mardi 29 novembre 2011

Martin des Loges, l'histoire dans l'Histoire

Marie Louisel, Martin des Loges, 2006.
Ca me rappelle ma grand-mère. Et quand je dis ça, je ne veux pas parler du pull en laine tricoté main qui pique dans le cou ou des gâteaux dégoulinants de chocolat, pas du tout. D'abord, soit dit en passant, les pulls de ma grand-mère ne grattaient pas dans le cou et ses gâteaux avaient, en terme de chocolat, toujours la juste mesure, ni trop, ni trop peu. Mais ça me rappelle ma grand-mère, j'y peux rien! Déjà, j'étais allée plusieurs fois sur le blog de l'auteure, Les neiges d'antan, parce qu'elle a le don de raconter des histoires comme on aime à les entendre, comme si on y était. Le passé toujours présent, la nostalgie jamais larmoyante, des souvenirs, comme savent si bien en raconter les grand-mères. C'est sans doute parce que je suis frustrée de n'avoir pas assez questionné la mienne que j'aime me réfugier dans la compagnie de celles des autres. Vous me suivez? Alors quand j'ai su, d'une, que cette mamie là était la maman d'une amie et de deux, qu'elle avait écrit un livre, ouvrage qu'on me glissait gentiment entre les mains, j'ai ressenti une sorte de bien-être enfantin quand on savait que demain c'était dimanche et que grand-mère arrivait avec sa tarte aux pommes... Une salivation de l'esprit en pensant à quelque chose de doux, de familier, de réconfortant pour les blessures d'enfant. Les blessures d'enfant étant toujours là, je me suis empressée de plonger dans le roman de Martin, ce personnage attachant dont on suit l'itinéraire d'apprenti compagnon, de constructeur de cathédrales, au Moyen Age, époque, je l'avoue que je ne connais pas vraiment bien pour ce qui est de la France. Je n'ai jamais été amie des dates, j'en ai pleuré des larmes pour les apprendre par coeur... Résultat des courses, il ne me reste presque rien de l'histoire de France. Allez, 1515, et encore. J'avais bien essayé aussi de me lancer dans la lecture des grands classiques, pour ma culture, mais Notre Dame de Paris m'avait vue peiner comme Sisyphe, recommencer encore et encore les 10 premières pages pour finalement ne jamais parvenir à la onzième. Encore un échec. Alors en commençant le roman de Martin, grande surprise, rien de tout cela. De l'Histoire oui, mais une petite, familière, au service de la grande. Un air de ne pas y toucher, un récit entraînant, comme l'un de ces contes qu'on nous racontait enfant avant de nous endormir, et finalement, sans en avoir l'air, un ouvrage hyper documenté sur l'époque, les coutumes, les événements historiques, la vie quotidienne au Moyen Age, au temps des cathédrales. J'ai beaucoup appris, bien plus qu'en lisant un livre d'Histoire, et je me suis plongée dans Martin des Loges comme on se plonge dans le tablier d'une grand-mère pour essuyer ses larmes, comme on plonge ses yeux dans les flammes du foyer un soir de veillée, quand les grands racontent les histoires du passé. Seulement Marie Louisel a ça en plus, elle est une vraie conteuse.

lundi 28 novembre 2011

Africa America

Je me suis rendue ce week-end à la Galerie Polka, tout près de la place des Vosges, pour voir l’exposition de photos intitulée « Afriques » qui réunit des clichés de différents artistes.  Des immenses prises de vue de Titouan Lamazou aux portraits intimes de femmes réalisés par Huguier, c’est à un voyage à travers l’Afrique que nous sommes invités. Mais je franchissais surtout la porte de la galerie, pour aller admirer, au fond de la cour, au sous-sol, les photos de Philippe Guionie, dont le projet était de parcourir en images l’Amérique du Sud et d’aller à la rencontre des descendants d’esclaves noirs dans les Andes. Venezuela, Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie, un passé encore présent mais que la plupart de ces pays s’obstinent à nier, à taire, à ignorer. Les clichés de Guionie sont magnifiques, interpellent, captivent, dérangent, interrogent, posent question, ne laissent en tout cas pas indifférents. Un documentaire, que l’on ne peut malheureusement pas se procurer, est diffusé en continu et en sourdine sur un écran, dans un recoin de la salle d’exposition. On peut y entendre la voix de l’artiste qui raconte, explique les scènes photographiées, nous donne son sentiment et nous fait prolonger le voyage. Un voyage après lequel, malgré l’achat d’un superbe livre avec les photographies de Philippe Guionie, je peux dire que je suis restée sur ma faim. Le sujet des noirs en Amérique Latine et en particulier dans les Andes, pays et régions qui se revendiquent comme « indiennes » et laissent en marge une partie cependant culturellement et historiquement riche de sa population, reste à débroussailler. L’exposition « Afriques » en est la preuve vivante : la partie « Africa América » méritait certainement une plus grande visibilité que celle apportée ici, dans une petite rue, au cœur d’une galerie élitiste, fond de cour, sous-sol, dernier recoin de la pièce, comme une pièce rapportée au reste des œuvres. Enfin, contentons-nous de ce qu’on nous donne…

Afriques Polka Galerie 12 rue Saint Gilles Paris 3ème

dimanche 27 novembre 2011

Habemus Papam... ou pas.

La dernière fois que je suis allée voir un film de Nanni Moretti, l'excellent, l'incomparable, c'était "La chambre du fils", un drame familial autour de la perte d'un enfant. Pas gai, rien à voir, à première vue, avec ce film délirant, "Habemus Papam", sur les tergiversations d'un pape fraichement élu pas du tout prêt à assumer sa fonction. Et pourtant. Petit résumé: le pape meurt, les cardinaux se réunissent en conclave pour élire un successeur. Après des heures interminables d'indécision, la fumée blanche apparait enfin: habemus Papam. Sauf que l'élu en question craque, refuse de se présenter au balcon et s'enfuit en courant. Arrive alors le personnage du psy, joué par Nanni Moretti, censé aider le pape à surmonter la difficulté de la situation. C'est à ce moment que les choses prennent une tournure intéressante, que le personnage joué par Michel Piccoli dévoile toute sa profondeur. Bien sûr, on rit du début à la fin, parce que l'humour de Moretti est toujours aussi décapant, décalé, sans complexes, et que penser à organiser un tournoi de volleyball entre les cardinaux, il fallait y penser. Mais en plus du rire, comme toujours, et c'est ce qui change par rapport à d'autres comédies, par exemple françaises, Moretti ajoute une dimension supplémentaire dans le traitement de ses personnages, une manière de les filmer dans leurs failles, un regard et une ironie sans concessions sur les faiblesses humaines et sur la société en général. On pourrait dire, s'attaquer au pape, en Italie, il fallait oser. Pourtant non, le niveau de lecture est autre, religieux, certes, avec quelques critiques acides sur l'institution ecclésiastique, mais surtout, le réalisateur, comme le dit le psy dans le film, son porte parole, ne parle pas du pape, mais de l'homme. Cet homme, ce vieux monsieur vénérable et vulnérable qui réussit à tromper la vigilance de ses gardes du corps pour s'échapper dans les rues de Rome, seul, un peu perdu, et chercher à comprendre le pourquoi d'une telle réaction. Il se replonge alors dans ses souvenirs, son enfance, sa passion déçue pour le théâtre. Ses interrogations sont celles d'un homme dépassé par son destin, un destin qu'il n 'a pas choisi et un doute effroyable qui l'oppresse et qu'il ose verbaliser. Un portrait émouvant et juste qui nous tient en haleine jusqu'à la fin. Et jusqu'à la dernière image, Michel Piccoli nous touche et nous envoûte. La décision finale du pape, je vous en laisse la surprise si vous n'avez pas vu le film, ne fait qu'ajouter à l'admiration que nous avons dès le début pour ce protagoniste hors du commun et tellement humain.

samedi 26 novembre 2011

Paris, Paris...

