vendredi 31 décembre 2010

Blanc











Entre deux hivers

La route glisse, serpente comme une piste de ski verglassée à travers des montagnes resserrées. Nous sommes à la frontière de la Creuse, les villages sont gris et déserts en ce froid mois de décembre, parfois fortifiés. Notre Dame de La Route tente tant bien que mal de guider les roues des quelques aventuriers qui se sont lancés au volant de leur bolide qui culmine à 30 à l'heure. Tant mieux, on a le temps de profiter de ce paysage de plus en plus enneigés. Au loin, si on écarquille les yeux, on aperçoit la chaîne des Puys. Le Puy de Dôme est enveloppé dans son nuage de coton, peut-être se protège-t-il du froid. Soudain, dans un virage, on change de région et nous voilà en Auvergne. Les maisons changent de style et deviennent de grosses demeures de pierres volcaniques aux cheminées fumantes. Le blanc est maintenant la couleur dominante et des orgues de glaces se pendent aux roches. C'est le moment de poser la voiture et d'aller au rythme de la marche à la rencontre du vent glacial et du soleil timide mais réconfortant, sur les sentiers de cette belle région. Les arbres brillent de givre comme sur les cartes de bonne année, les genêts sont gantés de glace, les vaches sont auréolées de buée. Le cliquetis des stalactites qui s'éffondrent tinte comme le cristal. L'hiver est une saison magique dans ces cathédrales naturelles, ces étendues blanches éblouissantes de soleil.

jeudi 30 décembre 2010

Les crèches de Landogne

Pour sortir de la polémique engagée - et assumée, na!- dans l'article sur Haïti, voici un petit diaporama tout à fait de saison d'une exposition en plein air, dans le village de Landogne (63), de crèches du monde entier. Riez, riez! Non, je ne suis pas devenue bigote, ça se saurait, mais la magie de ce petit village et la beauté de certaines créations valait bien une petite sortie, par -10 degrés, je précise...








Enfin, Noël, c'est bien joli, mais vivement la fin des fêtes pour qu'on arrête de faire semblant de s'aimer dans un monde sans fausses notes...

lundi 27 décembre 2010

Robert Santiago La Borrachona


Noël, au lieu d'être cet interminable repas de famille artificiellement réunie autour d'une table apétissante dont les convives ont parfois des mines aussi tendues que des panses trop pleines, devrait plutôt ressembler à une gigantesque piste de danse ou des sourires danseraient sur des hanches ondulantes au rythme endiablé de l'accordéon de Robert Santiago. La vie est une danse, alors dansez!!

vendredi 24 décembre 2010

Une histoire d'avion

Tandis que les aéroports parisiens sont enfouis sous la neige et paralysés, deux avions, affrétés par le gouvernement français, ont cependant miraculeusement réussi à s'envoler en direction de Haïti pour que des futurs parents éplorés aillent enfin rechercher et ramener en France leurs enfants adoptifs tant désirés. Ne me demandez pas combien ce régime spécial va nous coûter, je n'en sais rien, mais je me doute que le chiffre est suffisamment important pour ne pas plaire à un certain nombre de gens qui ont vu leur propre vol annulé et non remboursé par les compagnies aériennes. Enfin, les familles vont être réunies. Mais de quelles familles parle-t-on? De celles que forment ces parents prêts à arracher à leur pays des orphelins déjà martyrisés par la perte de leurs parents? Celles dont rêvent ces hommes et ces femmes blanches en mal d'enfants et qui sont prêts à payer une somme phénoménale pour assouvir un besoin dont ils devraient plutôt faire part à leur psy avant de mettre leurs plans à exécution? Un enfant, ça ne s'achète pas, messieurs dames. Et l'amour non plus. Les racines, ça ne s'arrache pas, messieurs dames. Et on ne les replante pas où on veut comme dans un massif de violettes au coin de la maison. Encore une fois, je m'insurge contre l'adoption d'enfants à l'étranger. Je voudrais, un jour, ne plus devoir entendre d'horribles considérations, des préférences sur la couleur, l'origine, de la part de riches blancs faisant leur marché dans le tiers monde comme on achetait des esclaves, comme on choisit un chien. Je ne dis pas que la vie de ces petits haïtiens, là-bas, serait toute rose. Je sais la pauvreté, les décombres, la maladie, les décharges. J'ai marché sur des montagnes d'ordures, respiré des produits toxiques et connu des enfants souffrants de malnutrition. Mais je sais aussi que là, sur cet immense tas de merde, au milieu de nulle part, ils souriaient, parce qu'ils étaient chez eux. Vos larmes, messieurs dames, votre foutue pitié, ces enfants n'en ont pas besoin. Gardez là pour votre feuilleton larmoyant du dimanche après midi. Un jour, ces enfants grandiront et ils seront l'avenir de leur pays. Un jour, ceux que vous aurez cru replanter dans votre terre froide croîtront comme des plantes tordues, la tête tournée vers un ailleurs qui coule dans leurs veines. Et le sang, messieurs dames, lorsqu'il afflue pour jaillir à la vie, personne ne l'arrête.

