mercredi 29 août 2012

La Religion

Tim Willocks, La Religion, 2009.
Il y a dans ce livre autant de morts que dans l'Ancien Testament et dans les conquêtes de Mahomet réunis, c'est vous dire. La première scène est totalement dissuasive. Le roman fait plus de 900 pages. Et pourtant, je vous assure, ça se "lit bien", comme on dit. Non, je ne suis pas passionnée par les scènes d'horreurs ni avide de sang. Non, la barbarie ne me fascine pas. L'époque, si. Le XVI ème siècle, Soliman le Magnifique, Malte, les chevaliers Hospitaliers. Tout un univers. De violence et de fanatisme, certes. Quoique peu différent d'aujourd'hui... La nouveauté, le choix de l'auteur, c'est le personnage principal. Tannhauser et un allemand qui a été enlevé par les ottomans et a combattu dans les troupes des janissaires, qu'il a par la suite quittées. Même s'il penche du côté de la Religion, c'est-à-dire la chrétienté, il reste un électron libre. La barbarie est pareille de chaque côté, la noblesse des hommes aussi, la beauté et la sauvagerie des âmes également. Il ne faudrait surtout pas en faire une lecture pro-chrétienne. Il n'y a pas de parti pris. Du moins, c'est ce que j'ai cru lire entre les lignes. Ce qu'il en reste, donc, c'est l'absurdité de telle conquêtes, de telles guerres et, vision très moderne pour l'époque que celle de Tannhauser, le doute quant à l'utilité des religions. Le personnage passe ainsi d'un camp à un autre, sans aucun srupules, puisque les hommes sont les mêmes, ont les mêmes folies; puisque leurs leaders ont respectivement la même soif de pouvoir, Dieu et politique ne faisant qu'un. Ce qui, je le rappelle, est une constante tout au long des siècles. Le regard cynique et distant que porte le personnage sur son époque est extrêmement intéressant. Un énorme roman, un roman énorme, dans tous les sens du terme!

mardi 28 août 2012

L'atelier du potier

Terre. Chaîne des Alpes. Plan accéléré sur la descente. Aterrissage à Saint Gervais. Une porte ouverte dans une ruelle, en contrebas de l'église. On entre. Poussière. Gris et beige. Soudain, deux planètes bleues. Changement de dimension, retour à l'infini. Deux boules bleues, deux yeux ronds allumés d'enfant dans un visage de grand-père. Plongeon. Le potier.
"Viens, je vais te montrer quelque chose. Viens voir, viens avec moi."
Sourire malicieux. Le potier s'installe. Il se saisit d'un morceau de terre grise, en fait une boule, la plaque sur le tour, plonge ses mains dans l'eau, actionne son tour. La magie commence. La boule se transforme, s'élève, s'arrondit, s'allonge, prend forme. Le potier plonge sa main, creuse la terre, lui fait prendre la forme qu'il veut. Le tour s'arrête. On voudrait que ce ne soit jamais la fin. Le potier coupe le bol avec un fil, passe vivement une spatule en-dessous, le soulève délicatement. Il va aller rejoindre les centaines de pots, assiettes, tasses, plats, qui s'amoncellent sur des étagères précaires, en attente de cuisson.
"L'enfant, il me regarde autrement! Avant, je lui faisais peur. Maintenant, je suis un magicien! Ou un clown! C'est ça, un clown!"
Les yeux bleus regardent ailleurs, sont de plus en plus malicieux, se détournent pour nous laisser méditer. Déjà, il glisse ses chaussures sales et son tablier qui devait à l'origine être bleu vers le magasin. Ici, tout est bleu. Le tablier, les yeux, les émaux. Le potier s'approche, prend un air mystérieux, comme s'il allait nous livrer un grand secret.
"Hé!... Micro-ondes et lave-vaisselle, les bols!...
-Ahhh, très bien!... Je n'ai aucun des deux!
-Hé hé!
-Oui, on a le temps de faire réchauffer les choses...
-Ahhh! J'aime ça!..."
Il regarde de très près. Dans les yeux bleus, on voit des éclairs de folie, ou de génie. Une enfance infinie, une bonté tout aussi grande. Mais également la malice, le rire. Et une grande lucidité. Sur le monde, sur les choses. La placide assurance de celui à qui on ne la fait plus.
"Bonjour, bonjour! Messieurs dames!"
Ce n'est pas un masque, ce n'est pas le spectacle. C'est un art de vivre, c'est son caractère, sa nature. C'est lui, en entier.
"Regardez, messieurs dames, ce four! C'est un four italien. Vous n'en avez pas un comme ça dans votre cuisine, hein! 1600 degrés!"
Nouveau regard bleu malicieux qui balaie l'assistance, pour mesurer l'effet de la réplique.
Une heure plus tard, ou une éternité, un moment de rêve, un clignement de cils, il faut sortir.
"Au revoir!
-Sourire, sourire!"
Dernière remarque géniale, dernière pirouette de l'homme un peu fou, du potier magicien qui sonde les âmes en lançant ses yeux bleus en vous. L'homme qui plonge ses mains dans la terre, qui y a les pieds bien ancrés. Le chaman de l'émail, le distilleur de malice, le génie bleu. Rideau.