"Je marche dans tes rues, qui me marchent sur les pieds..."
Paris. Il y a dix ans, c'était pour moi l'expression de l'horreur absolue. Trop de monde et de pollution, la conviction que la beauté pouvait aussi être ailleurs que dans cette capitale prétentieuse. Ensuite, je m'en suis rapprochée, pour finalement venir y vivre. Alors ce fut le métro-boulot-dodo. Cinés? Expos? Concerts? Tu n'en profites pas? Pas le temps, pas les moyens, pas l'énergie de me replonger dans la pieuvre après une journée de travail. Parce qu'il faut le dire, une journée à Paris compte double. Rendez-vous en enfer sans passer par la case départ, sans toucher 10 000 non plus, d'où la frustration. Quand même, il faut le dire, la belle a de quoi séduire. Mais elle est duale, pauvre et sale d'un côté, riche et élégante de l'autre. Entre les deux, des frontières oscillantes, des pays rabougris comme des têtes réduites, des mélanges ethniques superposés, tourbillon étouffant, cassures épuisantes, grands écarts, sans cesse. Puis j'en suis partie. Ouf de soulagement. Quelques kilomètres ont suffit à m'arracher des griffes de la possessive. Va te faire voir Paris! Plus jamais, c'est ce qu'on dit, c'est ce que disent tous ceux qui sont partis. Elle nous a ruinés, usés, remplis d'illusions puis trompés, bousculés, jetés. Tromperie sur la marchandise. Remboursés! Le temps passe. J'y suis revenue. En touriste, incognito. Parce que moi je ne suis pas exactement comme les japonais au Nikon king size en bandoulière, ces affolés des tours Eiffel en porte clés. Je ne suis pas de ceux-là, moi, je te connais ma belle. Tu ne me la fais plus. Je les connais, tes clochards sous le pont des Arts, tes merdes de chiens place des Vosges, tes détritus planqués dans les coins où ne vont pas les visiteurs d'un jour. Tu as beau planquer les moutons sous le tapis, moi je les connais, tes airs de princesse maquillée qui cache ses mains sales derrière son dos. Arnaqueuse, va. Mais je l'avoue tu m'envoûtes c'est évident. Et maintenant que je ne te rends visite que pour mon plaisir, je choisis mes coins, je joue ton jeu et évite les désagréments fâcheux. Je marche à pas lents, trace mon sillon sur l'Ile de la Cité, me perds dans le marché aux fleurs, pose mes valises (celles de la vie) à Saint Louis en l'Ile pour repartir avec d'autres (celles du voyage), faute de pouvoir effacer celles qui se creusent sous mes yeux... Allez, chaque fois que je reviens à toi je me dis que t'as de beaux restes. Tu as beau être parfois ridiculeusement précieuse (qui achètera tes glaces de chez Berthillon au mois de novembre?), tu me plais. Mais restons amies simplement. Toi comme moi savons bien que la vie commune n'est pas faite pour nous. C'est ce qu'on dit quand on ne veut pas gâcher une histoire d'amour.




(photos: emi)

vendredi 18 novembre 2011

Miracles sur les cimes

Le Dauphiné d'aujourd'hui propose la video réalisée par le cameraman David Autheman lors de l'ascension organisée par Bruno Sourzac dans le but de partir à la recherche de son frère et de sa cliente, Charlotte Demetz, disparus dans les Grandes Jorasses. Les images montrent bien à quel moment, au terme d'une analyse des conditions météorologiques, la cordée de Bruno a dû renoncer face à une trop mauvaise météo. C'est d'ailleurs cela qui a sans doute perdu son frère. Dans ce dossier très intéressant du quotidien de Rhône Alpes, on retrouve d'autres articles sur l'historique de cette voie empruntée par le guide alpin et sa cliente ainsi que des documents retraçant les différentes ascensions et accidents les plus remarqués. On voit par exemple une photo de René Demaison sur son lit d'hôpital après une course dans les Jorasses. L'article évoque les quelques 160 morts ou disparus dans le massif du Mont Blanc depuis 1956 et les drames survenus à des alpinistes pourtant renommés et expérimentés. Chronique d'accidents malheureusement inévitables, l'avalanche ne prévenant pas et étant toute puissante, réduisant les hommes à l'état de chiffons emportés par la coulée blanche. Et puis l'article s'arrête aussi sur les "miracles", la survie, le retour après des heures et des jours dans une crevasse ou sur la glace de ceux que l'on n'attendait plus en bas. C'est le cas de Jean Bourgeois, monté en Himalaya sur le Versant Népalais et redescendu seul sur le versant Tibétain, alors que ses camarades de cordée avaient perdu tout espoir de le revoir vivant.
Cela me permet de faire le parallèle avec le livre de Jean Kouchner, Les miraculés de l'Alpe, 1991, que je viens par hasard de lire et qui revient lui-aussi sur l'incroyable épopée de Jean Bourgeois et d'autres miraculés du genre. Des enseignants en vacances partis pour deux jours et redescendus 14 jours plus tard à Sixt, en passant par l'alpiniste sorti d'une crevasse après plusieurs heures, sauvé par une cordée qui sortait de la même crevasse l'un de ses camarades qui venait d'y tomber, hasard du destin, les récits sont tous plus incroyables les uns que les autres. Et pourtant on ne s'en lasse pas. Il faut dire que le livre est extrêmement bien écrit et la voix du journaliste s'efface presque pour laisser la parole entièrement aux témoignages, avec un style ciselé dans lequel la réalité des faits se fond avec le talent de l'écriture fictionnelle. C'est en lisant tous ces chapitres sur les miraculés des cimes que l'on prend vraiment conscience du rôle indispensable des hélicoptères du PGHM dans notre Massif du Mont Blanc. Parce que dans le cas des Andes, par exemple, il n'y a rien d'autre à faire, en cas d'accident, que de prendre son courage à deux mains, de n'attendre aucun salut de l'extérieur et de redescendre comme on peut, avec ce qu'il reste de forces et de lucidité. Jean Kouchner nous relate l'exemple de Bernard Gachet, partis avec deux amis dans la Cordillère Royale en Bolivie et souffrant de difficultés à s'acclimater à la forte altitude autour du Nevado Illampu. Bernard grimpe quand même mais doit renoncer: maux de têtes, vertiges, vomissements, puis perte de conscience, coma, c'est le début de la fin. Pas d'hélicoptère donc, pas âme qui vive non plus. Juste, un peu plus bas, alors que les deux autres font glisser Bernard inanimé comme sur une luge, deux mineurs, puis un paysan qui prête sa brouette. Dans son véhicule cahotant, Bernard sort du coma, entre dans le délire. Il s'en sortira, se sera vu en rêve, il le dira, battre des ailes de toutes ses forces pour échapper à la spirale de la mort. Ce qui ressort aussi de ce récit et des autres, c'est le rôle joué par le conscient et l'inconscient. Le conscient qui se rend compte de la chute, froidement, qui constate, étrangement sans s'affoler, malgré la plongée vers une mort presque certaine et les blessures qui s'accumulent au fur et à mesure de la descente. Puis, les chocs sur les rochers se faisant plus rudes, os brisés, têtes littéralement éclatées, l'inconscient prend le relais, endort le corps, coma ou sommeil profond, oubli de l'accident au réveil. Entre les deux, une sorte d'état de grâce de celui qui, soit attend la mort avec paix et tranquillité, soit est convaincu de s'en sortir malgré tout, en tout cas se sent au bord de la béatitude, grisé par des sensations extrêmes, sans doute les mêmes qui poussent encore et toujours les miraculés, après s'être remis de leurs multiples accidents -certains les collectionnent- à retourner sur les cimes pour retrouver cet état euphorique entre la vie et la mort.

jeudi 17 novembre 2011

Les bijoux de la Castafiore

Pourquoi les femmes portent-elles des bijoux? On se pose parfois des questions existentielles le jeudi soir. C'est la réflexion que je me suis faite en ôtant mes parures et mes breloques ce soir (et encore, c'est un minimum).
Il y a ici des souvenirs de partout, des moments de ma vie, des racines et des rêves, des ruptures dans les absences et des certitudes dans les trésors rapportés des différentes régions du monde où j'ai planté mes racines. Dans mon cas, ces bijoux, c'est moi, juste moi et rien d'autre, un résumé comme d'autres portent des tatouages. Sans tout cela, je me sens nue, c'est étrange. Et je me demande, pourquoi porte-t-on des bijoux?
J'ai l'habitude de toujours observer les bijoux chez les femmes que je croise. Avant même de regarder leurs yeux je regarde leurs mains et leurs poignets, parce que mine de rien cela m'indique beaucoup de choses sur la personne qui est en face de moi. En France, ce sont d'un côté les bijoux "fantaisie", de l'autre la fameuse alliance, accompagnée de la bague de fiançailles, comme une indication de statut, comme si on avait besoin de l'afficher, et pour se protéger de quoi? Dans d'autres pays, les bijoux de mariage, c'est le moyen d'afficher sa richesse. Plus il y en a, plus il y a d'or, mieux c'est. D'autres parures sont carrément des particularismes régionaux. En Savoie, les femmes arborent fièrement leur croix en or à chaque grande occasion. Religiosité et tradition obligent. En Bolivie, les cholitas sont vraiment quant à elles un cas à part. Boucles d'oreilles qui pendent jusqu'aux épaules, broches, bracelets, bagues, colliers, et même broderies sur les châles, le tout en or, massif. Etre cholita, c'est un art de vivre. On ne se sépare jamais de tous ses atours, sinon, on perd le prestige. Cholita, c'est presque une caste. En tout cas, cela coûte très cher aux fiancés! "Se marier avec une cholita, c'est la ruine!', m'avait dit un jour un bolivien, me racontant que l'un de ses amis, marié à l'une de ces figures de la Bolivie, devait se serrer la ceinture pour faire des cadeaux d'anniversaire dignes de ce nom à sa femme. Un bouquet de fleur ou un foulard à pois, que nenni! Non, de l'or, du vrai, du lourd, sinon rien. Le statut avant tout. Et attention, ce n'est pas un déguisement ni un costume de fête, non, c'est la tenue de tous les jours, celle avec laquelle on lave le linge, on négocie le prix du quartier de viande ou on va à la banque. C'est l'uniforme, un signe de reconnaissance, d'appartenance, qui se transmet de mère en fille en général. Femmes fortes, les cholitas, de décision, parfois de pouvoir.
Cholita en Urkupiña, Quillacollo, Bolivia - foto emi