lundi 20 décembre 2010

Neige...











CONTES DE LA MINE

L'image du Tio

Sinforoso Choque le revit en rêve; il avait un corps grotesque, un visage féroce, des yeux étincelants, un nez épaté, des canines acérées, la langue pendante et des oreilles d'âne. En réalité, vu de près, son visage ressemblait au masque du diable qu'il avait accroché au mur de sa chambre, à côté de la Vierge de la Mine. Mais si ce personnage énigmatique avait pénétré dans ses cauchemars, comme s'il était fait de la même substance que ses rêves, cela s'expliquait par la simple raison que Sinforoso était atterré par son image, depuis la première fois où il l'avait vue dans la galerie proche du lieu de travail du qhencha Condori, un homme d'origine douteuse, qui avait non seulement appris à pactiser avec le Tio, mais aussi à communiquer avec l'esprit des mineurs morts dans le labyrinthe des galeries.

Il se leva du lit comme au sortir d'une mauvaise cuite et se dirigea vers l'entrée de la mine avec le son de la sirène du syndicat, dont le hululement était plus triste que le hurlement d'un loup. Dans son sac de Calcutta, éclaboussé par les goûtes de silice, il avait un paquet avec du maïs, de la viande séchée et du chuño pour son repas; une bouteille d'eau de vie et une ch'uspa pleine de coca, de lejia et de k'uyunas pour la cérémonie qui aurait lieu aux côtés de la statuette de grès et de quartz qui représentait le Tio, ce personnage qui, selon les superstitions, était le dieu et le diable de la mine, où il en traitait certains avec bonté et d'autres avec cruauté, selon les dommages qu'on lui causait ou les offrandes qu'on lui faisait.

Sinforoso Choque alluma la lampe qu'il portait accrochée sur son casque et pénétra dans la nuit perpétuelle de la mine, en songeant qu'il n'avait jamais rien eu, pas même une famille, mis à part une sœur jumelle qui menait une mauvaise vie.

En arrivant à l'endroit où on devait faire exploser la roche, le qhencha Condori, qui était toujours le premier à entrer et le dernier à sortir de la mine, le reçut avec un sourire méphistophélique, lui mit la main sur l'épaule et dit:

-N'aie pas peur.

Ensuite, il lui tourna le dos et avança en direction de la faille, où se trouvait le matériel prêt pour faire exploser la roche.

-Maintenant tu vas savoir que la montagne est comme une indienne, lui dit-il. Tu lui soulèves les jupons et elle s'ouvre entièrement.