dimanche 26 août 2012

Les portes de l'été






Les portes. Blindées, ouvertes ou fermées, accueillantes, sévères, gondées, guindées. Portes peintes ou délaissées, portes à cadenas ou ouvragées. Portes d'ici ou de là-bas. De partout où l'on va.
Que se passe-t-il derrière les portes? Des fêtes animées, des vieilles dames qui lisent ou qui font la cuisine; des enfants qui jouent ou qui se battent, un artiste qui crée; une jeune femme qui danse, un chat qui dort et un chien qui le guette. Un clin d'oeil amusé, un sourire, des disputes, des draps froissés.
Qu'est-ce qu'on se dit derrière les portes? Et les conversations qu'on se fait juste sur le pas! La vie du village qui se commente, se déforme, se grossit et se distord. Les cancans et les nouvelles, les règlements de compte et les plaisanteries; les filles qu'on siffle et les enfants qu'on rappelle. A table!
La porte est un espace entre le dehors et le dedans, entre ce qui m'appartient, ce qui m'est cher et le monde extérieur. C'est à la fois un rempart et un passage, elle prend tous les visages.
Je suis intriguée par les portes. Je les photographie. Parce qu'elles sont belles. Pour les sonder, imaginer ce qu'elles cachent, ce qu'elles racontent, et si elles souffrent et si elles respirent. Une porte qui vit? Et pourquoi pas, puisqu'elle est faite dans le bois.

vendredi 24 août 2012

Lac de Vallon: déjeuner au Paradis

Non loin de Saint Jeoire se trouve un paradis sur terre: le lac de Vallon. L'avant dernier jour, quelques heures avant le départ, on n'a plus le coeur à grimper, peut-être par peur de ne plus redescendre! Surtout, ne pas alimenter la nostalgie. Mais on a quand même besoin d'aller encore en pleine nature, pour se remplir les poumons, les yeux et les veines de ces paysages et de cet esprit sauvage. Le Lac de Vallon est donc le lieu idéal pour conclure un séjour en Haute Savoie. Situé juste avant le hameau de la Chèvrerie, il étend ses eaux vertes au creux d'un panorama idyllique. Le tour du lac se fait en une petite heure mais on le prolonge volontairement, pour ne pas briser le charme. Ce n'est pas une rando, c'est une balade du dimanche. Pas exactement parce que le chemin est facile, mais surtout parce qu'on se voit bien la faire en famille, chaque fin de semaine, y revenir souvent pour se détendre, passer une journée à pêcher la truite ou tout simplement déjeuner sur l'herbe au bord de l'eau. Un vrai scénario impressionniste. Le Lac de Vallon est doublement attirant parce qu'il a une histoire tout à fait incroyable. Il est tout récent puisqu'il date de 1943. Cette année-là, un terrible glissement de terrain entraîne tout sur son passage et bouche le lit de la rivière. L'éboulement crée une sorte de barrage naturel et forme le Lac de Vallon. Aujourd'hui, quasiment en surface du lac, on aperçoit encore les fondations des anciennes constructions. On a peine à imaginer, en voyant la paix qui émane du lieu, la rapidité de la catastrophe et la panique qu'elle a dû susciter. Village enfoui, histoires perdues. Reste le plaisir de pique-niquer sur un tronc d'arbre, les pieds dans l'eau. Image du Paradis.