En Bolivie toujours, d'autres femmes portent d'autres sortes de bijoux, beaucoup plus discrets, mais tellement intéressants, notamment par les motifs qui y sont gravés: lamas, chakana, tumi, autant de symboles de la cosmovision andine qui se retrouvent sur les mains et aux poignets des boliviennes d'origine indigène. Telles des ñustas, des princesses incas, ou plus loin encore des femmes des civilisations pré incaïques, elles portent sur elles toute la majesté de leur culture, de leur vision du monde, de leur race, diraient-elles. Nous sommes bien loin de l'alliance de mariage occidentale. L'union, ici, se fait avec la Terre. Que d'histoires dans tous ces bijoux, combien de mains observées, de doigts usés serrés dans des bagues resplandissantes sur les marchés, de poignets de bronze ornés de cercles d'argent, d'oreilles tout justes naissantes déjà parées. En portant toutes mes breloques, je me sens un peu semblable à toutes ces femmes. Des boucles d'oreilles immenses des cholitas aux bagues pleines de farine des cuisinières en passant par les motifs indigènes sur des bras aux teintes cuivrées, je porte moi-aussi ma vision du monde; entre l'anthracite des mines alpines et l'argent de celles de Potosi, les richesses de la terre mère sont ma protection, mon tasliman et ma coquetterie, les bijoux de la Castafiore...
En souvenir d'autres jeudis soir, Lili...

mardi 15 novembre 2011

Même la pluie

También la lluvia, film de Iciar Bollain.
A l'époque de sa sortie, je n'étais pas allée voir ce film. Un film sur la Bolivie, sur Cochabamba et la guerre de l'eau, trois bonnes raisons pour m'éviter de revoir des images nostalgiques et douloureuses. J'avais évidemment vu le documentaire Guerra del Agua (en 3 parties sur You Tube) de Oswaldo Rioja Valdez et de Elizabeth Paravicini Garcia, et je n'étais pas sure, vu la violence des faits  et le traumatisme qui demeure dans les consciences, de vouloir revoir ces images dans une fiction cinématographique. Peur d'être replongée dans ces heures noires qui restent une blessure ouverte dans la chair de Cochabamba et de tous les boliviens. Et puis, le temps passant, toujours dans le cadre de l'étude de la culture latino américaine avec mes élèves, je me suis dit que pourquoi pas, pourquoi pas parler de la Bolivie sous un autre angle que celui de la culture musicale et folklorique, un angle social et économique. Alors hier soir, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai visionné le film.
Le résumé: un jeune réalisateur, Sebastian, et son producteur, Costa, partent en Bolivie, dans la région de Cochabamba, pour tourner un film sur Christophe Colomb, le début de la colonisation espagnole dans les Antilles et le rôle de Bartolomé de Las Casas et Montesinos, premiers défenseurs des indigènes face à la cupidité sans état d'âme des conquistadors assoifés d'or. Le recrutement des figurants puis le tournage des scènes s'enchainent. En parallèle de son rôle dans le film, l'indien Daniel Aduviri mène la lutte pour l'accès à l'eau des populations locales et contre les entreprises qui en ont augmenté le coût de 300 %. C'est là qu'entre la fiction et la réalité sociale s'installe un parallèle qui questionne les consciences et destabilise les certitudes. Les événements sociaux en questions ont lieu en 1999-2000, au moment de ce qu'on a appelé en Bolivie "la guerra del agua": mécontentement qui se transforme en rage face à la cruelle injustice et au mépris ancestral envers "ces indiens analphabètes", comme le dit le Président de la République bolivienne dans le film (le vrai de l'époque, le Général Banzer, ex dictateur réélu avec l'aide de la CIA, avait un discours tout à fait semblable). Mettant tout en oeuvre pour terminer leur film, Sebastian et Costa minimisent, refusent de voir les événements dramatiques qui touchent pourtant leurs figurants et l'un de leurs principaux acteurs, Daniel. L'ignorance, la distance, l'égoïsme, jouent comme dans un miroir avec la cruauté, le mépris, le rejet des conquistadors qu'ils mettent en scène dans leur fiction.
También la lluvia est extrêmement bien filmé: les scènes de fiction dans la fiction, les doutes et les certitudes de chacun des personnages, les rues de Cochabamba, la montée en crescendo du conflit qui finit en lutte ouverte contre l'armée, balles contre cailloux, bataille inégale. On sent que la réalisatrice s'est investie et documentée, car les images qu'elles a tournées ressemblent étrangement à celles du documentaire réalisé à l'époque. Rien n'a été laissé au hasard et c'est un véritable plaidoyer pour la souveraineté et la dignité des peuples; pas du tout un mauvais manifeste politique de gauche, plutôt une vision réaliste, crue, de l'histoire qui nous met face à nos faiblesses et nos préjugés. Ce film est un chef d'oeuvre et malgré la violence qu'il montre, il est un hymne à la Bolivie, une fresque humaine et sociale semblable au magnifique Carla's song de Ken Loach (mais rien n'est dû au hasard, puisque le scénariste de ce film de K. Loach est Paul Laverty, le même que pour También la lluvia...)

dimanche 13 novembre 2011

Fleur Australe

Géraldine Danon, Une fleur dans les glaces, 2010.
Sa vie est déjà un roman à elle seule. Elevée sur des plateaux de cinema, ce n'est pas par hasard que Géraldine Danon est devenue comédienne. Elle a déjà vécu plusieurs vie en une seule: actrice, restauratrice, mère de famille; la voilà maintenant exploratrice. J'avoue, je ne connaissais pas du tout la demoiselle. J'ai juste croisé son livre, on ne peut pas vraiment dire par hasard, au rayon des récits de voyage de ma petite bibliothèque. Lassée de mots et de littérature, j'avais besoin de prendre le large. J'ai donc grimpé sur la Fleur Australe, le bateau de Philippe Poupon, avec délice, direction le grand nord. En plus d'un capitaine expérimenté et d'une actrice, le bateau a aussi transporté 4 enfants de 1 à 12 ans, il fallait le faire, pendant 8 mois. Ou comment entrainer toute une famille sur la banquise, avec le risque permanent et le froid perpétuel, les jours interminables et les icebergs à foison. Pas du tout un voyage touristique, pas non plus une promenade de santé. Et pourtant, avec leur marmaille, ils ont réussi. Le récit, écrit par Géraldine à partir de ses notes au jour le jour, est agréable à lire, bien écrit, intéressant et captivant, mêlé de réflexions personnelles et de souvenirs. Un bon moment.
Assoiffés d'aventures et certainement très atteints de bougeotte, les voilà repartis, en famille toujours, cette fois vers le sud...
http://www.fleuraustrale.fr/accueil.html

Les Andes à Orléans

A l’occasion de la publication de l’ouvrage “une piste au Pérou dans l’ombre de Laura” et d’une exposition photo à la librairie
PASSION CULTURE
1 rue des Halles
ORLEANS
Les
KULLAWAS
seront présents:
Pour une brève incursion le VENDREDI 18 NOVEMBRE à 19H00 (vernissage)
Pour un concert le SAMEDI 19 NOVEMBRE à 16H00 ( signatures)

jeudi 10 novembre 2011

Deux alpinistes à la dérive

Ce n'est pas que le sujet ne me touche pas, bien au contraire. Simplement je me demande pourquoi est-ce que cette fois, plus qu'une autre, les médias ont-ils autant relayé l'information selon laquelle un guide et sa cliente étaient bloqués dans le massif du Mont Blanc depuis quelques jours. Je veux dire par là, des accidents, des disparitions en montagne, il y en a tous les ans, tous les hivers, tous les été aussi, et pas toujours sur des itinéraires compliqués. Parfois, les décès surviennent même sur des sentiers de moyenne randonnée que j'ai moi-même souvent empruntés, qui semblent au demeurant faciles. Il est peut-être bon de rappeler ce détail, quand la presse écrite et les radios ont suivi de très près cette redescente impossible des Grandes Jorasses par le guide de Saint Gervais et sa cliente. Car il est évident que certains on dû penser la chose suivante, très amplement diffusée: la haute montagne est un lieu dangereux. Faux! La montagne, haute ou moyenne, en général, peut être dangereuse. Il ne suffit pas de descendre de 2000 mètres pour se croire à l'abri de tout accident. Vient ensuite la question du mauvais temps. Récurrente. Mais comment prévoir? La météo des guides, météo France et autres sources de prévisions météorologiques ne seront jamais fiables à cent pour cent, car, on le sait bien, en montagne le temps peut changer du tout au tout en l'espace de quelques instants, et une course a priori quotidienne et classique comme l'était celle qui a marqué l'actualité peut alors se révéler un enfer. Même pour un guide expérimenté. Les sommets, et cela est rassurant, ne seront donc jamais un monde sous contrôle et resteront toujours, malgré l'avancée et le développement des technologies et des connaissances géographiques et sportives, un lieu où l'homme ne maîtrise pas l'élément naturel. Charlotte et Olivier, comme d'autres avant eux, sont sans doute morts d'hypothermie, d'un sommeil sans réveil. Il leur a été impossible de creuser un refuge dans la glace et de s'y abriter. Ce sont les secouristes italiens qui ont finalement redescendus leurs corps congelés vers Courmayeur. Fin d'une chronique humaine qui durant plusieurs jours a mobilisé l'attention des français et des italiens, de chaque côté de la chaîne alpine, ainsi que leurs presses respectives. Innombrables articles quotidiens, diaporama du sauvetage sur La Stampa, peut-être s'attendait-on à un dénouement miracle qui aurait représenté une onde d'optimisme dans notre monde en crise. Besoin de miracles, besoin de héros, des héros sauvés de "l'enfer du Mont Blanc", comme titrait un journal hier. Malheureusement pour Charlotte et Olivier, le dénouement fut tragique. Je veux peser mes mots alors que je tente de percevoir la douleur de ce drame dans les familles et à la compagnie des guides de Chamonix, pour dire simplement la dangerosité qu'aurait représenté cette surexposition médiatique en cas de fin heureuse: la banalisation de la montagne et de ses dangers, puisqu'on peut s'en sortir, puisque de toute façon on vient nous sauver, puisque nous sommes les rois sur cette planète et que rien ne nous empêchera de dominer la nature. Que chacun reste donc à sa place, la nature dans sa grandeur, l'homme dans sa fragilité. Que la rencontre des deux demeure une danse, sublime et tragique à la fois.
Le Mont Blanc vu de Servoz - Photo emi