Sinforoso Choque l'écouta avec attention, sans le regarder ni lui parler. Le qhencha Condori s'accrocha à la roche comme une araignée, ajusta la cartouche de dynamite contre la brèche et ordonna qu'on lui passe le détonateur, qui se trouvait dans son sac de Calcutta. Sinforoso Choque, conscient du fait que son rang dans la hiérarchie professionnelle était bien en dessous de celui des anciens, remplit son devoir d'apprenti et attendit que le qhencha Condori introduise le détonateur dans la cartouche et qu'il prépare la mèche, en y faisant une petite entaille.

A ce niveau, où l'air était lourd et la chaleur asphyxiante, on avait la sensation d'être enfermé dans le ventre d'un monstre fait de roche et de pénombre.

-C'est l'heure de l'explosion!, s'exclama le qhencha Condori, en se détachant de la roche. Il sortit de sa poche une boîte d'allumettes et mit feu à la poudre.

Le qhencha Condori et Sinforoso Choque, après avoir allumé la mèche de la dynamite, s'enfuirent vers la galerie principale, en criant à pleins poumons:
-Explosion! Explosion!...

Le tir retentit dans les cavités, comme si le tonnerre s'était déchaîné dans le ventre de la montagne. Il y eut une lueur qui éclaira et disparut sous des nuages de poussière, déchirés par la faible lumière des lampes.

-Calme toi, Vieille pute, susurra le qhencha Condori, caressant la roche comme s'il s'agissait du dos d'un chat.

La montagne se calma, se tut. Le qhencha Condori, qui savait calculer la température de la roche comme s'il s'agissait de son propre corps, alla contrôler la destruction causée par l'explosion; entre temps, Sinforoso Choque sortit de la cavité dans laquelle il se protégeait de la bourrasque de fumée et de poussière pour se réfugier dans la galerie du Tio. Il s'assit sur un callapo, mâcha une poignée de feuilles de coca et but une gorgée d'eau de vie à la bouteille, ignorant la présence du Tio, auquel il n'offrit ni alcool, ni coca, ni k'uyuna qu'il aurait porté à sa bouche.

Le Tio, assis sur son trône de grès, le visage diabolique, les pattes d'oie et la verge proéminente, longue et en érection, le regarda avec ses yeux de braise, comme s'il le confondait avec la Vieille, son épouse perverse, celle qui tous les jours, avant chaque explosion, était insultée et pénétrée par les mineurs qui extrayaient la richesse de son ventre.

Sinforoso Choque, qui au loin semblait agenouillé devant l'image du Tio, sentit que la boule de coca devenait amère dans sa bouche, lui annonçant un mauvais présage. En effet, assailli par la peur et la superstition, il vit tout d'abord la silhouette de deux hommes qui, se glissant à quelques centimètres du sol, apparurent et disparurent dans les ténèbres de la galerie. Ensuite, il entendit la voix caverneuse du Tio, qui se leva de son trône et s'éloigna, furieux. Sinforoso Choque resta stupéfait, tenta de dominer ses nerfs et allégea le contenu de la bouteille. Soudain, l'estomac relâché par une sorte de purgatif, il eut envie de déféquer, malgré la peur de la douleur que supposait l'effort d'expulser ce qu'il avait avalé. Il s'éloigna en tanguant vers le sommet d'une faille abandonnée, où personne n'osait entrer, car on disait que c'était le lieu où vivait le Tio avec deux mineurs qui avaient disparu sans laisser aucune trace.

Sinforoso Choque regarda autour de lui, baissa son pantalon et s'accroupit, appuyant ses bras sur les genoux. Là, tandis qu'il poussait avec force, il entendit des pas qui s'approchaient de lui, dans son dos. Il pensa qu'il pouvait s'agir du qhencha Condori qui, comme tous les vendredis à la même heure, venait déposer une poignée de coca et un verre d'alcool pour l'esprit des mineurs qui avaient disparu dans la faille. Au bout d'un moment, et en entendant les pas plus près de lui, il tourna la tête et demanda qui c'était. Personne ne répondit, seulement un courant d'air qui siffla au loin.

