vendredi 18 novembre 2011

Miracles sur les cimes

Le Dauphiné d'aujourd'hui propose la video réalisée par le cameraman David Autheman lors de l'ascension organisée par Bruno Sourzac dans le but de partir à la recherche de son frère et de sa cliente, Charlotte Demetz, disparus dans les Grandes Jorasses. Les images montrent bien à quel moment, au terme d'une analyse des conditions météorologiques, la cordée de Bruno a dû renoncer face à une trop mauvaise météo. C'est d'ailleurs cela qui a sans doute perdu son frère. Dans ce dossier très intéressant du quotidien de Rhône Alpes, on retrouve d'autres articles sur l'historique de cette voie empruntée par le guide alpin et sa cliente ainsi que des documents retraçant les différentes ascensions et accidents les plus remarqués. On voit par exemple une photo de René Demaison sur son lit d'hôpital après une course dans les Jorasses. L'article évoque les quelques 160 morts ou disparus dans le massif du Mont Blanc depuis 1956 et les drames survenus à des alpinistes pourtant renommés et expérimentés. Chronique d'accidents malheureusement inévitables, l'avalanche ne prévenant pas et étant toute puissante, réduisant les hommes à l'état de chiffons emportés par la coulée blanche. Et puis l'article s'arrête aussi sur les "miracles", la survie, le retour après des heures et des jours dans une crevasse ou sur la glace de ceux que l'on n'attendait plus en bas. C'est le cas de Jean Bourgeois, monté en Himalaya sur le Versant Népalais et redescendu seul sur le versant Tibétain, alors que ses camarades de cordée avaient perdu tout espoir de le revoir vivant.
Cela me permet de faire le parallèle avec le livre de Jean Kouchner, Les miraculés de l'Alpe, 1991, que je viens par hasard de lire et qui revient lui-aussi sur l'incroyable épopée de Jean Bourgeois et d'autres miraculés du genre. Des enseignants en vacances partis pour deux jours et redescendus 14 jours plus tard à Sixt, en passant par l'alpiniste sorti d'une crevasse après plusieurs heures, sauvé par une cordée qui sortait de la même crevasse l'un de ses camarades qui venait d'y tomber, hasard du destin, les récits sont tous plus incroyables les uns que les autres. Et pourtant on ne s'en lasse pas. Il faut dire que le livre est extrêmement bien écrit et la voix du journaliste s'efface presque pour laisser la parole entièrement aux témoignages, avec un style ciselé dans lequel la réalité des faits se fond avec le talent de l'écriture fictionnelle. C'est en lisant tous ces chapitres sur les miraculés des cimes que l'on prend vraiment conscience du rôle indispensable des hélicoptères du PGHM dans notre Massif du Mont Blanc. Parce que dans le cas des Andes, par exemple, il n'y a rien d'autre à faire, en cas d'accident, que de prendre son courage à deux mains, de n'attendre aucun salut de l'extérieur et de redescendre comme on peut, avec ce qu'il reste de forces et de lucidité. Jean Kouchner nous relate l'exemple de Bernard Gachet, partis avec deux amis dans la Cordillère Royale en Bolivie et souffrant de difficultés à s'acclimater à la forte altitude autour du Nevado Illampu. Bernard grimpe quand même mais doit renoncer: maux de têtes, vertiges, vomissements, puis perte de conscience, coma, c'est le début de la fin. Pas d'hélicoptère donc, pas âme qui vive non plus. Juste, un peu plus bas, alors que les deux autres font glisser Bernard inanimé comme sur une luge, deux mineurs, puis un paysan qui prête sa brouette. Dans son véhicule cahotant, Bernard sort du coma, entre dans le délire. Il s'en sortira, se sera vu en rêve, il le dira, battre des ailes de toutes ses forces pour échapper à la spirale de la mort. Ce qui ressort aussi de ce récit et des autres, c'est le rôle joué par le conscient et l'inconscient. Le conscient qui se rend compte de la chute, froidement, qui constate, étrangement sans s'affoler, malgré la plongée vers une mort presque certaine et les blessures qui s'accumulent au fur et à mesure de la descente. Puis, les chocs sur les rochers se faisant plus rudes, os brisés, têtes littéralement éclatées, l'inconscient prend le relais, endort le corps, coma ou sommeil profond, oubli de l'accident au réveil. Entre les deux, une sorte d'état de grâce de celui qui, soit attend la mort avec paix et tranquillité, soit est convaincu de s'en sortir malgré tout, en tout cas se sent au bord de la béatitude, grisé par des sensations extrêmes, sans doute les mêmes qui poussent encore et toujours les miraculés, après s'être remis de leurs multiples accidents -certains les collectionnent- à retourner sur les cimes pour retrouver cet état euphorique entre la vie et la mort.

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