lundi 7 novembre 2011

Conversations littéraires avec le Tio - 2

L’art d’écrire des contes brefs

Victor Montoya - Traduit de l'espagnol par Emilie Beaudet

Le Tio, comme tout diable à la vaste culture et défenseur déclaré du conte bref –très bref-, profita de l’une de nos conversations pour me donner une leçon sur l’art de travailler la parole avec la précision d’un orfèvre.

-Ecrire un conte bref revient à graver un vers de Garcia Lorca sur une bague de fiançailles, dit-il. C’est aussi facile que cela mais à la fois difficile.

Je le regardai en silence, en pensant que le Tio, malgré ses attributs de Satan, ne dit jamais les choses à la légère. C’est un type assez intelligent, savant dans le domaine des sciences occultes et des sciences des sciences. Que ne sait-il pas ? Que ne peut-il pas ? Que ne veut-il pas? Il est un modèle de constance et de rigueur intellectuelle. Et, ce qui est plus étonnant encore, il a une réponse à chaque question. Ainsi, un jour, tandis que nous parlions de littérature et de littérature, il dit : « Les hommes écrivent des contes violents ». Et les femmes ?, lui demandai-je. « C’est une autre histoire”, me répondit-il.

-A ton avis, comment reconnaît-on un bon écrivain de contes ?, lui demandai-je pour tester ses connaissances.

-Pour commencer, le bon écrivain se reconnaît même à sa façon de marcher, répliqua-t-il avec la sagesse de celui qui possède le don du génie et la magie de la parole. L’écrivain de nature n’a pas besoin de carte de visite, de critique ou de reconnaissance. Chez lui, plus que chez quiconque, la passion d’écrire revient à être possédé, une façon de léviter au bord du délire, de mettre en pièces la réalité et de raconter un conte dans lequel le mensonge est si réel que personne ne le met en doute, outre le fait que son vice d’écrire dans la solitude est une maladie endémique et sans remède. Personne ne peut le libérer de cette contrainte volontaire, pas même le Christ en caleçon…

Le Tio, conscient du fait que la vertu de l’intellectuel consiste à simplifier ce qui est complexe et non de rendre plus complexe ce qui est simple, se donnait des airs de m’administrer les connaissances comme à la cuillère, appliquant une didactique plus efficace que celle d’un professeur émérite. Mais lorsqu’il parlait d’un thème apparemment difficile, comme l’est la littérature, il le faisait avec une grande désinvolture et de nombreux exemples.

-Et comment sait-on qu’un conte est un bon conte ?, lui demandai-je avec la curiosité de quelqu’un qui profite d’une discussion sur l’art d’écrire.

-Quand il t’attrape depuis le début et que la langue flue de sa propre force, quand le lecteur reconnaît les situations du conte et commence à s’identifier avec les personnages, lesquels, par leur vraisemblance, cessent d’être de pures inventions pour devenir crédibles aux yeux du lecteur. Un bon conte ressemble à un kaléidoscope, où l’on trouve de nouvelles figures littéraires chaque fois qu’on le lit et le relit. Evidemment, tout cela ne dépend pas seulement de la perfection formelle du conte, en y incluant le thème, le langage et le style, mais aussi de l’adresse de l’auteur, lequel doit maintenir le suspense chez le lecteur jusqu’à la fin. Dans le meilleur des cas, le conte doit avoir un dénouement surprenant et inattendu, parce qu’un conte sans une fin surprenante est comme un cadeau découvert avant Noël.

-Et si le conte n’attrape pas dès le début et ne maintient pas la tension dans l’esprit du lecteur jusqu’à la fin, que faire ?, lui demandai-je, tandis que je me remémorais les mauvais contes que j’avais écrits dans ma jeunesse en les prenant pour des chefs d’œuvre.

-Ah!, répondit le Tio, en se réinstallant sur son trône. Dans ce cas le mieux est de le jeter comme lorsqu’on fait tomber un édifice dont les portes et les fenêtres auraient été construites sur le toit. A ce propos, Garcia Marquez dit : « L’effort d’écrire un conte court est aussi intense que de commencer un roman ». Et si le conte, pour une raison mystérieuse, ne réussit pas dès le début, ce qui est conseillé est de « le recommencer par un autre chemin, ou de le jeter à la poubelle », parce qu’écrire un conte qui ne veut pas être écrit, c’est comme forcer une femme qui ne t’aime pas.

Je pensai qu’il n’est pas facile d’être maçon de la littérature, un métier qui semble réservé à ceux qui, depuis l’instant où ils conçoivent une histoire dans leur imagination, se sentent pris dans un tourbillon d’images et de mots.

-Une autre question, lui dis-je. A ton avis, qui est le bon écrivain de contes ?

-Le type qui voit comme dans un film l’œuvre de sa création et qui est capable d’inventer des fictions sur les trois piliers fondamentaux de la condition humaine : la vie, l’amour, la mort, bien que certains critiques disent que le plus important n’est pas CE QUI est raconté mais COMMENT on le raconte. Il ne fait aucun doute non plus qu’un bon écrivain de contes brefs, utilisant les instruments simples de la parole écrite, est capable de créer des personnages, auxquels il concède une vie propre avec son élan et son talent, et qu’il les crée non pas d’une motte de terre, comme Dieu créa l’homme, mais d’un petit tas de mots, tout comme toi tu me crées contre vents et marées, me donnant un souffle de vie dans tes contes de la mine. Le bon écrivain possède la magie de faire sortir des mots jusque de ses poches, comme le magicien fait sortir des colombes des manches de sa chemise.

-A propos d’ambiances et de personnages, quelques-uns de mes lecteurs disent que je me répète trop, que je patine toujours sur le même thème et sur le même personnage.

-Bah!, ronchonna le Tio. Ne leur prête pas attention, continue d’insister sur le même thème, continue d’écrire sur le Tio de la mine et, comme recommandait le vieux Tolstoï : « Décris ton village et tu seras universel ».

En effet, je me promis en mon for intérieur de continuer à écrire sur la réalité dantesque des mineurs et sur les traits d’esprit de leur dieu et de leur diable protecteur incarnés dans le Tio, le même qui en ce moment conversait avec moi sur ses auteurs préférés et sur les clés du conte bref, en me donnant l’opportunité de lui demander encore et encore, par exemple, comment choisir un bon conte au milieu de tout ce bla-bla?

-Cela varie d’un lecteur à l’autre, précisa-t-il. Il y a des contes et des conteurs pour tous les goûts. Plus encore, les contes, de même que leurs auteurs, ont des formes, des tailles et des contenus divers. Ainsi il existe des contes longs, comme ceux de Julio Cortazar et des contes courts comme ceux de Tito Monterroso ; des contes légers comme ceux de Julio Ramon Ribeyro et des contes lourds comme ceux de Lezama Lima ; des contes tordus comme Augusto Cespedes et des contes ivres comme Edgar Allan Poe ; des contes humoristiques comme Bryce Echenique et des contes angoissés comme Franz Kafka ; des contes érudits comme JL Borges et des contes dandys comme Oscar Wilde ; des contes pervers comme le Marquis de Sade et des contes dégénérés comme Charles Bukovski ; des contes décents comme Anton Tchékhov et des contes érotiques comme Anaïs Nin ; des contes du réalisme social comme Maxime Gorki et des contes du réalisme magique comme Garcia Marquez ; des contes suicidaires comme Horacio Quiroga et des contes timides comme Juan Rulfo ; des contes naturalistes comme Guy de Maupassant et des contes de science-fiction comme Isaac Asimov ; des contes psychologiques comme William Faulkner et des contes intimistes comme JC Onetti ; des contes de la tradition orale comme Charles Perrault et des contes pour enfants comme HC Andersen ; des contes de la mine comme Baldomero Lillo, des contes ruraux comme Ciro Alegria, des contes urbains comme Mario Benedetti et ainsi, comme dans tous ces exemples, il y a un tas de contes comme il y a de tout dans la vigne du Seigneur. Le fait de savoir les choisir n’est pas une responsabilité de l’écrivain mais un travail qui revient au lecteur.