-Qui va là, merde?, insista-t-il, jetant son indignation dans un cri de furie.

C'est à ce moment même que, comme s'il était dans les profondeurs de l'enfer, il sentit une brûlure de feu entre les jambes. Son corps s'illumina comme une torche et les larmes éclatèrent dans ses yeux. Il voulut se lever, mais le Tio le saisit par les épaules et le coucha violemment, la face contre terre et le dos vers le ciel.

Sinforoso Choque, secoué par des convulsions de douleur, sentit dans son âme le grincement de la mort et souffla comme si une perforatrice l'avait traversé de part en part. Un jet de sang vif sortit de son corps et son rectum s'ouvrit comme un conduit béant. Une fois l'incident passé, il lança un cri de terreur et se tordit sur le sol. Il se leva en s'accrochant à la roche et sortit de la faille en direction de l'entrée de la mine, tandis que le Tio, faisant claquer sa langue comme le fouet d'un majordome, le poursuivait de près, riant d'une voix semblable au braiment d'un âne.
Quand Sinforoso Choque sortit de la mine, le soleil tombait et échaudait le soir. Il rencontra ses camarades venus pour la relève, lesquels le virent sortir de l'obscurité avec l'aspect d'un fou, le pantalon déchiré et le derrière éclaboussé de sang.

-Que s'est-il passé, mon vieux?, lui demandèrent-t-il à l'unisson, en l'entourant.

-Le Tio, le Tio..., balbutia Sinforoso Choque, sans pouvoir contrôler ni les larmes qui lui creusaient le visage, ni la bave de coca qui coulait de ses lèvres.

Les mineurs, pensant qu'il avait perdu la raison, le soulevèrent et l'emmenèrent à l'Hôpital Ouvrier, où il mourut deux jours après son arrivée. Quand les médecins réalisèrent l'autopsie, on sut que l'auteur de sa mort n'était pas le Tio, comme beaucoup l'avaient pensé, mais une mystérieuse maladie dont personne ne put le sauver.

Glossaire:

CALCUTA: f. Sac résistant importé de Calcutta (Inde). Il sert à envelopper le minerai.
CALLAPO: m. Tronc d'arbre qui sert de marche dans la mine.
CHUÑO: m. Pomme de terre gelée puis séchée au soleil.
CH’USPA: f. Petit sac pour mettre de la coca, des cigarettes ou d'autres choses.
K’UYUNA: m. Cigarette de facture rustique.
LEJÍA: f. Pâte faite de cendres végétales, que l'on mastique avec la coca.
QHENCHA: adj. Personne qui porte malheur. De mauvais augure.

(Traduction: Emilie Beaudet)

vendredi 17 décembre 2010

Princesse de la cité




Elle porte le nom d'une reine, reine d'un peuple fier et insoumis. Adolescente épanouie dans une cité de béton, elle a tout d'une princesse sur un tapis qui ne vole plus, un royaume où la drogue et l'inculture règnent en maîtres. Dans son collège, elle est un modèle, maniant à la perfection le langage soutenu épicé par l'accent des quartiers nord. Elle ne baisse jamais le regard devant personne, ni les jeunes de son âge, ni les adultes. Petit bout de femme, elle lève ses grands yeux verts et ne craint de s'exprimer devant personne. Elle sait quand elle a tort, elle sait surtout se faire entendre quand elle a raison, à la recherche de plus de justice, de plus de communication entre les générations. Pour elle, toutes les remarques sont bonnes à faire, toutes les vérités sont bonnes à dire et elle se fiche pas mal de comment les autres les reçoivent. Elle dit, parce qu'elle ne peut pas se taire, parce qu'elle se sent légitime. C'est une élève brillante et une jeune fille intelligente. Epoustouflante. Belle, déjà, si élégante, si censée, si jeune encore mais déjà si mûre. Et elle danse, mon Dieu ce qu'elle danse. Dans la rue ou dans la salle de classe, dans une soirée ou sous la pluie, elle danse, son foulard autour de la taille qui ondule, ses mains et ses poignets ornés de bagues et de bracelets qui s'envolent gracieusement au dessus de sa tête. Pas de doute, elle est possédée par la grâce. Elle danse. Elle danse son pays qui n'apparaît pas sur les planisphères, sa langue si belle et si ancienne, ses montagnes aussi vertes que ses yeux. Elle danse, la fierté de ses gens, de son quartier ou de ses rêves. Parce que des rêves, elle en a, et elle met tout en oeuvre pour les concrétiser, s'affirmer, devenir quelqu'un. Elle porte le nom d'une reine, et son aura m'accompagne encore, moi qui ai eu la chance de croiser sa route, ce chemin qu'elle dévore au rythme de ses ambitions, ce chemin qu'elle danse et qui a fait danser le mien.