mercredi 22 août 2012

Sous le soleil de Valezan

Midi. L'église du village vient juste de se taire. Silence. Rien ne bouge. Le chien dort dans sa niche. Les vaches sont loin dans les alpages. Les habitants se sont réfugiés chez eux, dans la fraîcheur, derrière les murs de pierre et les portes de bois. Le soleil est au zénith. Même le vent retient son souffle. On marche dans un village endormi, à l'heure de la sieste. La chaleur tombe. Nous cherchons l'ombre. Il y a comme une envie de marcher pieds nus pour faire le moins de bruit possible, de demander à l'herbe sèche d'être discrète sous nos pas. Des souvenirs d'enfance dans les champs, l'odeur des foins, la moisson. Le blond des blés, le vert tendre d'un sentier en sous bois. Les morts du cimetière ont bien de la chance de reposer ici, entourés de tant de beauté et de paix. Calme. Tranquillité. Paix, envahis-moi. Parfois, par quelques détails, on se rappelle que la vie ici est rude, en hiver, quand la neige recouvre tout, uniformise tout, adoucit les pics et atténue les voix; quand le froid pique; quand il fait cru dans les chambres, le matin, et que le pied souffre d'être le premier à toucher le sol gelé, au bas du lit. Comme si les saisons s'étendaient sur des années, comme si l'été était si loin de l'hiver, et vice versa. Deux espaces temps bien distincts. Treize heures. L'église sonne un coup. Puis elle s'efface devant le silence. Le soleil cogne. Au village, il ne se passe rien. Le bonheur absolu.  







lundi 20 août 2012

Bain de foule au Lac Blanc


J’aurais aimé vous parler des immensités, du ciel bleu sans nuages, du silence de l’altitude. Mais aujourd’hui je n’ai entendu que du bruit. Le seul moment de calme, et peut-être n’en ai-je pas assez profité, ce fut dans le télésiège, au-dessus du monde. Avant et après, tout n’a été que chaos et bousculade. Embouteillage sur la route de Chamonix. Vraiment, je plains les chamoniards au mois d’août, qui ne peuvent pas mettre le nez dehors sans tomber sur des hordes de touristes. D’habitude, je fuis les grands centres touristiques. Mais que ne ferait-on pas pour avoir encore le plaisir de voir des étoiles dans deux yeux noirs. Aux Praz, pourtant, en voyant l’immense file d’attente au pied du téléphérique de La Flégère, une espèce d’instinct sauvage m’a presque fait renoncer. Une demi-heure plus tard, et c’était un moindre mal, nous le verrons plus loin, nous voici donc dans l’énorme benne, à survoler le golf de Chamonix. Puis, d’un coup de tête, nous voilà les deux fesses bien posées sur le télésiège, les jambes dans le vide jusqu’à l’Index.


2300 mètres de grande solitude ? Que nenni. Le chemin qui mène au Lac Blanc est impossible à manquer, c’est une autoroute. Toutes les générations s’entassent là, soufflent et renâclent, telle une colonne colorée de bagnards volontaires. Tout ce que vous aimez en montagne, oubliez-le. Le calme, le sourire, la fraternité, le partage… Oubliez. Ici, c’est le royaume des Nez Baissés. Plus personne ne se regarde, plus personne ne vous salue. On va droit devant, on se bouscule. On se croirait sur la ligne 13 du métro aux heures de pointe. Ici, il semble qu’on retrouve le type de personnage qui klaxonne à Paris quand toutes les voitures sont à l’arrêt, le même qui vous passe devant à la caisse du supermarché de la Côte d’Azur, ou encore celui qui chronomètre son moindre pas et étale ses prétendus records aux oreilles de tout le monde, bien fort, quand vous, vous êtes encore rougeauds et essoufflés par la montée. En somme, le royaume du con. Les cons sont partout, mais, dans ces lieux-là, ils sont à un  taux beaucoup plus élevé qu’ailleurs. Haute toxicité. Lac Blanc, Mer de Glace, Brévent, Aiguille du Midi, le con pullule au Paradis. Ceci étant dit, qu’il ne nous empêche à aucun moment de profiter de la vue grandiose, plus belle et différente à chaque virage. Une sorte de poster façon Joconde qui vous suit au fur et à mesure de votre parcours. La chaîne du Mont Blanc s’étale-là, dans toute sa splendeur et sa grandeur, éblouissante.



