samedi 26 février 2011

Le Carnaval de Oruro: Nina Nina et le Chiru Chiru

La vénération à la Vierge du Socavon, patronne des mineurs et du Carnaval, repose sur deux légendes. Les deux histoires ont lieu à la fin du XVIII è siècle, à la veille de l'Indépendance de la Bolivie.

D'abord le Chiru Chiru: célèbre voleur, prenant aux riches de la bonne société pour distribuer son butin aux pauvres. Un jour, il se prend à voler une famille pauvre. C'est alors la Vierge qu'il vénère, celle de la Candelaria, qui le punit.

Ensuite, Nina Nina: amoureux transi, poursuivi par le père de sa bien aimée, il est assisté dans ses derniers moments par une ñusta ou princesse indigène. La rumeur associe la ñusta à la Vierge de la Candelaria.

Aussitôt, le sanctuaire de la Vierge devient célèbre. Point important, il se situait dans le quartier minier de San José à Oruro, plus précisément près de la mine "pie de gallo". La Vierge de la Candelaria devient alors Virgen del Socavon, de la mine. Naturellement, elle devient la protectrice des mineurs. On dit que les apparitions des deux légendes -qui au passage s'entremêlent- auraient eu lieu au mois d'août. Mais à l'époque de la Colonie, les espagnols n'accordaient que quelques jours de congés dans l'année aux forçats des mines, et ce pendant le Carnaval. Les mineurs ont donc dû rendre le culte à la Vierge du Socavon à ce moment là, qui, en plus d'être la patronne des mineurs, devient celle du Carnaval de Oruro.

La Vierge du Socavon est vénérée par tous, par les mineurs et par le reste de la population. On voit même, lors de la bénédiction à l'Eglise qui précède la fête, des yatiris ou "sorciers" indigènes venir la prier en quechua. De même, on ne sait plus si les fumées de la q'oa, la cérémonie rituelle d'offrandes à la terre, se dirigent vers la Pachamama ou vers la Vierge. La confusion est totale.

La Virgen del Socavon rassemble, elle est symbole d'unité.

Voici une video du groupe Llajtaymanta qui regroupe dans ses images les deux légendes du Chiru Chiru et de Nina Nina:


Samedi Gras

Toujours dans l'ambiance du Carnaval, je me lance dans une recette que, j'avoue, j'avais lâchement refusé de tenté jusqu'ici:
Bugnes de Savoie
300 g de farine
100 g de beurre
1 verre de lait
2 oeufs
1 pincée de sel
1 cuillère à café de levure
1 cuillère à café de fleur d'oranger
Mélanger la farine, le sel et la levure
Y incorporer les oeufs, le lait et la fleur d'oranger
Ensuite, verser le beurre préalablement fondu
Compléter avec ce qu'il faut de farine et pétrir la pâte
Laisser reposer quelques heures...
Etaler la pâte sur un plan de travail et y découper des formes originales
Plonger les morceaux de pâte dans l'huile (jai fait avec de l'huile de colza)
Quand ils sont bien dorés et gonflés, les égoutter sur du papier et les saupoudrer de sucre glace:
voici vos bugnes!!
J'avoue, je me suis brûlé la langue pour goûter, mais chaud, c'est tellement bon.
Un bémol: l'odeur de friture dans toute la maison, sur les vêtements, les cheveux...
A faire avec un foulard peut-être??

jeudi 24 février 2011

Le Carnaval de Oruro: la légende de Huari

Nous voici donc arrivés au point fort de notre série sur les carnavals de Bolivie, puisque nous nous rendons enfin à celui de Oruro, le plus célèbre d'entre eux, l'un des plus importants au monde en terme d'affluence, l'un des plus riche en folklore et en histoire aussi.
C'est en abordant sa légende et plus tard quelques unes de ses danses que nous comprendrons toute la profondeur de ce rendez vous culturel qui est loin de n'être qu'un spectacle.
Mais entrons plutôt dans ce temps hors du temps qu'est celui des mythes...
Le peuple Uru semble être l'un des plus ancien des Andes. On rencontre encore certains de ses membres aux abords du lac Titicaca ou encore dans la région du lac Poopo. Leur langue, le pukina, reste unique et encore parlée par certains de leurs descendants, les Chipayas, vivant dans la région de Oruro. Ce qui réunit ce peuple géographiquement dispersé, c'est une histoire commune, celle d'une opposition historique avec les Aymaras qui les ont toujours persécutés. Malgré ces persécutions, la tradition a survécu, puisqu'on peut encore voir des Chipayas lors de la Anata Andina de Oruro, qui correspond à la entrada autoctona, à l'origine du Carnaval. Par ailleurs, c'est sur la légende de Huari, le dieu des Urus, que repose le ciment culturel de la fête.


