Je comprends maintenant pourquoi ceux que je disais rétrogrades continuent depuis des dizaines d'années de jouer les mêmes morceaux de la même façon (non que cela me plaise, à moi, en temps que musicienne): comment chercher à innover ou changer lorsque la perfection a semble-t-il déjà été atteinte? Nostalgie? Sans doute. Immobilisme. Peut-être également. La musique bolivienne a de son côté beaucoup évolué, expérimenté, s'est reniée et pervertie aussi parfois, mais a de toute façon avancé. Qu'ont de commun Los Jairas et Alcoholica? Je me demande. Mais il y a forcément un lien, peut-être justement le désir de mouvement que les premiers ont permis dans le paysage musical national. Est-ce que le métal bolivien existerait si Los Jairas n'avaient pas révolutionné la musique bolivienne?
1 commentaire:
Es la mejor conclusión y análisis que he podido leer sobre este libro. Sin duda Maria Antonieta Arauco ha logrado llenar los vacios que los mitos han dejado sin develar. Sin duda el antes no ha dejado posibilidad de revanchas......y la música occidental boliviana sigue su revolución. Gracias Emi por la manera de prsntar tus impresiones.
Una boliviana.
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