Les hommes les plus anciens de la mine racontent que le diable saute par le trou de la serrure et entre dans la chambre sombre des femmes. Il les séduit avec ses pouvoirs surnaturels et les pénètrent sans qu'elles s'en aperçoivent, car ce personnage féroce, craint et respecté par les mineurs, possède la faculté de se transformer en terre, en air, en eau et en feu.
C'est ainsi qu'un jour, alors qu'il dansait comme Lucifer au Carnaval, une femme tomba enceinte de lui. C'était une indienne de bonne réputation, que les hommes considéraient comme une femme digne et prodigieuse, parce qu'elle se levait au chant du coq et se couchait à l'heure où son énergie se perdait avec la nuit.
Quand naquit le fils du diable, avec sa queue de serpent, ses extrémités difformes, ses oreilles pointues et son corps écailleux, il causa une grande frayeur parmi les villageois qui, en le voyant allongé sur un aguayo, le confondirent avec un iguane.
Le curé du village, apprenant que l'enfant n'était pas un enfant de Dieu mais du diable, décida de le brûler vif ainsi que sa mère, laquelle, selon les sermons du curé, méritait le châtiment de brûler sur le bûcher pour avoir copulé avec le diable. Les gens se rendirent à la procession tout comme ils se rendaient à l'église. La mère et l'enfant furent conduits jusqu'à la place principale, située en haut d'une colline. C'est là qu'on les dénuda et leur attacha les pieds et les mains à un poteau. Le curé exhorta au calme, lut la sentence et, brandissant un crucifix d'argent, donna l'ordre d'allumer le feu. La mère et l'enfant brûlèrent comme des torches sur le bûcher. Lorsque les flammes diminuèrent, les hommes moulurent les corps carbonisés dans le fouloir et les femmes répandirent les cendres dans la direction du vent.
Cette même nuit, le diable sortit de son domaine. Des flammes sortaient de ses yeux et la bave de sa bouche. Il jeta sa cape devenue ardente et se vengea du village. Il dévia le cours des rivières, fit disparaître les filons d'étain et déchaîna une tempête qui, en peu de temps et avec la plus grande violence que l'on puisse imaginer, rasa l'église et fit tomber les maisons pour n'en laisser que des décombres. Les toits volèrent dans les airs et les arbres furent arrachés à la racine. Les eaux se transformèrent en torrents et le ciel s'illumina d'éclairs.
Les villageois, noyés dans une vague de panique et de confusion, s'enfuirent vers les galeries de la mine, où ils prièrent Dieu de leur rendre le calme et supplièrent le diable de leur pardonner. Celui-ci, un fouet à la main et le regard en furie, décida de se faire appeler Tio et de devenir le maître de la mine et des minerais.
Depuis ce jour, où tout redevint comme avant, les mineurs le craignent et lui rendent hommage, lui offrent des feuilles de coca, des k'uyunas et des bouteilles d'eau de vie.
Glossaire
AGUAYO: m. tissage traditionnel
K'UYUNAS: m. Cigarettes de facture rustique
(Traduction: Emilie Beaudet)
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