Selon la légende donc, le dieu Huari aurait voulu châtier son peuple qui se détournait de lui pour honorer d'autres croyances. Il déclancha sur les Urus une série de quatre plaies: une vipère géante, un crapaud, un énorme lézard et une invasion de fourmis. A chaque fois, pourtant, une ñusta ou princesse indienne les pétrifia ou les transforma en poussière. Face à ces échecs répétés, Huari se réfugia donc dans les entrailles de la terre. Plus tard s'est opérée une confusion entre la ñusta et la Vierge Marie: de là à dire que la Vierge catholique avait sauvé le peuple Uru de la sauvagerie de son dieu, il n'y avait qu'un pas. Pourtant, la nouvelle religion apportée par les européens ne signe pas ici son triomphe. En effet, le dieu Huari, réfugié dans les entrailles de la terre, retrouve tout son prestige lorsqu'il devient le protecteur des mineurs exploités pendant la colonisation par des espagnols assoifés d'or. Il est alors le symbole des cultes clandestins jamais oubliés. L'amalgame avec le diable l'amènera peu à peu à devenir le Tio, la divinité de la mine, celui là même qui, lors du Carnaval, quitte son royaume souterrain pour venir danser avec son peuple, réaffirmant par là même la vivacité de toute une culture ancestrale persécutée mais jamais dominée.

Chipayas en la Anata Andina de Oruro - febrero 2009 - Photo:Luis Chugar

CONTES DE LA MINE

Le Tio au Carnaval

Les mineurs, lorsqu'ils font l'akullico* de coca et boivent des gorgées d'eau de vie, racontent que le Tio, divinité du Bien et du Mal, danse lors du Carnaval avec son costume de Lucifer, défie l'archange Saint Michel et s'amourache de la chinasupay avec ses désirs ardents comme l'enfer.

“Arrr! Arrr! Arrr!, brame-t-il aux quatre vents, sans cesser d'exciter avec sa cape de lumières les batraciens et les reptiles de son royaume.

Le Tio fait claquer son fouet, donne des coups de verge et danse au rythme des musiciens, tandis qu'il implore la Vierge de la Mine pour qu'elle continue de protéger les mineurs, lesquels dansent aussi sa diablada avec ferveur, conscients du fait qu'à toute chose malheur est bon.

Glossaire:

AKULLICO: m. Boule de feuilles de coca que l'on mâche pour en extraire le jus stimulant.
CHINASUPAY: f. Diablesse. Déesse et épouse du Tio.
DIABLADA: f. Danse du Carnaval mettant en scène le diable, le Tio de la mine.

Kullawas, Ojos de cielo, 2011


Non seulement ils sont sympa, ils sont simples, mais en plus ils ont du talent!!
Et bien croyez moi, ce n'est pas toujours le cas...
Allez les voir en concert, rencontrez les dès que vous pouvez, les Kullawas sont des gens à connaître!

lundi 14 février 2011

CONTES DE LA MINE

El lamero*

Le lamero était un paysan de la vallée; il avait un physique athlétique et les yeux verts comme la coca. Il était avare de paroles et méfiant avec les inconnus. Dans la mine, il marchait la tête baissée, sans parler ni regarder personne, pas même le Tio, dans la galerie duquel il s'asseyait seul, comme isolé dans son propre monde. Ses camarades le jugeaient étrange, parce qu'il semblait presque toujours être en train de prier. Certains disaient qu'il était arrivé à la mine car il fuyait la justice, après avoir commis un crime passionnel dans la chicheria de son village, où il avait connu une femme qui l'avait trompé avec son meilleur ami. D'autres disaient que le mobile du crime ne correspondait pas à un règlement de comptes dû à une querelle amoureuse qui avait eu lieu dès le début de l'histoire, mais à un acte d'honneur qui, au fil du temps, se transforma en un remord qui ne le laissait pas vivre ni trouver le sommeil. Dans sa tête était resté gravé l'impact des coups de poing et dans son âme était entrée une angoisse plus lourde qu'une pierre tombale. Et, bien qu'il venait juste d'avoir trente ans, il se sentait comme un vieillard attendant la mort.

Le dernier jour où le lamero se réveilla angoissé, l'aube était froide et la lumière qui pénétrait par la fenêtre, traversant les carreaux, lui brûla les yeux, l'éblouissant. Il toussa avec l'intensité des malades de la silicose et s'étira dans son lit sans soupçonner que cela serait le dernier jour de sa vie, bien que sa concubine de l'époque, une femme superstitieuse qui savait lire les pensées occultes dans la lumière du regard, lui dit que dans un rêve elle avait vu traverser la porte une charrette de feu tirée par deux chevaux, dont les sabots brisaient le silence de la nuit. Le cavalier, qui avait l'aspect d'un bouc, annonçait la mort à grands cris tandis qu'il faisait siffler un lasso dans l'air.