En écoutant le flot de noms, dans ma condition d’éternel apprenti, je restai ébahi par la science du Tio, qui connaissait les techniques de l’art de narrer sans avoir écrit un seul conte. Evidemment, il n’avait aucune raison de le faire, puisque entre ses mains il avait un écrivain comme moi, chargé de transcrire ce que son ingéniosité et son cœur de diable me dictaient.

Ma curiosité d’en savoir plus sur l’art d’écrire des contes brefs allait croissant, jusqu’à ce que je recherche la raison de sa préférence pour le conte bref.

Le Tio s’appuya sur le dossier de son trône, dressa la tête, croisa les bras et expliqua :

-Parce que c’est une création littéraire dans laquelle sont réunies la brièveté, la précision verbale et l’originalité, mais aussi la syntaxe correcte et la clarté sémantique, car cela n’est pas la même chose de dire : « Deux tasses de lait » ou « deux lasses de thé », ou de dire « La Vierge de la mine » et « la mine de la Vierge ».

J’étais sur le point d’ouvrir la bouche lorsque, sans qu’il se fiche le moins du monde de ce que je voulais dire, il me devança avec l’agilité propre d’un grand orateur.

-Le conte bref est un temps concentré, si concentré que, parfois, il peut être simplement composé par un titre et une phrase. Nous avons par exemple « Le dinosaure », un petit conte court comme son auteur : « Lorsque je me réveillai, le dinosaure était toujours là », disait Monterroso, sûr d’avoir capturé un animal préhistorique en sept mots. Un autre exemple, Anton Tchékhov, peut-être sans le savoir, écrivit dans son cahier de notes une anecdote, qui aurait très bien pu être un conte condensé : « Un homme, à Monte Carlo, va au casino, gagne un million, rentre chez lui, se suicide ». Dommage que le russe laissa cette idée parmi ses notes comme un diamant non poli. Autrement, cela aurait pu être le conte bref le plus parfait sur la vie d’un millionnaire suicidaire. Qu’en penses-tu, hein ? Qu’en penses-tu ?

-Et que me dis-tu sur les contes de longue haleine?, lui demandai-je, seulement pour apporter de l’eau à son moulin.

Le Tio se rendit compte de mon attitude de questionneur, promena son regard un peu partout, lissa ses moustaches avec sa langue et répondit :

-Les contes longs sont comme les longs métrages, si tu ne finis pas par t’endormir, tu finis en bâillant comme quand tu mets le nez dans des mots croisés. Dans le conte bref, qui se différencie du roman par sa taille, ne doivent figurer que les mots nécessaires. Ce n’est pas en vain que Cortazar disait que le conte est instantané comme une photographie et que le roman est long comme un film.

-Donc la clé d’un conte bref réside dans la synthèse du langage, dis-je sans être très sûr de ce que je disais.

-Plus que de la synthèse, précisa le Tio, il est nécessaire d’économiser le langage, d’éviter « l’inflation parolière », comme dit Eduardo Galeano, qui a parcouru un long chemin vers le dénuement de la parole. Le langage doit être sobre et simple, le plus simple et clair possible. Il ne sert à rien d’écrire une prose fleurie et bigarrée, ou d’utiliser un langage ronflant, ou encore de faire du conte un arbre à l’abondant feuillage et aux fruits rares. Au contraire, il s’agit de faire un « striptease » du langage, jusqu’à le laisser dans sa pure simplicité et son enchantement, parce que dans la simplicité du langage se cache la beauté de l’art littéraire…

-En quoi consiste ce processus de dénuement de la parole, interrompis-je, sans savoir compris le cœur du problème.

-C’est facile, dit-il. Te souviens-tu du petit exemple sur la pancarte du marchand de poisson ?

-Non, répondis-je, en me grattant la tête.

-Aïe, aïe, aïe. Quelle petite tête, hein !, exagéra-t-il. Selon l’exemple de Galeano, le marchand de poisson écrivit au feutre à l’entrée de son magasin : « ICI ON VEND DU POISSON FRAIS ». Un voisin passa et lui dit : « Il est évident que c’est « ici », ce n’est pas la peine de l’écrire ». Et il effaça le mot ICI. Un autre voisin passa et lui dit : « Il n’est pas nécessaire d’écrire « on vend », ou bien est-ce que vous donnez le poisson ? » Et il effaça ON VEND. Ne resta que POISSON FRAIS. Oui. Un autre voisin passa et dit: “Est-ce que vous croyez que quelqu’un pense que vous vendez du poisson pourri, en écrivant « frais »… ? Et il effaça FRAIS. Il ne restait plus que POISSON. C’est ainsi… Jusqu’à ce qu’un autre voisin passe et dise au marchand de poisson : « Pourquoi écrivez-vous « poisson » ? Vous imaginez-vous qu’on pense que vous vendez autre chose que du poisson, avec l’odeur qui sort d’ici ? » C’est ainsi que le marchand de poisson retira les mots qu’il avait écrits à l’entrée de son magasin…

Le Tio semblait léviter tout en parlant, comme faisant montre de sa mémoire efficace. Il marqua une brève pause et poursuivit :

-Que penses-tu de l’idée de ce sacré Galeano, ce bourlingueur qui, en plus de faire un « striptease » du langage, a réussi à écrire l’histoire de l’Amérique Latine en petits morceaux et avec les veines ouvertes ?

-Très bon exemple, très bon, répondis-je. Mais, était-il nécessaire de retirer tous les mots de la pancarte ?

-C’est plus clair que de l’eau de roche. Il y a des choses qu’on ne peut pas palabrer comme cela. C’est pourquoi Galeano, suivant l’enseignement du maître Juan Carlos Onetti, prit conscience du fait que « les seuls mots qui méritent d’exister sont les mots meilleurs que le silence ».

-Je suis totalement d’accord avec cela, lui dis-je d’un seul coup. C’est comme quand on parle, si les mots que l’on va dire ne sont pas plus beaux que le silence, le mieux est de se taire.

-C’est ainsi, donc, approuva le Tio. Parfois, « la seule façon de dire c’est en se taisant », ou comme dit le vers de Pablo Neruda : « J’aime quand tu te tais parce que tu es comme absente… ».

A ce moment notre conversation s’interrompit et s’ouvrit un long silence.

Avant la tombée de la nuit, je me séparai du Tio, non sans l’avoir préalablement remercié pour son enseignement magistral qui, si je continuais à rabâcher mon métier d’artisan de la parole, m’aiderait à améliorer mes contes mal écrits, bien que je sache par expérience propre « qu’il est plus facile de dire que de faire», comme le dit le proverbe populaire.

J’allais franchir la porte, quand soudain, dans mon dos, j’entendis la voix du Tio:

-Ne cesse pas d’écrire des contes brefs, comme ceux qui me plaisent.

Je fis demi-tour, lui lançai un rapide coup d’œil et demandai:

-Comme quoi?

-Comme les contes miniers où je prends vie grâce aux aventures de ton imagination.

Je me retournai à nouveau et sortis en vitesse, sans laisser plus de mots que le silence derrière moi.

Canta Latinoamérica a 21 ans


Hola!

A l'occasion de son 21ème anniversaire, notre chorale Cantalatinoamerica
dirigée par Ricardo Eyzaguirre donne un grand concert le Dimanche 4
Décembre 2011 à 15h30 au théatre Aydar près de la tour Eiffel. Il y a aura
un beau programme avec la Misa Criolla d'Ariel Ramirez d'Argentine en 1ère
partie et un programme nouveau de chants folkloriques Sudaméricains en 2ème
partie. La chorale est composée de 50 choristes ainsi que de 8 musiciens et
danseurs latinoaméricains.

21ème anniversaire Chorale Cantalatinoamerica
Théatre AYDAR
4, square Rapp
75007 Paris
Métro Alma Marceau ou école militaire
Prix : 15€ adultes ou 10 € enfants

Venez nombreux,
David
06 88 23 00 59

dimanche 6 novembre 2011

En direct de la mère nature: Vassivière

C'est marrant comme les gens commencent à ressentir la protection, la valorisation, voir même l'adoration de la nature comme une urgence, poussés sans doute par des centaines d'années de culpabilité, bousculés peut-être aussi par les retours de flammes d'un passé en symbiose avec les éléments naturels qui ne demande qu'à ressurgir face à la violence de notre monde matérialiste et individualiste. C'était l'introduction. ça vous a plu? Tout cela pour vous dire que du côté du Lac de Vassivière, non loin de Limoges, on se sent concerné par ces bouleversements présents et à venir, ceux qu'on subit et ceux qu'on pourrait imposer, plus positifs. Au menu, expostion de sculpture, bateau taxi, petite balade en train, visite de l'île de Vassivière, le tout gratuitement, et, tout le long des parcours proposés, ponctuant le site, des panneaux affichant des messages militants de tous horizons: écrivains, politiques, naturalistes, indiens d'Amérique. Outre le côté folklorique et un peu naïf, il faut le dire, le dire c'est bien, mais le faire, c'est mieux, aurait dit Bourvil (j'entends par là qu'il est assez facile de devenir un adepte des religions animistes le temps d'une balade... et de se croire ingénuement dans le sillon des indiens du continent américain qui eux, savaient de quoi il parlaient et le ressentaient...)  l'endroit a quand même le mérite d'être très beau, dépaysant. Voici quelques photos de Marie-Hélène, notre correspondante sur place qui n'a pas cédé aux sirènes du petit train pour retraités de novembre encore en vacances, mais qui nous envoie tout de même de belles images...





