mardi 28 août 2012

L'atelier du potier

Terre. Chaîne des Alpes. Plan accéléré sur la descente. Aterrissage à Saint Gervais. Une porte ouverte dans une ruelle, en contrebas de l'église. On entre. Poussière. Gris et beige. Soudain, deux planètes bleues. Changement de dimension, retour à l'infini. Deux boules bleues, deux yeux ronds allumés d'enfant dans un visage de grand-père. Plongeon. Le potier.
"Viens, je vais te montrer quelque chose. Viens voir, viens avec moi."
Sourire malicieux. Le potier s'installe. Il se saisit d'un morceau de terre grise, en fait une boule, la plaque sur le tour, plonge ses mains dans l'eau, actionne son tour. La magie commence. La boule se transforme, s'élève, s'arrondit, s'allonge, prend forme. Le potier plonge sa main, creuse la terre, lui fait prendre la forme qu'il veut. Le tour s'arrête. On voudrait que ce ne soit jamais la fin. Le potier coupe le bol avec un fil, passe vivement une spatule en-dessous, le soulève délicatement. Il va aller rejoindre les centaines de pots, assiettes, tasses, plats, qui s'amoncellent sur des étagères précaires, en attente de cuisson.
"L'enfant, il me regarde autrement! Avant, je lui faisais peur. Maintenant, je suis un magicien! Ou un clown! C'est ça, un clown!"
Les yeux bleus regardent ailleurs, sont de plus en plus malicieux, se détournent pour nous laisser méditer. Déjà, il glisse ses chaussures sales et son tablier qui devait à l'origine être bleu vers le magasin. Ici, tout est bleu. Le tablier, les yeux, les émaux. Le potier s'approche, prend un air mystérieux, comme s'il allait nous livrer un grand secret.
"Hé!... Micro-ondes et lave-vaisselle, les bols!...
-Ahhh, très bien!... Je n'ai aucun des deux!
-Hé hé!
-Oui, on a le temps de faire réchauffer les choses...
-Ahhh! J'aime ça!..."
Il regarde de très près. Dans les yeux bleus, on voit des éclairs de folie, ou de génie. Une enfance infinie, une bonté tout aussi grande. Mais également la malice, le rire. Et une grande lucidité. Sur le monde, sur les choses. La placide assurance de celui à qui on ne la fait plus.
"Bonjour, bonjour! Messieurs dames!"
Ce n'est pas un masque, ce n'est pas le spectacle. C'est un art de vivre, c'est son caractère, sa nature. C'est lui, en entier.
"Regardez, messieurs dames, ce four! C'est un four italien. Vous n'en avez pas un comme ça dans votre cuisine, hein! 1600 degrés!"
Nouveau regard bleu malicieux qui balaie l'assistance, pour mesurer l'effet de la réplique.
Une heure plus tard, ou une éternité, un moment de rêve, un clignement de cils, il faut sortir.
"Au revoir!
-Sourire, sourire!"
Dernière remarque géniale, dernière pirouette de l'homme un peu fou, du potier magicien qui sonde les âmes en lançant ses yeux bleus en vous. L'homme qui plonge ses mains dans la terre, qui y a les pieds bien ancrés. Le chaman de l'émail, le distilleur de malice, le génie bleu. Rideau.

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