Le lamero, sans écouter le récit de sa concubine, se leva du lit et s'habilla le dos au mur. Il prit son petit déjeuner et mit en bandoulière son sac de Calcutta.

Sa concubine se retourna dans le lit et, convaincue que le rêve lui avait annoncé la tragédie, lui dit:

-Ne va pas à la mine. J'ai le pressentiment que je ne te reverrai jamais en vie.

Le lamero ne répondit pas. Il enfonça son casque jusqu'aux sourcils et s'enveloppa dans son écharpe. Sa concubine se leva et tenta de le persuader, mais comme ses prières n'obtenaient aucune réponse et que ses explications ne parvenaient pas à rompre le mutisme de cet homme taciturne, elle retourna au lit, s'accrocha aux couvertures et éclata en sanglots, résignée à perdre celui qu'elle avait commencé à aimer avec toute la fureur de son âme.

Le lamero ouvrit la porte et gagna la rue, où le vent soufflait avec une force intenable, se faufilant dans les fentes des portes et des fenêtres.

Une fois à l'intérieur de la mine, il se dirigea vers la galerie du Tio, où il mâcha des feuilles de coca et fuma des k'uyunas. Ses camarades, le saluant avec le même respect avec lequel ils saluaient le Tio, sortirent de la galerie et le laissèrent tranquille, car, par l'air qu'il prenait, il semblait supplier le Tio de ne pas le laisser mourir dans les galeries ni être vaincu par le danger. Ce qui est certain, c'est qu'après le Tio et la Chinasupay, il était l'ouvrier le plus respecté de l'intérieur de la mine, où il avait su gagner la confiance et l'amitié de tous, depuis le gérant de l'entreprise jusqu'au dernier travailleur du sous-sol. Personne ne mettait en doute son courage ni sa force physique. Tous savaient, d'une certaine façon, que le lamero était un homme suicidaire, capable de grimper sur les hauteurs, de livrer une bataille cyclopéenne contre les rochers et de défier la mort. C'était lui qui menait la recherche du minerai et lui qui décidait du sort du lieu de travail. En lui se concentraient l'expérience collective et le savoir populaire; il était ingénieur autodidacte et possédait l'instinct d'un chimiste, non seulement parce qu'il savait reconnaître la loi du minerai d'un simple regard, mais aussi parce qu'en tâtant un morceau de roche, en le sentant et en le goûtant, il pouvait détecter le lieu où se cachait la veine.

Lorsque le lamero termina le pijcheo, quitta le Tio et se dirigea vers le lieu où le laborero et le chef de la galerie l'attendaient avec inquiétude. Le moment était venu de dynamiter la roche, d'apaiser ses nerfs et de garder son calme. Le lamero accrocha son casque avec une corde qui lui passait sous la mâchoire, très près du cou, et prépara le matériel pour régler le tir à trente mètres de hauteur. Dans son sac de Calcutta, il mit les cartouches de dynamite, les mèches de vingt mètres de long, les détonateurs, les allumettes et la glaise pour fixer la charge explosive dans une crevasse du rocher. En dehors de son sac de Calcutta, il portait un marteau-piolet pointu à la ceinture, comme les alpinistes prêts à défier les dangers de la montagne. Il n'avait pas de crampons sur ses bottes, n'utilisait ni mousquetons, ni cordes en nylon. Ses mains robustes lui suffisaient, dont les doigts, longs et noueux, avaient des ongles aiguisés telles les griffes d'un félin. Il cracha une salive verdâtre sur la paume de ses mains, s'accrocha aux anfractuosités de la roche et ses muscles se tendirent comme les cordes d'une harpe.

La fente verticale, qui donnait le vertige rien qu'en la regardant, s'ouvrait comme une cheminée dans la beauté du quartz cristallisé. Mais le lamero, non sans avoir auparavant admiré la nature indomptée cachée dans le sous-sol, aussi belle que celle de l'altiplano, continua à grimper sur les marches faites de callapo, qu'il disposait en forme d'escalier tandis qu'il montait vers la voûte, sans autre pensée que celle d'atteindre cette énorme entaille de la montagne, où il devait préparer le tir et dynamiter la roche.