mercredi 15 décembre 2010

Abd Al Malik - Ma Jolie



Parce qu'il fallait bien le dire, parce qu'il fallait bien en parler, parce que de cette manière c'est encore plus vrai, encore plus complexe, encore plus réel, parce que, soulagement, il l'a fait, lui, un homme.

dimanche 12 décembre 2010

Amigos

Il y a des gens qui sont toujours eux-mêmes, tels qu'on les a connus, tels qu'on les aime. Malgré les tempêtes qui secouent l'existence, les bifurcations du chemin et les éboulements de la route, ils demeurent comme des arbres auxquels on peu s'accrocher, sous les branches desquels il fait bon prendre le frais ou trouver de la chaleur en hiver. Leur porte est toujours ouverte et s'entrebâille sur des visages souriants qui en disent long sur le plaisir sincère que l'on a à vous recevoir. A l'intérieur, rien ne change, tout est toujours à sa place. La cuisine est le lieu privilégié où l'on prend soin de votre estomac comme on vous offre un poème à l'âme, un onguent délicieux qui vous soulage les amertumes. Autour de la grande table, les paroles sont tendres et l'humour partageur, redresseur de mauvais poil et ravageur de maussaderie. Les assiettes sont pleines et les coeurs débordent d'amitié, de la joie des retrouvailles, des petits mots, des petites phrases que l'on s'envoie d'un bout à l'autre des convives et qui retissent les liens comme un cannevas de soleil et d'amour. Ensuite, comme obéissant à un même élan, on se lève et se déplace pour aller s'installer auprès du feu. Les guitares, les charangos et les flûtes sortent lentement de leurs étuis et c'est de manière presque confidentielle, tout en douceur, que les premières notes s'envolent. Et soudain, au détour d'un regard qui brille de la lueur de la flamme qu'on regarde ou de la larme d'émotion qui perle, au détour du coeur qui bat au rythme sourd et profond du bombo, parce qu'une phrase touche plus qu'une autre, parce que les voix qui chantent sortent du plus ancien, du plus beau, du plus sincère, soudain, au détour d'un instant, alors on se sent à sa place, parmi ces gens, ici, à ce moment, sur cette terre, dans son corps. Et c'est à cet instant même, quand l'éternité envahit tout l'espace, quand les fulgurances d'étoiles et d'amour s'entrechoquent, s'étincellent et s'embrasent, que l'on reconnaît ses amis.
A Bruno, Cécile, Enrique et les autres...

