jeudi 18 novembre 2010

CONTES DE LA MINE

Dédicace

Je me souviens encore du jour où mon grand-père me raconta pour la première fois la légende du Tio*: "On dit que le diable arriva dans les mines un jour de tempête, dit-il, tandis que dehors les éclairs et l'averse se jetaient du ciel". Depuis ce moment je n'ai cessé de penser à l'image diabolique de ce personnage ni aux histoires des mines que j'écoutais de la bouche de mon grand-père qui, outre le fait qu'il était un narrateur jovial et charismatique, était capable d'envoûter n'importe qui avec ses histoires fantastiques. Il savait gesticuler avec émotion et faire varier les inflexions de sa voix en même temps que ses yeux s'illuminaient comme de petites lampes à acétylène et que les mots jaillissaient avec fluidité, comme s'il racontait en permanence un vieux conte de magie et de mystère. Ainsi était mon grand-père, connaisseur de la mine et de ses secrets.

Je compris par la suite que les histoires relatives aux mines, dont les principaux protagonistes sont le Tio, la Chinasupay, la K'achachola, les palliris et les mineurs, se transmettaient de génération en génération et de bouche à oreille, étant donné qu'elles s'inscrivaient dans la tradition orale et la mémoire collective. C'est sans doute pour cela que, tout au long de mon enfance et de mon adolescence, j'entendis les récits les plus invraisemblables relatés par des amis ou des parents, presque tous mineurs originaires de Siglo XX, Llallagua et Catavi, scénarios constants de mon monde littéraire.

Dans ces contes, on pourra remarquer le réalisme magique et mythique de la mine et des mineurs, avec lesquels j'ai partagé et tissé des liens étroits. Je connais la misère de leurs foyers, le drame de leurs luttes et la tragédie de leurs vies, plus tragiques encore lorsque l'on sait que ces hommes meurent avec les poumons perforés par la silicose.

Les mineurs boliviens qui, durant des décennies, constituèrent la colonne vertébrale de l'économie nationale et le bastion des luttes revendicatives, portent en eux les expériences de leur vécu et de leur souffrance. Ils sont les fantômes qui habitent mes rêves, les héros qui guident mes idéaux et les maîtres qui stimulent ma fantaisie. C'est à eux que je dois mon éternelle reconnaissance et que je dédie ces contes au goût de copagira.


Glossaire:

CHINASUPAY: f. Diablesse. Déesse et épouse du Tio.

COPAGIRA: f. Eau mêlée à des résidus de roche, de couleur jaune ou grisâtre, résultant du processus de lavage du minerai

K’ACHACHOLA: f. Indienne belle et élégante.

PALLIRI: f. Femme qui, à coups de marteau, triture et choisit les morceaux de roche minéralisée dans les desmontes ( Entassement de résidus de la mine)

TÍO: m. Divinité. Diable et dieu tutélaire qui habite à l'intérieur de la mine. Les mineurs le craignent et lui font des offrandes.

Annonce officielle

Non, je ne ferme pas ce blog; non, je n'ai pas coupé les ponts avec la Bolivie; non, je ne vais pas commencer maintenant à vous raconter ma vie. Au contraire: je vous annonce officiellement l'ouverture ici même d'une nouvelle rubrique intitulée "Contes de la Mine", qui correspond à la traduction, que je vais vous dévoiler au fur et à mesure de mon travail, de ce magnifique recueil de contes de l'auteur bolivien Victor Montoya. Petit à petit, je vous propose donc de découvrir à travers les mots de ce conteur hors pair, les croyances, les rituels et les histoires teintées de réalisme magique qui se transmettent de génération en génération dans les mines boliviennes. Partons ensemble pour les entrailles de la terre et le royaume du Tio...

vendredi 12 novembre 2010

Mémoires d'une Geisha

Dix fois, vingt fois, cent fois, je crois que je ne me lasserai jamais de regarder ce film. Ce n'est pas compliqué, dès que ça commence, j'arrête tout, j'interrompts ma vie pour deux heures en dehors du temps. La première fois, je partais avec l'a priori de l'ignorance. Un film sur l'Asie, ça doit être long et lent, peut-être vide. Et puis les geishas, qu'est-ce que j'en sais, à peu près rien, mis à part quelques clichés de maquillage et de kimonos de soie. Et puis le film démarre et la magie opère. Et cela a beau être la énième fois que je le vois, le plaisir, l'évasion est toujours la même. Parce qu'il n'y a ni cliché, ni embellissement de la réalité. Les images dansent comme des ombres dans la lumière tamisée de ce monde mystérieux. Les décors sont d'un exotisme délicat et envoûtant. Les actrices, quant à elles, sont magnifiques, merveilleuses, fleurs d'élégance dans un milieu aussi cruel que régi par la terrible loi de la concurrence. Et tout au long du film nous suivons les yeux bleus foncés de Sayuri, la petite paysanne au destin exceptionnel. Ensuite, vient la guerre et les américains débarquent, vulgaires et bruyants. Mais la grâce des geishas demeure et jusqu'à la dernière seconde, on savoure la beauté et la finesse des images comme on reste hypnotisé face à une oeuvre d'art. Je crois que ce film en est une, d'ailleurs!