Il savait que l'ouverture, avec ses crevasses et ses pics, présentait des risques graves, qui n'étaient pas toujours compensés par la satisfaction de se sentir comme un homme araignée, car chaque fois qu'il était au sommet, se balançant dans les hauteurs comme un équilibriste, s'ouvrait à ses pieds un abîme sans fond, où il pouvait tomber sans autre consolation que celle de connaître une mort instantanée. Cependant, ce système de travail, réalisé à vingt ou trente mètres d'altitude, paraissait lui offrir une satisfaction d'ordre moral, comme si s'était développée en lui une passion morbide pour les ascensions périlleuses. Il était habitué à jouer avec la mort et avec le sang froid de ses camarades, lesquels le suivaient du regard, pas à pas, millimètre par millimètre, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un point de lumière oscillant dans les hauteurs.

Le lamero, suspendu à la voûte comme une chauve souris, sortit le matériel explosif de son sac de Calcutta et prépara le tir avec une précision d'artisan, tandis que le laborero et le chef de la galerie, le regardant depuis le bas, la nuque inclinée vers l'arrière et les yeux tournés vers le haut, attendaient patiemment la fin de la tâche.

Le lamero, qui avait appris à combattre sans trêve contre les rochers, mit le feu à la poudre sur la mèche et se prépara à descendre par la même échelle par laquelle il était monté entre la lumière et l'ombre. Soudain, comme s'il allait sauter dans le vide, il fut précipité et rebondit sur les pointes aiguisées de la roche.

Lorsque son corps s'écrasa contre la parrilla, le laborero et le chef de la galerie, remplis de stupeur et secoués par le désastre, constatèrent que le lamero avait la tête brisée et les os transpercés. Ils ne perdirent pas de temps. Ils levèrent le corps et cherchèrent refuge dans une galerie voisine, dans l'attente de l'explosion de dynamite, dont la détonation détacha de grandes plaques de roches et fut suivie par l'apparition d'une fumée épaisse qui sentait le bouillon de poule. La seule chose qui resta dans la fissure fut le casque du lamero, avec la lampe allumée comme une étincelle dans l'obscurité.

-Quelle merde! Cette fois il n'a pas réussi comme d'habitude, commenta le laborero, tandis qu'une larme lui brisait le visage.

Ensuite, ils gardèrent un silence respectueux, jusqu'à ce que le chef de la galerie dise:

-Ses forces et l'expérience accumulée pendant tant d'années de travail ne lui ont servi à rien.

-Cela ne lui a servi à rien non plus d'être le troisième maître de la mine, après le Tio et la Chinasupay, répliqua le laborero, les yeux brillants et la respiration étouffée entre la poitrine et le dos.

A la fin de la journée, quatre mineurs portèrent le cadavre jusqu'à chez lui, où sa concubine les reçut, baignée de larmes et déjà vêtue de deuil.

-Je le savais, sanglota-t-elle. Ce n'est pas pour rien que je lui avais dit ce matin que mon rêve avait annoncé sa mort...

Les mineurs, prononçant des paroles de condoléances, étendirent le corps sur le lit. Ils le lavèrent et lui changèrent ses vêtements. Ils le déposèrent ensuite dans un cercueil noir, qui fut veillé au siège du Syndicat, où tout le monde vint se recueillir, depuis le gérant de l'entreprise jusqu'au dernier travailleur de la mine.

Pendant un jour et une nuit, rassemblés autour du défunt et accompagnés par des pleureuse, ils mâchèrent des feuilles de coca et burent des gorgées d'eau de vie, tout en exaltant les prouesses et la figure du lamero, qui mourut avalé par cette ténébreuse profondeur qui s'ouvrait à ses pieds chaque jour.

Le lendemain matin, après avoir accompagné le cortège funèbre jusqu'au cimetière, ils enterrèrent le cercueil dans une fosse pierreuse, avec l'espoir qu'enfin il trouve la paix dans son ultime demeure. Car ils savaient tous que le lamero, après avoir commis un crime passionnel dans son village, était venu purger ses peines dans le calvaire de la mine, où il avait gagné le respect et l'admiration des travailleurs qui le considéraient comme un homme suicidaire.

Glossaire:

ALTIPLANO: m. Haut plateau des Andes entre deux cordillères.
CALCUTTA: f. Sac résistant importé de Calcutta (Inde). Il sert à envelopper le minerai.
CALLAPO: m. Tronc d'arbre qui sert de marche dans la mine.
CHICHERÍA: f. Magasin où l'on vend la chicha (boisson alcoolisée faite à partir de jus de maïs fermenté).
CHINASUPAY: f. Diablesse. Déesse et épouse du Tio.
K’UYUNA: m. Cigarette de facture rustique.
LABORERO: m. Chef d'un groupe d'ouvriers.
LAMERO: m. Ouvrier chargé de lamear ou de provoquer l'explosion de dynamite.
PARRILLA: f. Grille au sol de la galerie par laquelle les mineurs font passer le minerai.
PIJCHEO: m. Action rituelle de mâcher de la coca.
Illustration: El tío de la mina, Potosí. Dibujo de Richard Beurgogne.