Malheureusement, le Lac Blanc n’est pas le genre de lieu qui pousse à la contemplation, où l’on aime à s’attarder. Bien au contraire, il nous fait fuir. Alors on redescend, parce qu’en mouvement, on est encore au moins sûr de transporter avec soi son minuscule espace vital et de ne pas se le faire piétiner. Le calvaire ne s’arrête pas là, puisqu’une heure d’attente entre le télésiège et le téléphérique représente la dernière torture –épreuve divine ?- avant de redescendre, totalement sonné par tant d’agitation. Ensuite, il faut retraverser Chamonix en voiture. J’ai fait ma bonne action. Je me suis rendue compte en discutant avec quelques personnes que mes lieux de prédilection restent méconnus du grand public. Je me suis bien gardée d’en faire la publicité. Demain, je retrouverai avec joie et soulagement la montagne comme je l’aime.

dimanche 19 août 2012

D'Axima à Aime

"C'est dommage, les écoles d'ici ne profitent pas du patrimoine que nous avons dans notre ville. C'est vrai, on a une superbe histoire, depuis l'époque romaine. Ils les emmènent à Lyon, je ne comprends pas. Non, c'est vraiment dommage."
C'est le discours que j'entends dans la bouche de la jeune femme qui s'occupe de l'accueil des visiteurs à l'entrée de la Basilique, et il s'illustre parfaitement dans cet impressionant bâtiment. La pierre massive résonne encore de toute son histoire et les fresques, tellement bien conservées, racontent les artistes, l'époque, les gens. On se sent impressionné, écrasé, intrigué, peut-être inquiet, curieux, aussi. Comme lorqu'on entre dans un lieu ancien et que l'on y imagine la vie qui s'y est déroulée ou achevée. Le même sentiment que dans un amphithéâtre en ruines ou dans les vestiges d'une ville antique. La Basilique d'Aime a été bâtie par les premiers chrétiens sur les ruines de fondations romaines. Tourments et remous de l'histoire.
Aime est une ville d'histoire. Nous voici dans la Tour des seigneurs de Montmayeur qui domine tout le village. Le Moyen Age est passé par là, avec son lot de terres à défendre et d'ennemis à combattre.
Plus tard, on le voit dans l'église paroissiale Saint Sigismond, l'époque s'est montrée un peu plus clémente et le baroque a pu s'enflammer ici aussi. On le voit bien d'ailleurs dans toutes les chapelles qui bordent les routes ou se cachent dans les villages au-dessus d'Aime.

D'Axima à Aime, un voyage dans le temps dans une ville aujourd'hui accueillante, chaleureuse, colorée.

vendredi 17 août 2012

Le glacier du Trient


Il y a l’autoroute familiale et il y a le minéral. Il y a la joie de partager son chemin et il y a l’ivresse de la solitude, le bonheur que le rugissement du torrent couvre les voix et empêche les conversations. Le rocher qui blesse et qui râpe, mais qui dans le même temps rend le cheminement plus difficile, donc plus élitiste. Quelque chose d’égoïste qui nous fait dire que plus c’est dur, moins on trouvera d’importuns. Encore une fois, une pulsion émotive, le désir de possession, la passion insatiable qui se fait rage de se remplir de montagne, de se transformer en elle, de ne plus jamais s’extraire de son sein. Pourquoi pas, même, d’en devenir prisonnier. Parfois, à certains moments, dans certains endroits, on se met à partager la vision de l’ermite, coupé du monde pour mieux s’enraciner dans un coin de celui-ci, se transformer en arbre ou en rocher, rester à vie les yeux rivés sur un paysage dont on sait qu’on ne se lassera jamais.
Alors, cela, les marcheurs qui s’arrêtent à la buvette ne peuvent évidemment pas le ressentir. Ne dévalorisons cependant pas le chemin ! Il part du Col de la Forclaz, juste après la frontière suisse, à quelques kilomètres seulement de Chamonix. Le sentier s’enfonce de suite en sous-bois. Jusqu’à la buvette, une heure plus loin, nous marchons en sens inverse d’un cours d’eau domestiqué, dévié de l’énorme torrent que nous verrons plus haut. L’aménagement est ingénieux, astucieux : l’eau passe dans des tunnels creusés dans la terre, sur des canaux construits dans le bois. Le chemin est plat, parfois étroit, parfois renforcé de pierres. D’un coup, l’esprit, qui n’est pas perturbé par la douleur de l’effort, s’évade sans peine. Nous voilà dans une vignette de Tintin et le Temple du Soleil, cheminant derrière les jurons d’Haddock.

