mardi 15 novembre 2011

Même la pluie

También la lluvia, film de Iciar Bollain.
A l'époque de sa sortie, je n'étais pas allée voir ce film. Un film sur la Bolivie, sur Cochabamba et la guerre de l'eau, trois bonnes raisons pour m'éviter de revoir des images nostalgiques et douloureuses. J'avais évidemment vu le documentaire Guerra del Agua (en 3 parties sur You Tube) de Oswaldo Rioja Valdez et de Elizabeth Paravicini Garcia, et je n'étais pas sure, vu la violence des faits  et le traumatisme qui demeure dans les consciences, de vouloir revoir ces images dans une fiction cinématographique. Peur d'être replongée dans ces heures noires qui restent une blessure ouverte dans la chair de Cochabamba et de tous les boliviens. Et puis, le temps passant, toujours dans le cadre de l'étude de la culture latino américaine avec mes élèves, je me suis dit que pourquoi pas, pourquoi pas parler de la Bolivie sous un autre angle que celui de la culture musicale et folklorique, un angle social et économique. Alors hier soir, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai visionné le film.
Le résumé: un jeune réalisateur, Sebastian, et son producteur, Costa, partent en Bolivie, dans la région de Cochabamba, pour tourner un film sur Christophe Colomb, le début de la colonisation espagnole dans les Antilles et le rôle de Bartolomé de Las Casas et Montesinos, premiers défenseurs des indigènes face à la cupidité sans état d'âme des conquistadors assoifés d'or. Le recrutement des figurants puis le tournage des scènes s'enchainent. En parallèle de son rôle dans le film, l'indien Daniel Aduviri mène la lutte pour l'accès à l'eau des populations locales et contre les entreprises qui en ont augmenté le coût de 300 %. C'est là qu'entre la fiction et la réalité sociale s'installe un parallèle qui questionne les consciences et destabilise les certitudes. Les événements sociaux en questions ont lieu en 1999-2000, au moment de ce qu'on a appelé en Bolivie "la guerra del agua": mécontentement qui se transforme en rage face à la cruelle injustice et au mépris ancestral envers "ces indiens analphabètes", comme le dit le Président de la République bolivienne dans le film (le vrai de l'époque, le Général Banzer, ex dictateur réélu avec l'aide de la CIA, avait un discours tout à fait semblable). Mettant tout en oeuvre pour terminer leur film, Sebastian et Costa minimisent, refusent de voir les événements dramatiques qui touchent pourtant leurs figurants et l'un de leurs principaux acteurs, Daniel. L'ignorance, la distance, l'égoïsme, jouent comme dans un miroir avec la cruauté, le mépris, le rejet des conquistadors qu'ils mettent en scène dans leur fiction.
También la lluvia est extrêmement bien filmé: les scènes de fiction dans la fiction, les doutes et les certitudes de chacun des personnages, les rues de Cochabamba, la montée en crescendo du conflit qui finit en lutte ouverte contre l'armée, balles contre cailloux, bataille inégale. On sent que la réalisatrice s'est investie et documentée, car les images qu'elles a tournées ressemblent étrangement à celles du documentaire réalisé à l'époque. Rien n'a été laissé au hasard et c'est un véritable plaidoyer pour la souveraineté et la dignité des peuples; pas du tout un mauvais manifeste politique de gauche, plutôt une vision réaliste, crue, de l'histoire qui nous met face à nos faiblesses et nos préjugés. Ce film est un chef d'oeuvre et malgré la violence qu'il montre, il est un hymne à la Bolivie, une fresque humaine et sociale semblable au magnifique Carla's song de Ken Loach (mais rien n'est dû au hasard, puisque le scénariste de ce film de K. Loach est Paul Laverty, le même que pour También la lluvia...)

1 commentaire:

jacqueline a dit…

Moi, je l'ai revu, ce film, ce week-end, au Festival du Cinéma Rural de la Biolle... et l'émotion fut intacte pour cette deuxième séance au cinéma.
Quand on a passé un peu de temps en Bolivie, cela fait remonter beaucoup de sensations.