(traduction: émilie beaudet)

Le Carnaval de Potosi

Partons aujourd'hui à Potosi, dernière escale de notre série sur les Carnavals de Bolivie. Dans cette ville minière située à quelques 4000 mètres d'altitude et dominée par le Cerro Rico, l'influence du monde des mines sur les festivités est évident. A Potosi, le Carnaval coïncide avec l'ancienne procession des mineurs qui descendaient les croix christiques et les vierges protectrices de leur section de travail vers le centre ville, pour aller leur faire "écouter la messe" et ainsi "recharger" leurs pouvoirs. Le catholicisme se mêle dans ces figures aux croyances ancestrales.

Ce qu'on appelle le Carnaval minero, existe depuis les années 40. Les mineurs, deux semaines avant le Carnaval, descendaient vers la ville (les quartiers des mineurs se trouvent sur les hauteurs) en suivant leurs croix, les Tata Ck'ajcha, sans atours, avec leur équipement de travail: bottes et casques. C'était alors le seul moment où les mineurs et le reste de la société se côtoyaient; le reste de l'année, c'était deux mondes très cloisonnés. Peu à peu, le Carnaval minero s'est mêlé aux festivités de la ville et s'est enrichi en intégrant les démonstrations folkloriques comme les danses et les costumes. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Pascale Asbi, spécialiste des mines boliviennes: dans les années 80, on prédisait la mort du secteur minier. Alors, en réaction, par orgueil et par fierté pour leur statut et leur propre culture, les mineurs ont créé leurs propres groupes de danses ou comparsas. Par ce processus d'enrichissement de leur carnaval, les mineurs continuent, encore aujourd'hui, de réaffimer leur place dans la société bolivienne.

Voici une video, dont on ignore ce qu'elle a d'authentique, mais qui vaut le détour...

mercredi 9 février 2011

Le Carnaval de Cochabamba

Après vous avoir récemment emmenés au Carnaval de La Paz, je vous conduis à celui de Cochabamba, la plus belle ville de Bolivie, et puis, allez, tant qu'on y est, du monde, comme ça c'est fait.
Cochabamba, c'est l'anti Oruro, l'anti grosse manifestation folklorico-médiatico-morenadesque. Cochabamba, c'est d'abord le "jueves de compadres" et le "jueves de comadres" qui précèdent le Carnaval proprement dit et où, tour à tour, les hommes puis les femmes se réunissent entre eux pour des retrouvailles fraternelles, fraternellement arrosées, j'en conviens. Et puis suit le "martes de ch'alla" et les festivités sont lancées. Tout le monde est béni, on bénit tout sur son passage, dans l'entreprise, chez soi, même sa voiture et surtout sa maison... sans parler de son gosier. La Pachamama est comblée d'offrandes. C'est la q'oa, dont je vous ai déjà amplement parlé. Après avoir bu, il faut éponger. Et, comme à Cochabamba on vit plutôt pour manger qu'on ne mange pour vivre, c'est tout un état d'esprit, une philosophie, on n'est jamais déçu. Le plat du Carnaval, c'est le "puchero". En quechua, "puchu", c'est "ce qui reste": viande de boeuf, de mouton, pommes de terre, chou, riz, poires, pêches, "aji amarillo" (le piment, inévitable), un vrai mélange.
C'est à la fin du repas, si on peut encore lever son estomac sur pattes, qu'on sort dans la rue, la guitare à la main et autres instruments, pour une rencontre musicale avec d'autres groupes de convives rassasiés, les "comparsas". On avait aussi droit à des joutes verbales en quechua, le "taquipayanaku". Aujourd'hui, c'est devenu une institution, telle une rencontre sportive qui se joue dans le stade de Cochabamba. On garde de cette tradition les "coplas de Carnaval", en général piquantes, je vous fais un dessin? Même les Kjarkas s'y sont mis, c'est dire. Le Carnaval de Cochabamba, malgré les changements dûs à la modernité, à l'influence écrasante de la fête de Oruro, reste quand même un rassemblement populaire, pas du tout élitiste, plutôt fraternel, un rendez vous convivial et authentique qui rassemble toute la population de la région dans un élan de partage et d'ouverture. A Cochabamba, les portes sont toujours ouvertes, je peux témoigner!