Conversations littéraires avec le Tio

Liste des rats

Victor Montoya - Traduit de l'espagnol par Emilie Beaudet

-Pourquoi ce déchaînement de fureur en toi et si imprégnée sur ta peau?, demanda le Tio depuis son trône.

-Je viens de lire ce navet parsemé d’erreurs, répondis-je en jetant le livre sur la table. Une vraie insulte au lecteur !

-Tu n’as pas de raison de te fâcher, dit-il tandis qu’il jetait son regard de feu sur la couverture de luxe, sans se soucier de qui était l’auteur. Cette question des erreurs et des horreurs est fréquente dans la littérature. Ne te rappelles donc tu pas que quand tu es revenu d’Espagne tu pestais contre ton éditeur, qui, dans la présentation de ta biographie, avait changé le nom du pays où tu étais né ?

-Que dis-tu?

-Ne fais pas l’innocent. C’est toi-même qui m’avais raconté que dans ta notice biographique, imprimée sur la couverture du livre, il avait écrit que tu étais né en Bolovie et non en Bolivie. C’est-à-dire que l’éditeur avait inventé un nouveau pays, un territoire inconnu dans le meilleur style de Camala de Rulfo, Santa Maria de Onetti et Macondo de Garcia Marquez.

Je restai pensif un instant, conscient du fait que les erreurs peuvent blesser l’âme, comme lorsqu’un curé commet le péché de la chair. Ensuite je me repris, je me rappelai l’incident auquel le Tio faisait référence et confirmai :

-C’est sûr, cette erreur avait été commise par l’éditeur, qui, tout en crucifiant les écrivains sans le vouloir, attribue les erreurs aux elfes qui habitent dans les imprimeries.

-Ne me raconte pas d’histoires, dit-il. Les erreurs sont toujours commises par les humains et jamais par les machines. Leur rejeter la faute à elles, comme l’aveugle à la rue pavée, c’est une stupidité de gros calibre.

-Rien n’est moins sûr, corroborai-je. Ensuite, comme pour justifier les risques du métier, j’ajoutai : Les erreurs grammaticales, dans l’art douloureux de travailler avec l’écriture, peuvent aussi se confondre avec les erreurs de création, même si l’écrivain a appris à forger la parole avec la même force que celle du forgeron qui forge l’acier entre l’enclume et le marteau.

Le Tio, qui ne sait ni lire ni écrire, mais qui est sage par sa naturelle condition de diable, écouta mes paroles avec une grande attention. Puis il se gratta le menton avec son sabot, se remémora les commentaires entendus de la bouche d’autres écrivains, se plaignant des gaffes de leurs éditeurs, et dit :

-L’erreur imprimée dans un livre, même le Christ descendu de la croix ne peut la modifier, encore moins l’écrivain, lequel ne peut effacer du coude ce que sa main a écrit. Je connais le cas d’un poète cubain qui, venant de recevoir son recueil de poèmes relié, découvrit que dans son vers : « Je sens un feu féroce qui me dévore », le linotypiste avait placé son gros errata et écrit : « Je sens un feu précoce qui me dévore ». De sorte que l’auteur et l’imprimeur étaient montés sur une barque et avaient coulé les exemplaires de l’édition dans une baie de La Havane.

-Ce n’est pas rien, dis-je presque sans respirer, le corps rigide et les bras croisés. Moi aussi j’ai dû détruire plusieurs exemplaires de mon premier livre, parce que s’il avait continué à circuler il aurait fallu ajouter une liste d’errata, ou, comme dirait un cher ami « liste des rats ». Mais il y a des cas encore pires, comme celui des écrivains perfectionnistes qui, pour des raisons encore inconnues jusqu’à aujourd’hui dans les annales des sciences littéraires, se rendent malades pour une simple erreur de typographie. C’est le cas de Garcia Marquez, qui, avant d’être Prix Nobel, avait non seulement des problèmes incessants avec le papier de la machine à écrire, mais aussi « la mauvaise éducation de croire que les erreurs de mécanographie, de langage ou de grammaire, étaient en réalité des erreurs de création, et chaque fois qu’il les détectait il déchirait la feuille et la jetait dans la corbeille à papier pour recommencer ».

-Tu vois bien, tu vois bien, répéta le Tio. Tu n’es pas le seul à t’angoisser pour une erreur ni le seul qui maudit l’éditeur.

-Même si tu ne le crois pas, avec les années depuis lesquelles je me suis engagé dans ce noble métier, j’ai appris à découvrir les erreurs de typographie qui, après s’être cachées entre les lignes, t’apparaissent comme des animaux nuisibles là où tu les attends le moins. Malgré tout, c’est une grossière erreur de changer le nom du pays où tu es né, parce que c’est comme changer le nom de la mère qui t’a mis au monde. C’est pourquoi j’ai beaucoup souffert de voir dans mon livre le mot « Bolovie » à la place de « Bolivie ».

Le Tio, fier d’avoir ses origines dans les mines de l’altiplano, m’adressa un regard étincelant et dit:

-Je connais des écrivains qui s’arrachent les cheveux quand à cause d’une erreur involontaire, ou par l’intervention d’une main mystérieuse au moment de taper le texte, on change une lettre par une autre, on en enlève une ou on la supprime, modifiant le sens de la phrase ou du vers, même quand cette erreur produit des effets comiques.

-Comment cela?, lui demandai-je, sans cesser de penser qu’il se moquait de moi comme toujours.

-Comme les erreurs que je vais te mentionner maintenant, répondit-il, prêt à faire briller son grand sens de l’humour. Ce n’est pas la même chose si un politique dit : « Je vois avec délice ma patrie », ou « Je bois avec délice ma patrie » ; ou si un curé dit : « Les conquistadors apportèrent d’Espagne une foi catholique », ou « Les conquistadores apportèrent d’Espagne un foie catholique » ; pire encore si dans la phrase : « La puce accoucha d’une petite puce», apparaissaient les lettres « c » changées en « t » ; ou si dans la phrase « L’évêque pondéra les ravissants cultes des filles de Marie », disparaissaient les lettres « te » du mots « cultes ».

-D’où sors-tu tout cela, si tu ne sais ni lire ni écrire, lui lançai-je au passage, ébauchant un sourire à la mesure de sa malice.

-Ne déconne pas, répondit-il. Il respira profondément et se pencha vers moi, m’éclairant le visage avec la lumière de ses yeux. Je n’ai pas besoin d’être lettré pour lire les pensées des humains et sentir leurs crises d’angoisse dues aux erreurs qu’ils commettent dans leurs vies et dans leurs œuvres.

Je ne dis rien, comme quelqu’un qui se conduit comme une personne éduquée. Je gardai un court silence et, après avoir parcouru la pièce du regard, me vint à l’esprit l’anecdote des « errata et gros errata », que Neruda raconte dans son livre « Né pour naître », où il affirme que les erreurs dans un livre de poésie font profondément souffrir le poète. Les errata sont « comme des insectes et des reptiles armées de dards cachés sous le gazon de la typographie. Les gros errata, au contraires, ne dissimulent pas leurs dents de rongeurs furieux ». Il raconte aussi que, dans l’un de ses recueils de poèmes, un gros errata « assez sanguinaire » l’attaqua. Le poète indique : « Là où je dis ‘l’eau verte de l’idiome’ la machine se détraqua et apparut ‘l’eau verte de l’idiote’. Je sentis la morsure dans l’âme… ».

-Que t’arrive-t-il?, demanda-t-il comme en se plongeant dans mes pensées et me ramenant à la réalité. Tu es resté muet et con.

-Il n’y a rien, répliquai-je. J’étais en train de penser que la langue a aussi ses côtés très amusants, parce qu’elle se prête au jeu de mots et, comme diraient les philologues, à la « récréation ludique ».

-C’est juste, affirma-t-il. Voici des phrases qui, changeant l’ordre syntaxique des mots, acquièrent des connotations sémantiques différentes. Par exemple, « Un membre de la cour », ce n’est pas la même chose que « Une cour du membre », et il est différent de dire « Le sida a une cure » et « Le curé a le sida », ou encore « La Vierge de la mine, et la mine de la Vierge ». Un autre jeu de mots consiste à faire ce qu’on appelle des « palindromes », c’est-à-dire à faire constituer des phrases ou des mots qui s’écrivent pareil de gauche à droite ou de droite à gauche, et qui, en plus, conserve le même sens, comme dans le cas du mot « Oruro ». Ecris-le à l’envers et tu comprendras ce que je te dis.