A la buvette, de trois choses l’une. Le demi-tour serait une hérésie. S’il est dû à des contraintes de mobilité, admettons. Le sentier qui part à droite et suit le torrent est tentant puisqu’il démarre en enjambant un pont. De quoi se rêver encore en aventurier.
Mais, têtu comme une mule, on se doit de poursuivre dans les rochers. Il reste encore une grosse heure de montée, avec en point de mire le magnifique glacier du Trient. Le chemin est indécis, très flou. Tels des fous portant une idée fixe et connue seulement d’eux-mêmes, nous nous évertuons  à chercher une voie qui semble parfois ne pas exister. Les glaces bleutées nous absorbent et nous aspirent. Plus nous nous approchons, plus le torrent devient gros et tentant, plus le froid se fait vif. Il y a au pied du glacier un espace suspendu entre la vie et la mort. Un lieu entre deux où la folie pourrait nous prendre, où nous pourrions nous laisser envahir par la glace, la laisser nous geler, puisque notre esprit est déjà emporté. Le même attrait qui fait dire à certains qu’ils sont attirés par le vide.  Mais il nous faut redescendre. Peut-être la compagnie de nos semblables nous est-elle encore nécessaire ? Peut-être ne sommes-nous pas encore prêts à être ermites, à nous exiler en nous-mêmes ?...


jeudi 16 août 2012

Flâneries à Conflans


Pas besoin de passer la frontière pour se retrouver en Italie. Il suffit de traverser l’Arly, de passer sur la rive en face d’Albertville et de monter dans la ville médiévale de Conflans. Poser la voiture et se retrouver piéton, touriste dans son pays. On se laisse facilement dépayser, on se prête avec joie au jeu de la visite de la cité en suivant le petit plan qu’on nous donne, en bas des interminables escaliers. Car Conflans se trouve sur un promontoire. D’ailleurs, si l’on se place derrière les canons, on se rend bien compte que les boulets, comme le regard, avaient à leur portée un panorama gigantesque, un très bel accès à toute la vallée. Les ennemis n’avaient qu’à bien se tenir ! Ce qui est fascinant dans ce genre de visites, outre, bien sûr, l’image presque exotique de la grande place, ce sont les détails. Portes, fenêtres, poignées, sont les créateurs d’une ambiance, le piment de l’ensemble. Tout à Conflans rappelle que la Savoie n’est française que depuis peu et ramène à son histoire piémontaise. L’église est un joyau du baroque et la « maison rouge » un véritable palais toscan. Conflans nous rendrait presque adepte du « pourquoi aller ailleurs quand tout est ici »… Mais ce serait mal nous connaître !








mercredi 15 août 2012

Les 4 éléments d'Emosson


Emosson. Ou comment revenir chaque année au même endroit, par la même route, marcher sur les mêmes traces et ne jamais se lasser. Plus encore, en redemander. Y aller comme en pèlerinage. Une étape inévitable, un retour à la case départ. Peut-être pour voir si rien n’a changé, comme on dit. Ou plutôt, dans le cas des barrages d’Emosson, pour voir où en sont les travaux, car le site est en permanente modification. Les randonneurs en sont d’ailleurs tout déroutés. La vieille cabane aux volets rouges du Vieux Emosson est entourée de pelleteuses et de bulldozers, d’échafaudages et de poussière, si bien que l’accès au barrage supérieur est totalement réservé aux engins de travaux, tout comme la route qui relie le haut et le bas d’Emosson. Il faut aussi faire un grand détour pour aller repérer les traces de dinosaures. Les marcheurs en perdent leur latin. Cette année, j’ai choisi d’aller un peu plus haut que l’année dernière et de grimper jusqu’au sommet qui domine le barrage du Vieux Emosson. La vue sur le lac inférieur est immense, on surplombe cette grande masse verte qui se donne elle aussi parfois des allures de dinosaure. Je ne suis pas descendue jusqu’à la cabane, l’escalade jusqu’à ce point de vue idéal était suffisamment périlleuse pour les petites pattes pourtant solides du jeune chamois qui m’accompagnait. Là-haut, au-dessus du monde, tout près du ciel, paresser sur un rocher tout chaud de soleil, se laisser griller et frissonner tour à tour par les aléas de l’altitude. 2500 mètres et se sentir à la fois ailleurs et en lieu connu, où chaque virage, chaque pierre nous est familière. Puis, sentir un coup de vent froid, comme un vent du large, de l’océan, nous bousculer subitement et nous signifier que notre séjour sur ses terres doit se terminer. Il est temps de redescendre, de retourner vers les humains. A Emosson, laisser la roche nous envahir et nous coloniser l’intérieur, devenir minéral, eau et vent.






