mardi 18 octobre 2011

Les caprices d'un fleuve

Etant fan de Bernard Giraudeau, je me devais de voir enfin son film, Les caprices d'un fleuve, tourné en 1996 au Sénégal. Brièvement, résumé: le personnage joué par Giraudeau tue un adversaire au cours d'un duel et part en exil dans un comptoir en Afrique. Nous sommes en 1787, à la veille de la Révolution. L'esclavage bat son plein et le commerce triangulaire est à son apogée. Au fur et à mesure de sa découverte de cet autre monde, le protagoniste, au début indifférent au sort des populations locales et acquis à la cause française, s'éveille peu à peu à la réalité. Il découvre les paysages et les hommes, surtout les femmes, la crauté du régime infligé aux noirs et l'absurdité du système esclavagiste, la corruption des représentants de l'Etat et de la monarchie elle-même. Peu à peu, on le voit passer de la distance à la proximité, du dédain à l'intérêt et finalement de l'humanisme à la passion. C'est d'abord une femme qui le fait naître à cette fusion entre les êtres, puis une esclave qu'il a recueillie enfant et qu'il protège par la suite comme sa propre fille. L'amour filial se fait amour tout court. La fin du film évoque les événements post révolutionnaires et l'importance du virage pris par l'existence du personnage au cours de ces années d'exil africain. J'avais lu certaines critiques qui, avec ou sans jeu de mots, avaient trouvé que l'oeuvre de Giraudeau était un "film fleuve". Pour ma part, en presque 2 heures je ne me suis pas ennuyée une seconde. Peut-être que si j'avais vu le film avant de lire les livres de l'auteur et de voir ses documentaires la chose aurait été différente. Mais j'ai trouvé hier que le style Giraudeau était omniprésent et l'ai retrouvé comme une série de clins d'oeil: l'échange épistolaire lu à deux voix avec la femme aimée restée en France; certaines scènes un peu crues, d'autres très poétiques mais la réalité toujours dépeinte au plus près de ce qu'elle est, cruelle et magique à la fois; la manière de filmer comme la manière d'écrire, partant des regards entre les gens et de leur façon de se regarder les uns les autres; la musique omniprésente, ici métissage du clavecin et d'une magnifique voix africaine. Les caprices d'un fleuve n'ont à mon avis rien du film tout en longueurs que l'on a bien voulu décrire. Au contraire, c'est un magnifique arrêt sur images sur l'histoire, une photographie de l'esclavage sans jugement à l'emporte pièce, un hymne à l'humain dans ce qu'il a de plus laid et de plus beau, loin de la niaiserie d'autres navets sur la tolérance entre blancs et noirs. A cela une seule raison: lorsqu'il parlait de ce partage et de cette fusion charnelle et culturelle entre les hommes (et parmi eux les femmes, vénérées), Bernard Giraudeau, qui vogue maintenant sur d'autres fleuves, savait de quoi il parlait.

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