Impossible d'intégrer la video, voici donc le lien. Moins de 18 ans, s'abstenir...

http://www.youtube.com/watch?v=9bSD-90w6n4

samedi 5 février 2011

C'est du gâteau

Gâteau de Savoie:
6 oeufs
150 g de sucre
150 g de maizena
1 pincée de sel
1 zeste de citron
du beurre pour le moule
Mélanger le sucre et le zeste de citron. Laisser reposer.
Battre les 6 jaunes d'oeufs et le sucre.
Battre les sept blancs en neige (avec la pincée de sel).
Y ajouter le reste du sucre.
Ajouter 1/5 des blancs dans les jaunes sucrés. Mélanger délicatement.
Ajouter ensuite 1/3 de la maizena. Mélanger.
Ajouter tour à tour les blancs et la maizena jusqu'à épuisement des ingrédients.
Terminer par les blancs d'oeufs.
Verser la préparation dans un moule beurré.
Enfourner à four chaud pendant 6 min à 220 degrés.
Puis laisser encore cuire pendant 20 min à 150 degrés.
Vérifier la cuisson en plantant un couteau.
Les spécialistes ès "bruit-d'éponge-du-gâteau-moelleux" l'ont même entendu par téléphone, c'est dire. Par contre, les pauvres, ils n'ont pas eu droit au goût tout chaud du gâteau de Savoie en tranches recouvertes généreusement de confiture de myrtille... Quel dommage!

Pour rire

Jean Louis Fournier, Le CV de Dieu, 1995.
Petit livre à lire en 1/2 heure, pour se détendre, à la légère, pour rire, sans arrière pensée, sans prise de tête, avec distance. Dieu s'emmerde, il cherche du boulot, prépare un CV, passe des entretiens d'embauche. Mon Dieu ce que c'est drôle!! Morceaux choisis:
"Je me demande maintenant si c'était pas donner de la confiture aux cochons. Mes ciels étoilés font un très mauvais scrore à l'Audimat. Vous êtes combien encore à regarder le ciel, le soir? La majorité regarde la télévision..."
"-C'est vous qui avez inventé l'eau?
-Oui.
-A quelle occasion?
-J'avais soif, j'ai inventé l'eau fraîche.
-Et l'eau tiède?
-Non, je n'ai pas inventé l'eau tiède, si c'est ce que vous voulez me faire dire."
"Peut-être que j'attendais trop d'eux. Maintenant, je ne crois plus en l'homme.
-L'homme ne croit plus en Dieu.
-Alors ça fait match nul, dit Dieu."
"Les moutons, c'est vous aussi?
-Oui, c'est moi.
-Vous aviez une raison pratique?
-Bien sûr, les pelouses.
-Maitenant qu'il y a les tondeuses à gazon, les moutons sont inutiles...
-Vous avez déjà mangé du gigot de tondeuse?, demande Dieu."

vendredi 4 février 2011

CONTES DE LA MINE

La K'achachola*

On raconte que Florencio Nina, le joueur de charango qui faisait vibrer le cœur des femmes comme les cordes de son instrument, entra dans la mine, bien décidé à y laisser la vie. Cela faisait très peu de temps qu'il avait perdu la femme qu'il aimait et très peu de temps qu'il s'était mis à boire, lorsqu'il était revenu de l'armée et avait commencé à travailler dans la section Lagunas, où ses camarades l'avaient surnommé Nina Nina, parce que son nom était dans l'esprit des femmes et dans la bouche des hommes. Il était champion pour trinquer et magicien en amour. Toutes les femmes tombaient dans les filets de sa galanterie et les hommes pleuraient au rythme de son charango. Pour elles, il était le Don Juan de la mine et pour eux, le meilleur charanguiste de la province.

Lorsque Florencio Nina entra dans la mine, encore ivre et son charango en bandoulière, il ne portait d'autres de vêtements qu'un poncho rouge et noir, et des bottes en caoutchouc. Il avait les cheveux en bataille, la barbe en broussaille et le regard perdu dans le néant. C'était un jour de Carnaval et la mine était vide. C'est pourquoi, plus il s'enfonçait dans la galerie principale, plus l'obscurité s'intensifiait autour de lui, provoquant une sensation de peur qui par moments semblait l'écraser.

A deux cents mètres de l'entrée, là où l'on n'entendait plus que l'écho de ses propres pas, il dévia vers une galerie sur la droite dans laquelle il marcha à l'aveuglette, à tâtons, jusqu'à perdre le sens de l'orientation et l'espoir de sortir vivant. Il s'accrocha aux roches et, pataugeant dans une gouttière où s'écoulait la copagira, telle une source se précipitant depuis les sommets, il avança en tâtonnant dans la direction opposée à l'entrée.

Florencio Nina, au fur et à mesure que la boisson faisait son effet, chantonnait un wayño qu'il avait si souvent interprété dans les chicherias. Mais lorsqu'il entendit les cris d'une femme qui venait à sa rencontre, il s'accrocha au manche de son charango, cet ami fidèle qui l'accompagnait dans les bons et les mauvais moments, l'aidant à chanter ses peines et ses joies.