mardi 14 août 2012

Féérie suisse


Quittons pour une fois le Valais suisse et changeons de canton pour nous rendre dans celui de Berne. A quoi vous fait penser le nom de Gstaad ? Certainement à une station huppée de sports d’hiver, à des manteaux de fourrure, du rouge à lèvres excessif, des lunettes noires impénétrables et un style inégalable sur les skis. Et la neige à perte de vue. En été, tout  est différent. Et en changeant de canton, on change complètement de paysage. Le Valais, ce sont les vignes sur les terrasses, les abricotiers au bord du Rhône et le vent tiède des  vallées.  Le canton de Berne, ce sont les chalets à l’allure autrichienne, comme posés sur des prés étincelants. On dirait que les arbres même se sont retirés pour laisser place à cette féérie de verts et de bois. On approche de la perfection du dessin. L’architecte de la nature semble avoir exercé là ses crayons et ses pinceaux, tracé ses lignes au cordeau. Une vision qui se déguste comme un gâteau à la crème, comme les images des livres de notre enfance, Heidi, le chalet et les trois sapins. Un émerveillement.


Avec Aigle, nous revenons en terrain connu, quittons la langue allemande pour le français. Voici un château entouré de ses vignes. Rien d’autres que des vignes, des domaines, des crus, des familles. Une tradition séculaire et un bâtiment qui semble flotter au-dessus des milliards de grappes encore vertes au mois de juillet. Le château d’Aigle est un autre mirage de l’enfance, derrière les créneaux duquel on espère encore apercevoir la princesse attendant le cheval blanc.



Cette journée en Suisse s’achève sur une impression de bonheur puéril, innocent et qui se veut encore inconscient des dangers, des malheurs et des agressions de la réalité. Une douce plongée dans le rêve, juste histoire de se mettre soi-même quelques étoiles dans les yeux.

lundi 13 août 2012

En haut du Mont Clocher


Le Col des saisies, malgré son altitude encore modeste, est à la fois une station populaire, le tourisme de masse et l’immensité à perte de vue, des alpages à n’en plus finir, le tintement des sonnailles à 360 degrés. Avant le col, en venant de Hauteluce, on peut choisir d’éviter les immeubles pour s’échapper par une petite route qui monte sur la gauche. On arrive alors sur un plateau, le Col de la Lézette, à quelques 1700 mètres. Il faut alors s’empresser de laisser là la voiture. Les jambes en fourmillent tellement les possibilités de balades sont légion, dans toutes les directions. Nous choisissons aujourd’hui de partir le nez en direction du Mont Blanc. Celui-ci joue à cache-cache derrière des masses de coton immaculé. Qu’importe, nous nous lançons. Après avoir goûté la vue panoramique, nous quittons le chemin carrossable pour s’enfoncer dans la forêt de sapins. Cela sent les aiguilles et la résine, levons le pied : attention, racines. On monte, on descend, on remonte pour redescendre encore, de quoi fatiguer les jambes avec ce dénivelée capricieux. Plus loin, nous retrouvons le large chemin qui sépare les alpages, sans pour autant dissocier le son des cloches. Les belles ruminantes, à cette heure de l’après-midi, commencent déjà à se diriger, lentement mais sûrement, vers la traite. Une horloge dans les mamelles ou la ponctualité de l’instinct. Nous nous essayons aux toilettes sèches d’altitude, quand soudain le sentier nous indique une dernière ligne pas vraiment droite en perspective. Les dernières centaines de mètres vers le Mont Clocher se font sur un chemin à vaches, une sorte d’arête tord-chevilles, un brise-mollets. Mais le réconfort vaut bien l’effort. Là-haut, en plein vent, on frissonne autant de froid que du plaisir d’avoir réussi, de la sensation unique d’un tête-à-tête amoureux avec la chaîne du Mont Blanc. Un moment qu’on voudrait être le seul à connaître, un instant où, on l’avoue, on aime jalousement sa neige éternelle, on déteste méthodiquement chaque marcheur qui arrive au sommet après nous. Le retour, ce ne sont que 4 km les pieds en avant et le cœur en arrière, le regard qui balance entre les deux, qui tente de lancer son hameçon vers la gigantesque croix du Mont Clocher qui, du haut de ses 1880 mètres d’altitude, se fait de plus en plus petite. Elle a beau finir par disparaître, on l’a déjà plantée dans la cervelle, comme un virus, une image parmi tant d’autres qui se plaquera sournoisement devant nos yeux au moment le plus inattendu.