vendredi 10 décembre 2010

Quand on lève le voile

Mais que se cache-t-il sous ces voiles noirs, derrière ces regards jetés par dessus l'écran du tissu? Qui sont ces petites ombres fuyantes, bruissements de robes, mains gantées dans les rues? J'y suis allée voir, c'est en fait un peu de mon quotidien, des rencontres étonnantes, des personnes surprenantes. Lorsque vous leur parlez d'oppression, de domination masculine, d'obligation, elles rient, très fort. Les hommes? Elles les mènent à la baguette. Et c'est vrai. Divorcées, fans de brocante, sportives, accros d'internet, elles vivent en fait dans une grande autonomie, comme toutes les jeunes femmes de leur époque. Leurs enfants, elles les élèvent ensemble, car chez elles la solidarité, la porte ouverte, la chaleur humaine, ne sont pas des mots en l'air. L'entraide, c'est sacré. Intégrisme? Prosélytisme? Ne leur en parlez pas. Elles refusent d'être catégorisées. Et pourtant... Elles sont très croyantes, fières de leur culture ou de celle qu'elles ont adoptées, de leur savoir, de leur instruction, de leur religion. La plupart lisent et écrivent l'arabe, connaissent le Coran, savent de quoi elles parlent. Elles ont fait l'effort d'appendre pour se défendre. Parfois, cela va loin. Contre les juifs, un peu contre tous. Mais de suite l'humour dédramatise, allège, permet au discours de passer presque inaperçu, dans un éclat de rire. Elles se prennent pour Zorro avec sa cape. Wonderwoman n'a qu'à bien se tenir, c'est ici le règne de Musul-man. Elles ne comprennent pas pourquoi elles ont tant de mal à trouver du travail en France, questionnent la laïcité, argumentent leur manque de liberté dans le prétendu pays des Droits de l'Homme. Elles ont réponse à tout ou presque, sont capables de retourner les choses en leur faveur. On sent les barrières, les limites, très proches, très solides, derrière les visages souriants et les rires légers, derrière les cheveux soignés et les yeux maquillés. Mais Dieu qu'elles sont attachantes, qu'elles sont loin des clichés de femmes soumises, qu'elles mènent leur vie comme elles l'entendent et les hommes par le bout du nez. Alors on oublie les excès, on ne voit que la beauté, l'amitié. Quand on est femme, souvent, on se sent de leur côté.

dimanche 5 décembre 2010

CONTES DE LA MINE

Pourquoi le diable s'est appelé Tio?

Les hommes les plus anciens de la mine racontent que le diable saute par le trou de la serrure et entre dans la chambre sombre des femmes. Il les séduit avec ses pouvoirs surnaturels et les pénètrent sans qu'elles s'en aperçoivent, car ce personnage féroce, craint et respecté par les mineurs, possède la faculté de se transformer en terre, en air, en eau et en feu.

C'est ainsi qu'un jour, alors qu'il dansait comme Lucifer au Carnaval, une femme tomba enceinte de lui. C'était une indienne de bonne réputation, que les hommes considéraient comme une femme digne et prodigieuse, parce qu'elle se levait au chant du coq et se couchait à l'heure où son énergie se perdait avec la nuit.

Quand naquit le fils du diable, avec sa queue de serpent, ses extrémités difformes, ses oreilles pointues et son corps écailleux, il causa une grande frayeur parmi les villageois qui, en le voyant allongé sur un aguayo, le confondirent avec un iguane.

Le curé du village, apprenant que l'enfant n'était pas un enfant de Dieu mais du diable, décida de le brûler vif ainsi que sa mère, laquelle, selon les sermons du curé, méritait le châtiment de brûler sur le bûcher pour avoir copulé avec le diable. Les gens se rendirent à la procession tout comme ils se rendaient à l'église. La mère et l'enfant furent conduits jusqu'à la place principale, située en haut d'une colline. C'est là qu'on les dénuda et leur attacha les pieds et les mains à un poteau. Le curé exhorta au calme, lut la sentence et, brandissant un crucifix d'argent, donna l'ordre d'allumer le feu. La mère et l'enfant brûlèrent comme des torches sur le bûcher. Lorsque les flammes diminuèrent, les hommes moulurent les corps carbonisés dans le fouloir et les femmes répandirent les cendres dans la direction du vent.