Déjà loin de l'entrée de la mine, pris dans un froid qui lui grimpait dans les bottes en caoutchouc, il se souvint que personne ne pouvait rester seul dans la mine, même pas ceux qui avaient pactisé avec le Tio. De sorte que, le corps rempli de panique, il pensa qu'il serait plus facile de se tuer dans les catacombes de l'enfer que dans les galeries obscures, là où les cris d'une femme pouvaient être l'annonce d'un dénouement tragique.

Les cris se faisaient de plus en plus intenses et il tentait de gagner du terrain, se frayant un chemin avec les pieds et les mains, jusqu'à ce que soudainement lui apparaisse une boule de lumière qui lui éblouit les yeux et le fit s'abattre sur le charango, comme si un éclair l'avait foudroyé. Le charango, taillé dans une carapace de quirquicho et avec des chevilles métalliques, gémit sous le poids de son propriétaire et se rompit en morceaux. Florencio Nina, le regard sombre, les yeux écarquillés et le visage éclaboussé de copagira, tenta de rassembler les morceaux pour les étreindre et les embrasser comme s'il avait réellement perdu un frère, tandis que les cris lui bourdonnaient dans les oreilles, avec plus de force que l'écho du vent dans les ravins de la puna.

Quand il releva la tête, maudissant la perte de son charango, il vit une femme enveloppée d'une auréole rouge orangée, dont l'image lui rappela celle de la Vierge de la mine, ainsi que celle de sa femme qui s'était perdue dans les bras d'un autre homme. Ensuite, croyant avoir trouvé la sortie vers la lumière extérieure, il se mit debout et se frotta les yeux, mais l'image de la femme, dont les tresses lui tombaient jusqu'à la ceinture, demeura à la même place, souriante.

Florencio Nina, sans savoir comment sortir de cette impasse, la salua avec courtoisie et lui rendit son sourire. Ensuite, il lui demanda avec sollicitude:
-Qui es-tu?

-La K'achachola, répondit-elle, debout sur les rails qui reluisaient comme des fils d'argent, et en s'éloignant de quelques mètres, comme poussée par une force mystérieuse.

Florencio Nina, l'esprit illuminé par l'alcool et vaincu par cet amour d'un seul regard, suivit ses pas. Elle ôta son chapeau de paille, son très long châle, son corsage à volants, sa jupe plissée, ses jupons en dentelle et ses culottes finement cousues, jusqu'à ce qu'elle fut complètement nue, telle une torche flamboyante dans la galerie.

Lui, illuminé par la lumière qu'elle répandait comme un torrent, planta son regard sur ses seins qui pendaient comme des melons murs.

-Béni soit ton nom, fait à ta mesure et selon ta beauté, lui dit-il, en relevant la mèche de cheveux rebelles qui lui barrait le front.

La K'achachola, exhibant un corps aussi séducteur que son visage, lui montra la fente de son sexe, ébaucha une grimace obscène et lui demanda d'éteindre en elle le feu de son désir.

Florencio Nina, attiré par l'aimant de ce corps dont les courbes étaient plus parfaites et harmonieuses que celles du charango, s'approcha d'elle à pas lents, comme quelqu'un qui veut attraper une perdrix avec les mains. Mais plus il s'approchait d'elle, plus il avait la sensation qu'elle s'éloignait de lui.

-Pourquoi t'échappes-tu?, lui dit-il, prêt à la posséder à n'importe quel prix.

La K'achachola répondit avec un sourire, tout en continuant à reculer vers le fond de la galerie, où l'air se faisait de plus en plus humide et épais.

Florencio Nina, les yeux allumés par la luxure et le coeur emporté par le souffle d'un amour soudain, la suivit en trébuchant sur les gravas répandus sur le sol, jusqu'à ce que sous ses pieds s'ouvrent les mâchoires béantes d'un buzon, où il tomba avec un cri qui resta suspendu dans le vide.

Le lendemain, deux mineurs du premier tour de travail le trouvèrent nu sur son poncho rouge et noir, les os brisés et le visage défiguré. Les mineurs se regardèrent en silence et remontèrent le cadavre à la surface, où personne ne dit rien, tout en sachant bien qu'il s'agissait d'une victime de plus de la K'achachola, qui, après lui avoir offert l'illusion de son corps, qui est partout sans être nulle part, l'avait abandonné sans un souffle de vie.

Lorsque le village apprit la nouvelle de la mort tragique, les femmes les plus âgées dirent qu'il avait enfin trouvé ce qu'il cherchait.

-La mort, déguisée en K'achachola, l'avait surpris dans une galerie abandonnée, envouté par ses charmes et tué sans état d'âme, dit l'une d'elle. C'est le prix que paient les coureurs de jupons qui entrent seuls dans la mine, où la K'achachola erre en demandant de l'amour à grands cris, depuis le jour où le Tio l'a chassée parce qu'il avait peur que ses menstruations fassent disparaître le minerai.