-C’est vrai, constatai-je. Et tu as d’autres exemples?

-Bien sûr, répondit-il aussitôt. La preuve avec le mot « retâter » et si tu veux un palindrome plus long, voici une phrase entière : « Karine égarée rage en Irak ».

-Ah ah !, Je garde cette petite phrase, dis-je, mais comme je ne peux pas écrire mentalement de la droite à la gauche, parce qu’elle est longue comme la queue d’un lézard, je vais le faire avec un crayon et du papier au bureau.

Le Tio approuva ma décision de la tête, souriant et tranquille. Je pris le livre qui était sur la table, me retournai et sortis de la pièce, où le souverain des ténèbres resta assis sur son trône.

samedi 5 novembre 2011

Ladame de coeur


Une fois n’est pas coutume, je me suis plantée hier soir devant l’émission Thalassa, faute de motivation pour travailler et n’ayant plus de bon bouquin sous le coude. Grand bien m’en a pris ! Il faut dire que le sommaire autour de Saint Malo avait de quoi m’intéresser, moi la montagnarde totalement ignorante des villes côtières, de la magie d’une mer qui a plutôt tendance à me faire peur. Tout allait très bien, l’émission suivait comme à son habitude un rythme lent et reposant (attention, je n’ai pas dit soporifique ! En ce temps de vie accélérée et de voix criardes, je recherche plutôt des programmes comme Thalassa qui ont le mérite d’aller à mon propre rythme chaloupé dans la vie). Quand soudain, entre un survol aérien des fortifications de Saint Malo et un reportage sur le Bel Espoir, ce bateau où se nouent des aventures humaines hors normes, un portrait : celui de Sophie Ladame. Dès les premières images, ses yeux clairs et son beau visage ont de quoi captiver. Et puis on la voit dessiner, quel talent. Cette détermination dans le regard, tout de même… Je poursuis. Et la voici sur un bateau, ses mains agiles de dessinatrices agrippant maintenant solidement les cordages de son bateau. A ce moment, il devient impossible de zapper. Car ce n’est pas tout, la belle est une artiste totale. Nous la suivons au pas de course vers son cours de danse, dans lequel, parole de connaisseuse, elle brûle les planches de son énergie à la fois terrestre et marine. Cette fille est un courant d’air, mais elle ne se laisse pas porter au hasard, au gré des vents. Elle sait où elle va, pour elle tout est lié. Depuis son enfance à Tahiti jusqu’à ses voyages autour du monde, dessiner, danser, naviguer, tout fait partie d’une même dynamique. Suivez la direction de ses yeux clairs, elle vous conduira là où c’est la passion qui vous guide, là où il faut choisir et renoncer pour vivre au plus près de ses rêves, et les rêves ne souffrent aucun compromis. Artiste voyageuse, Ladame de cœur. Diva de la mer.

http://www.sophieladame.com/

Les écologistes de la Vallée d'Aoste accusent la RAI

La Legambiente accuse la Rai de la Vallée d’Aoste : « Le film sur la chasse était anti-éducatif »

La Legambiente contre la Rai. Le siège de la Rai de la Vallée d’Aoste est dans la ligne de mire, c’est le cas de le dire, de l’association écologiste pour avoir diffusé un documentaire sur la chasse.  Le programme, diffusé sur les chaînes le mercredi 2 novembre à 20 heures, dans l’espace normalement dédié aux programmes valdotains, a été qualifié par les dirigeants de la Legambiente d’ « anti-éducatif et d’un impact plus fort qu’une scène gratuite de sexe ».
« Il s’agissait d’une scène de chasse. Ou plutôt d’une exaltation de la chasse, présentée comme une activité pleine de charme, et surtout la volonté de célébrer la mort d’un cerf était évidente. L’exhibition du cerf tué, immortalisé comme un trophée, a pu rappeler une scène récemment vue, dont le protagoniste était un autre être, cette fois-ci humain : l’ancien dictateur libyen Kadhafi », peut-on lire dans une note envoyée par la Legambiente aux rédactions.
Les mots de la Legambiente, on peut en être sûr, ne passeront pas inaperçus et risquent de soulever des polémiques dans le monde des chasseurs et chez les dirigeants du service public.
La décision de diffuser le reportage, toujours selon les responsables de l’association, est encore plus grave parce qu’à un horaire « protégé » et, par conséquent, accessible aux enfants. « Le bon goût, si ce n’est pas logique, aurait déconseillé de telles images à un public non adulte : non seulement parce que certaines images étaient choquantes, mais surtout parce que le message de violence proposé, en dehors du fait qu’il était lié au thème de la chasse, n’était pas éducatif ».
(Aosta sera, 05/11/2011, traduit de l'italien par Emilie Beaudet)

vendredi 4 novembre 2011

Mort d'un roi du tango

Jerome Charyn, Mort d'un roi du tango, 1999.
On sort de ce roman comme d'un tourbillon, comme d'une plongée dans les souterrains de la Colombie, ceux de la cocaïne, des chercheurs d'or, des manoeuvres politiques et économiques et des liens ambigus avec les Etats Unis. Toute ressemblance avec des personnages existants n'est sans doute pas fortuite, et on le sait bien. Trop réaliste pour ne sortir que de l'imagination d'un seul homme, ce roman. Parfois la réalité est aussi romanesque que la littérature. D'ailleurs, tout au long de cette oeuvre marathon, écrite dans un style plus que dynamique, presque instinctif, ouragan, on ne cesse de chercher des correspondances entre ce qui est écrit, les personnages décrits et d'autres, célèbres, historiques.
Plantons rapidement le décor. Nous sommes en Colombie où plusieurs clans s'affrontent: celui des chercheurs d'or qui polluent les rivières amazoniennes en exploitant leurs richesses à grands rejets de mercure; celui des guerrilleros, pas comme les autres ceux-là puisque l'auteur a eu la brillante idée de faire de leur chef, figure mythique autant que carnassière, Ruben, un écolo qui organise le trafic de cocaïne pour nourrir les paysans et lutter contre la deforestation et la pollution provoquées par les orpailleurs friands de mercure; enfin, celui des autorités, qui luttent plutôt quand à elles contre le trafic de cocaïne et contre Ruben, pressées qu'elles sont par les résultats demandés par les Etats Unis, mais cela, ce n'est absolument pas de la fiction. A la tête du gouvernement ici, Bailen, ancien écrivain connu et reconnu pour avoir publié un chef d'oeuvre, La chute des magiciens, devenu homme politique et engagé dans le parti des Verts, co-fondé avec l'argent de la cocaïne de Ruben et qui peut nous évoquer un peu de Romulo Gallegos, écrivain vénézuélien ayant aussi assumé la fonction de Président de la République, ou bien un peu de Manuel Mejia Vallejo, célèbre auteur colombien ayant écrit un roman inspiré de la vie de Carlos Gardel. Car on a beau être en Colombie, le tango est partout et les rumbeadores où on le danse avec des couteaux est le repère des narcotraficantes. Cependant tout ce petit monde, narcos et gamins des rues de Medellin, est cerné par les soldats de l'armée colombienne et les troupes américaines en séjour permanent dans la ville. Ambiance de bas fonds, de prostituées, de tangos et de bombes. C'est dans ce bourbier que débarque la belle Yolanda. Des commandos Chrétiens américains, écolos financés par le gouvernement US, se sont mis dans la tête de la faire libérer de la prison Nord américaine où elle purgeait une peine pour complicité dans un braquage, afin qu'elle entre en contact avec son cousin éloigné, le fameux Ruben. Le but de la manoeuvre: débarrasser la Colombie du trafic de drogue en parvenant à un dialogue entre écolos états-uniens et écolos traficantes.
Tout le roman est donc extrêmement documenté mais développe une originalité sans limites et sans complexes de manière impressionnante, si bien qu'on hésite toujours entre le document et le chef d'oeuvre de fiction. De même, la langue, superbement traduite de l'américain par Marc Chénetier, est à la fois agaçante et géniale, parsemée de mots en espagnol colombien, entre la recherche d'authenticité et un véritable spanglish tel qu'on l'entend dans certains quartiers hispanos des Etats Unis. On se laisse donc entraîner sans vraiment réfléchir dans cette aventure linguistique, culturelle et surtout éminemment littéraire qui a su devancer la réalité (on a pu lire récemment dans les journaux colombiens qu'un ex guerrillero vient d'être élu à la Mairie de Bogota, justement soutenu par le parti des Verts), et sur laquelle plane sans disontinuer l'ombre de Carlos Gardel. Le tango comme expression du sens tragique de la vie, musique qui colle à la peau du Medellin et de la Colombie que nous dépeint Jerome Charyn dans ce roman de génie.