dimanche 12 août 2012

Marmottes land

Méribel. Un nom qui ne fait pas forcément envie en été. On a des souvenirs de Flaine, station d’hiver totalement sinistrée et vieillie en été, quand la neige s’absente et la met à nu pour en découvrir toutes les rides et les fissures. Méribel, certes, n’en est pas du tout là. C’est une station agréable, toute de bois vêtue, propre et à première vue accueillante. Mais c’est une station. Elle a des souterrains sous les immeubles, des parkings habilement cachés, des rues qui passent en tunnels. Elle est idéalement pensée, mais elle n’a pas d’âme. La nature environnante l’a-t-elle perdue aussi ? Notre mission est de le découvrir.
Au-dessus de Méribel, allons donc faire un tour, et pourquoi pas le tour, du lac de Tuéda.  Les pêcheurs pêchent et les marcheurs marchent. Jusque-là, rien d’anormal. Essayons encore d’oublier la station en contrebas. Montons, cachons-nous dans la forêt pour retrouver l’odeur des sapins et le scintillement des torrents. Enfin débarrassés de la civilisation – plus on monte, plus on est seul -, nous voici sur des pentes dignes de ce nom, dans un recoin de la Tarentaise, entre les rochers et les sifflements toujours plus insistants des marmottes. La montée est raide mais, au détour d’un virage, nous nous retrouvons sur ce qui ressemble à un altiplano andin. Et au-milieu coule un torrent. Que dis-je, il rugit, il fonce, il gronde et il turbine. Tout semble si paisible pourtant, comme arrêté. A droite du fleuve intérieur, c’est clair comme de l’eau de roche. On pourrait s’accroupir et passer sa vie à compter les galets dans le filet de rivière qui passe ici. Si on remonte son cours, on arrive jusqu’à un lagon. Il faut le voir pour le croire. Un petit lac turquoise, transparent, exotique, incongru, tahitien. Mais la vie est ailleurs.



A quelques mètres de là, dans les ruines d’anciens refuges de bergers, des nez frissonnent, des moustaches se trémoussent, des poils se dorent au soleil. Qui l’aurait cru : au-dessus de Méribel, c’est le royaume des marmottes. Ce ne sont pas quelques spécimens égarés qu’on devine à peine à la longue vue. Ce sont des colonies, des familles entières. Sur le plateau, les marmottes sont plus nombreuses que les hommes. Et elles le savent. Elles sifflent pour la forme, pour nous narguer, mais elles savent bien qu’elles sont les maîtresses du lieu. Elles nous dominent, nous mènent par le bout de leur nez. Gros plan sur la fourrure. Du coin de l’œil, elles nous surveillent, nous jaugent, nous épient – se moquent ?-. On en oublierait presque de respirer tellement on est près, tout près d’elles. Est-ce que ce sont les 400 mètres de dénivelée ? Est-ce que c’est l’ivresse des sommets, ce bégaiement de la parole et de l’esprit propre à l’altitude ? Est-ce que ce sont des mirages ? Nous nous sentons aussi drôles que si nous avions croisé des lutins. Pour de vrai.