-Cela est arrivé souvent, dit une autre. Les qhoya runas avaient dû faire la ch'alla à la Pachamama pour que les veines de minerai réapparaissent...

Le jour où l'on enterra Florencio Nina, sans curé ni cérémonie, les chicherias fermèrent leurs portes, les mineurs abandonnèrent le travail et les femmes se vêtirent de deuil, à l'exception de la femme pour qui il s'était ôté la vie dans un buzon de la mine.

Glossaire:

BUZÓN: m. Construction dans la charpente des galeries, en forme d'ouverture, qui permet de descendre la charge de minerai.
COPAGIRA: f. Eau mêlée à des résidus de roche, de couleur jaune ou grisâtre, résultant du processus de lavage du minerai.
CH’ALLA: m. Cérémonie d'offrande ou de sacrifice aux dieux.
CHARANGO: m. petit instrument à cordes.
CHICHERÍA: f. Magasin où l'on vend la chicha (boisson alcoolisée faite à partir de jus de maïs fermenté).
K’ACHACHOLA: f. Indienne belle et élégante.
NINA-NINA: m. y f. Feu, insecte qui diffuse de la lumière.
PACHAMAMA: f. Mère Terre. Divinité des Andes.
PUNA: f. Région des hauts plateaux.
QHOYA: f. Mine.
QUIRQUINCHO: m. Tatou, petit animal à carapace vivant dans les Andes.
RUNA: f. Personne. Gens.
WAYÑO: m. Musique populaire des Andes, dont le rythme est de caractère mélancolique.
(Traduction: Emilie Beaudet; dessin de Palapoli)

mardi 1 février 2011

Le Carnaval de La Paz

Trêve de plaisanterie, comme tous les ans, voici le Carnaval qui approche et je ne peux faire autrement que d'en parler, d'en parler et d'en parler encore. En Bolivie, le plus connu est évidemment celui de Oruro, mais en faisant mes recherches sur la culture minière, dans l'optique de cerner les particularismes des Carnavals miniers, j'ai beaucoup appris sur ceux des autres villes. Un ami paceño m'a gentiment renseignée sur le Carnaval de La Paz.
En ville surtout c'est une fête haute en couleurs avec des personnages particuliers qu'on ne retrouve que dans la capitale. C'est le cas du "Pepino", le personnage principal, dont l'apparition et la disparition ponctuent la durée des festivités. Le Pepino est à mi chemin entre l'Arlequin européen et le "k'usillo", le bouffon autochtone. Il porte évidemment un masque derrière lequel il se cache pour embêter les cholitas et distribuer à tous vents des confettis, des pétales de fleurs, des bonbons et de la farine. La mort du Pepino, qui tombe d'épuisement à force de danser, marque la fin du Carnaval.
Un autre personnage, le "ch'uta", qui a justement donné son nom à une danse, est typique de La Paz. Malgré son masque, on dit que ce bouffon à l'origine totalement autochtone, l'alcool aidant, finit toujours par être reconnu. Il exprime toutes les libertés que permet la fête: pitreries, moqueries, grossièretés. Il est aussi expert dans l'art de voler l'amour des cholitas...
Il est intéressant de dire que les homosexuels ont un rôle et une place importants dans le Carnaval de La Paz. C'est la marque d'une intégration ancienne dans la société et dans le folklore, comme on peut le voir par exemple dans la danse de la Kullawada.
Dans le milieu rural, le Carnaval correspond à la période des pluies et de la fête de la Anata. Dans la tradition autochtone, le calendrier festif et musical est calqué sur le calendrier agricole. C'est ainsi qu'au mois de février on joue principalement des "tarkas", ces flûtes carrées au son perçant. C'est le moment de l'année où la relation avec la Pachamama, la terre mère, se fait plus étroite.
Petite anecdote. Traditionnellement, on pratique à La Paz la divination par l'étain. Le métal est fondu puis plongé dans de l'eau froide et les formes ainsi solidifiées sont interprétables. Ces prédictions ne sont pas du tout prises à la légère. Souvenons nous. Carlos Palenque, candidat à la présidence de la République dans les années 2000, se prête à l'exercice de la divination par l'étain. La personne qui interprète alors son avenir affirme publiquement la certitude d'une accession au pouvoir pour le candidat. Peu après, interrogé par un journaliste, la prédiction change: la personne revient sur ses propos et confirme que la forme prise par l'étain était en fait celle d'un... cercueil. Quelques temps plus tard, Palenque meurt brutalement.
Voici une video trouvée sur le net de la danse des ch'utas. Ambiance altiplano, banda, cholitas, chicha...