Cette même nuit, le diable sortit de son domaine. Des flammes sortaient de ses yeux et la bave de sa bouche. Il jeta sa cape devenue ardente et se vengea du village. Il dévia le cours des rivières, fit disparaître les filons d'étain et déchaîna une tempête qui, en peu de temps et avec la plus grande violence que l'on puisse imaginer, rasa l'église et fit tomber les maisons pour n'en laisser que des décombres. Les toits volèrent dans les airs et les arbres furent arrachés à la racine. Les eaux se transformèrent en torrents et le ciel s'illumina d'éclairs.

Les villageois, noyés dans une vague de panique et de confusion, s'enfuirent vers les galeries de la mine, où ils prièrent Dieu de leur rendre le calme et supplièrent le diable de leur pardonner. Celui-ci, un fouet à la main et le regard en furie, décida de se faire appeler Tio et de devenir le maître de la mine et des minerais.

Depuis ce jour, où tout redevint comme avant, les mineurs le craignent et lui rendent hommage, lui offrent des feuilles de coca, des k'uyunas et des bouteilles d'eau de vie.

Glossaire

AGUAYO: m. tissage traditionnel
K'UYUNAS: m. Cigarettes de facture rustique
(Traduction: Emilie Beaudet)

L'ennui me guette

Simone de Beauvoir, 1947, L'Amérique au jour le jour.
Tout commençait très bien. Vivant en ce moment une overdose de Bolivie suite à quelques tremblements de terre personnels, ou plus exactement souffrant d'une nostalgie surdimensionnée me poussant à prendre de la distance avec ce qui déchaîne passion et donc souffrance, je me suis dit qu'une lecture neutre et ponctuelle serait la bienvenue. A priori anti yanquis, je me suis plongée sans grand enthousiasme mais quand même un peu d'espoir dans l'ouvrage de Simone de Beauvoir racontant son premier séjour aux Etats Unis. Ce récit de voyage m'a tout d'abord plu. Evidemment, le style y était pour beaucoup. Je me suis rendu compte au bout d'une centaine de pages qu'il y était en fait pour tout. Lassée d'avoir la sensation permanente, à chaque début de chapitre, de relire le précédent, j'ai donc stoppé là ma lecture "neutre", qui je pense restera ponctuelle et unique. Décidément, on ne peut pas aller contre sa nature et il en est de même en terme de lecture. Les réflexions sur le monde littéraire et intellectuel américain d'après guerre et la visite répétitive de différents lieux de ce grand et triste pays n'ont pas pu être sauvés, à mes humbles yeux, par un style qui, je le répète, est cependant très agréable. Je reprends donc dès ce soir mes lectures favorites et familières. Et puisque je ne peux me défaire de la Bolivie, car comment renier une partie de son identité, même douloureuse, je retourne de ce pas, certes un peu lourd, me vautrer entre quelques pages andines.

vendredi 3 décembre 2010

Chaleur?

"En montagne, ce que l'on a gagné en chauffage au sol, on l'a perdu en chaleur humaine."
(Parole d'un vieux paysan savoyard)

mercredi 1 décembre 2010

Voyage, fuite et destin

"Tu dis:
"J'irai vers d'autres terres, vers d'autres mers.
Je chercherai une ville plus belle que celle-là,
où mes souhaits ne se sont jamais concrétisés,
froide sépulture de mes sentiments.
Jusqu'à quand mon âme restera-t-elle dans ce labyrinthe?
J'ai beau regarder, je ne vois que la triste ruine de ma vie.
Un temps déjà consumé, qu'ici j'ai gaspillé."
Il n'existe pas pour toi d'autres terres, d'autres mers,
Cette ville ira où tu iras.
Tu parcoureras les mêmes rues, toujours.
Dans le même faubourg tu te feras vieux.
Tes cheveux blanchiront dans des maisons identiques.
Tu n'abandonneras jamais cette ville.
Il n'y a plus pour toi ni bateaux, ni chemins qui te libèreront d'elle.
Parce qu'en plus d'avoir perdu la vie ici,
dans le monde entier tu l'as gaspillée."

Extrait de El embrujo de Shanghai de Juan Marsé, poème de Cavafis.