jeudi 3 novembre 2011

La culture dans le potager

Ce genre de reportages me met autant l'eau à la bouche que du baume à l'âme et de l'espoir en pagaille. Arte, GlobalMag, reportage à Montreuil (93), sur une parcelle en friche que, grâce à l'insistance d'une association, la mairie a bien voulu prêter à une famille de roms récemment installés dans la commune. Agriculteurs en Roumanie, cette opportunité leur permet d'exercer une activité qu'ils connaissent très bien, tout en tentant de s'insérer dans la société française. Les légumes poussent à foison, nourrissent la famille, servent à la préparation de repas lors de l'assemblée de l'association et autres rencontres sur le thème du partage et de l'accueil. La famille rom rêve maintenant de vendre des paniers de légumes aux voisins et ainsi de commencer à exercer une activité salariée, de s'assurer un avenir un peu moins sombre que celui qui les attendait sûrement sous un pont de l''autoroute A3. Car quoi de plus fraternel et en même temps philosophiquement intéressant que de nourrir les voisins français, la terre d'accueil, avec des produits "bio", dont les graines proviennent toutes exclusiment de Roumanie? Il est assez drôle de songer au parallèle entre les semences et le fait de chercher à s'implanter sur une nouvelle terre... C'est ce qui s'appelle joindre le geste à la parole. Et je me prends à rêver de ce monde là où chacun aurait quelque chose à offrir à l'autre (et où l'autre recevrait ce qu'on lui offre, mais ce n'est pas toujours le cas, dans un sens comme dans l'autre et vice versa, vous suivez?)
Suite du reportage, nous partons au Kenya, dans le plus grand bidonville du pays, sans cesse alimenté par l'exode rural. Là, des farfelus ont l'idée de créer un potager "bio": l'idée se creuse, germe et prend racine. Des habitants du township sont maintenant salariés de cette coulée verte entre les baraquements. La graine va se semer ailleurs puisque dans des cours, entre les murs de tôle, d'autres habitants font pousser des légumes, des arbres fruitiers dans des sacs de jute remplis de terre: de quoi faire de sacrées économies, éviter d'aller dépenser l'argent qu'on n'a pas au marché et nourrir la famille en fruits et légumes frais. Quelle fierté de faire pousser quelque chose dans cet enfer sur terre, quelle renaissance! L'occasion aussi pour ces migrants de la campagne de renouer avec leurs racines rurales et ainsi recréer un microcosme agricole aux portes de la métropole grouillante et polluée. Cela ne vous inspire pas, vous, cet élan vers la nature, ce retour aux sources, cette paix et cette humanité qui se dégagent de ces potagers improvisés et de ces gens qui les cultivent? Vous me direz sans doute que je vis dans un monde parallèle et que c'est une utopie... Mais si c'était ça l'avenir, si ce monde parallèle dont je rêve était la solution à nos problèmes de crise, de dettes et autres inflations monétaires? Un retour vers l'échange, la solidarité et le contact direct entre les gens et avec la terre. Songe halluciné d'une adoratrice de la Terre Mère, sans doute.
Sans doute, oui. Parce que d'ici j'entends déjà des voix qui disent "on ne mange pas de ce chou fleur là". Parce que depuis ma banlieue riche de Paris je perçois des échos de vieilles rangaines racistes encore plus vivaces que des mauvaises herbes. Je vois autour de moi des gens qui savent pester de manière virulente contre de jeunes blancs becs fumant du shit en bas de nos immeubles bien sous tous rapports, mais qui tracent à la ligne rouge (bleue blanc rouge?) une frontière entre ces sales gosses et les autres, ceux qui ne sont pas de la même couleur, ceux qui "ne sont pas latins" (je cite les paroles exactes d'une de mes voisines: sourire sans équivoque, question de gènes). Mal au coeur, mal aux tripes quand on a un enfant "pas latin" avec soi; mal aux tripes de ne devoir choisir qu'entre la banlieue béton-drogue-police et la banlieue argent-bon français-racisme. La mixité est donc définitivement impossible, non pas parce que, comme dit ma chère voisine, "on est trop différents, les origines, on ne peut pas vivre avec eux", mais bien parce que des gens comme elle sont tellement fermés qu'ils en oublient d'être humains. Et si ces "jeunes à casquette", ces africains, arabes et autres "basanés" se mettaient à cultiver des tomates pour faire fleurir leur avenir, je crois bien que ces français qui se croient "bons" préfèreraient redevenir carnivores... Et le pire étant qu'ils le revendiquent. Intolérance assumée.
N'avaient-ils pas ri, pourtant, au sketch de Fernand Raynaud sur le boulanger étranger découragé et harcelé par une population raciste qui préfère se priver de pain plutôt que de le voir pétrir par des mains étrangères? Ou bien peut-être ne se sont-ils pas reconnus?

mardi 1 novembre 2011

La presse italienne en croisade contre les gouvernements sudaméricains

Humala abandonne le modèle Chavez : « Mon Pérou est libre. »
(La Stampa, 24/10/2011)
Traduit de l'italien par Emilie Beaudet

Très gentille, Nadine Heredia, la première dame du Pérou, accueille les journalistes dans les salles fastueuses de marbre marqueté du palais présidentiel. Assistée du premier ministre Salomon Lerner Ghitis, elle offre du « Pisco sur », l’immanquable cocktail national, et une promesse importante : son mari, Ollanta Humala, viendra en personne à l’assemblée annuelle de la Société Inter Américaine de Presse (SIP), pour expliquer que le gouvernement de Lima « préfère avoir à faire à une presse parfois excessivement critique et unilatérale, plutôt qu’à une presse adulatoire et asservie ». Le lendemain, effectivement, Humala s’assied face à la tribune des medias américains et assure : « La liberté d’expression n’est pas en antithèse avec la démocratie. Je n’ai aucun ressentiment envers ceux qui m’ont attaqué pendant la campagne présidentielle et je vous écouterai quand vous me critiquerez. A condition que vous soyez inspirés par l’amour de la vérité, et non par l’intérêt économique. »
Pour l’observateur occidental, ces paroles ne ressemblent pas exactement à celles du président américain Jefferson qui, à un Etat sans journaux, préférait des journaux sans l’Etat, mais en Amérique du Sud elles représentent la promesse d’une exception. Un respect rare pour la liberté d’expression, qui reste menacée même après la fin des dictatures militaires, et le signe d’une nouvelle prise de distance avec le président vénézuélien Chavez. A la lecture de leurs biographies, Ollanta et Hugo semblent des frères jumeaux séparés à la naissance.

Humala est le fils d’un avocat communiste, a été militaire jusqu’à parvenir au grade de colonel et a participé à la lutte contre le Sentier Lumineux, s’attirant l’accusation d’avoir torturé ses prisonniers. En 2000 il a été à la tête d’un coup d’état manqué contre Fujimori, ce qui est maintenant un mérite, parce que Fujimori est maintenant en prison et qu’il est considéré au Pérou comme un dictateur. En 2006, il est candidat à la présidence avec un programme chaviste, à tel point qu’il portait une chemise rouge et le bruit courait que c’était Hugo qui finançait sa campagne. Il a perdu, mais cinq ans plus tard il s’est représenté, en prenant de la distance avec Chavez, pourtant touché par un cancer qui selon les médecins ne lui laissait que deux ans de vie.

Il dit que son modèle est devenu l’ex président brésilien Lula, et qu’il n’a aucune intention de démanteler le système économique libéral péruvien, capable d’apporter au pays une croissance qui oscille entre 6 et 7%, grâce à l’extraction de cuivre, d’argent, d’or et de zinc. Son objectif consiste seulement à le réformer, pour élargir le pourcentage de population bénéficiaire de tant de richesse. En juillet dernier, sur la base de ce programme, il est devenu président. Sur le plan économique, Humala a jusqu’à maintenant tenu ses promesses : il a nommé des ministres favorables à l’économie de marché, même si cela est dû au fait qu’au Parlement il a besoin des voix du parti de l’ex président libéral Toledo. Il a seulement augmenté les impôts sur les entreprises minières, pour recueillir des fonds à réinvestir dans le développement. Des USA,  il a dit qu’ils étaient un « partenaire stratégique ».

Son attitude envers les médias est un autre aspect de la prise de distance avec Chavez. Claudio Paulillo, directeur du journal uruguayen « Busqueda » et président de la Commission pour la liberté d’expression de la SIP, dénonce le fait que « les médias en Amérique du Sud sont poursuivis comme au temps des dictatures militaires, mais que l’on n’en parle simplement plus. Il suffit de penser qu’au cours des six derniers mois ont été tués 21 journalistes. » Des homicides perpétrés par le narcotrafic, mais aussi par la politique. Les leaders les plus dangereux sont Chavez, Castro, l’équatorien Correa et il nicaraguayen Ortega, mais aussi l’argentine Kirchner qui est en train d’étouffer les journaux « Clarin » et « La Nacion » en interdisant la publicité. « Dans ce contexte, dit Paolillo, la promesse de Humala est importante et la bienvenue. A condition qu’elle soit réelle, et pas seulement une stratégie du moment. »
Article très orienté, à mettre en parallèle avec un reportage diffusé il y a peu sur France Ô, sur la présidente Argentine Kirchner, harcelée par les médias, dont Clarin, qui représentent en Argentine un important contre pouvoir face auquel il est difficile de lutter et qui rend quasiment impossible toute tentative de réforme sociale...
A mettre en parallèle aussi avec la lecture de quelques grands journaux boliviens qui passent leur temps à critiquer systématiquement toutes les actions du président Morales...
Indéniable cependant, les cas Chavez et Castro...
La presse italienne prend position mais généralise et caricature... ça vous étonne?