dimanche 7 novembre 2010

De l'eau dans le chocolat

Laura Esquivel, Como agua para chocolate, 1989.
Jamais l'expression consacrée selon laquelle un livre se "dévore" n'aura été aussi opportune qu'avec cette oeuvre là. Nous sommes dans le Mexique de la Révolution, dans la cuisine d'une famille bourgeoise. Tita y est presque née, dans cette cuisine, et elle y passe toute sa vie, condamnée qu'elle est à ne jamais se marier pour s'occuper de sa mère autoritaire jusqu'à ce qu'elle meure. Tout s'écroule le jour où la mère en question décide de marier Pedro, l'amoureux de Tita, à Rosaura, la soeur de celle-ci. C'est ici que commence le roman, ici qu'il prend toute son ampleur. Nous allons ainsi, de recette en recette, de plat en plat, suivre la vie de Tita, ses infortunes et ses espoirs refoulés, à travers sa conception très sensuelle de la cuisine, cette cuisine grâce à laquelle elle parvient à communiquer, par laquelle elle s'exprime. Nous plongeons alors avec délice dans les odeurs et les saveurs tantôt épicées, tantôt sucrées, tantôt amères de ce Mexique mi-indigène, mi européen, très proche des Etats-Unis, dont l'Histoire sert de toile de fond à d'autres histoires, celles de femmes empoisonnées de passions interdites, certaines cependant illuminées par des visions et des intuitions presque magiques héritées de la sensibilité de leurs ancêtres autochtones. Jamais nous ne perdons le fil et pourtant à chaque page les revirements inattendus du récit nous surprennent et nous captivent. Le roman de Laura Esquivel est un chef d'oeuvre à tous points de vue; premièrement par son écriture extrêmement expressive, ensuite par cet art qu'elle manie à la perfection d'envoûter le lecteur de la première à la dernière ligne et ainsi de le faire adhérer d'entrer à l'histoire qu'elle raconte, finalement par cette technique et ce style qui l'apparentent à ces conteuses préhispaniques, au savoir de guérisseuses et aux facultés surnaturelles. Como agua para chocolate est un livre passionné, un traité de cuisine traditionnelle sauvé de l'oubli des tiroirs poussiéreux et l'édifiante histoire d'un amour contrarié mais jamais vaincu.

vendredi 5 novembre 2010

Un an c'est trop court

Peter Mayle, une année en Provence, 1993.
Pourquoi chercher absolument à lire le dernier navet fade et mal écrit alors qu'on a parfois dans notre bibliothèque, bien caché entre deux pavés, un petit bijou de simplicité, une perle de littérature, un extrait de vie? J'ai enfin succombé aux charmes de l'écriture de Peter Mayle dont on me vantait les mérites depuis des années. Une année en Provence, c'est douze mois de pur bonheur au cours desquels, page après page, l'auteur nous raconte l'expérience de son immigration de la pâle Angleterre vers le lumineux sud français. Mais attention, pas celui des touristes, des plages et des hôtels bondés. Non, celui des paysans, des viticulteurs, des bons vivants et des fous du Mistral; celui où le temps prend un tout autre relief, où le rythme est plus lent, plus chaloupé, plus incertain. C'est à la loupe, à travers le filtre de sa vision mi-ironique mi-étonnée, que Mayle nous décrit ce pays qui l'adopte et qu'il adopte de jours en jours en y tissant des liens toujours plus étroits avec ses voisins, avec les paysages, la langue et la gastronomie. Les réflexions quelques peu moqueuses ne manquent pas, mais elles sont immanquablement teintées d'une infinie tendresse pour ce monde ensoleillé et accueillant. Une année en Provence et le livre s'achève déjà. Evidemment, c'est beaucoup trop court et on en redemande, encore tout parfumés de soleil et des odeurs d'une lumière de miel dans les narines...

mercredi 3 novembre 2010

Le pourquoi du comment

Mais que font donc tous ces gens sur Internet? Copains d'avant, Facebook, les blogs, sans parler d'autres sites sur lesquels il est permis à tout le monde et surtout n'importe qui de raconter allègrement sa vie, c'est-à-dire n'importe quoi et en fait rien. J'avoue, moi qui détestais Fesse de Bouc, j'ai dû y remettre le nez pour rechercher une amie perdue de vue (là c'est moi qui vous raconte ma vie, admettons) depuis des années et je reconnais que ça ne sent pas bon (c'est pour voir si vous suivez... Fesse de Bouc, l'odeur, bon, d'accord...). En ce qui me concerne (ah mais quel narcissisme ce soir) je n'ai mis que très peu d'infos sur moi, dont une date de naissance volontairement erronnée (une femme, avec le temps, doit apprendre avec élégance à mentir quelque peu sur son âge qui avance pour se faire croire qu'elle ne le fait pas). Par contre, il aisé, d'ami en ami, d'apprendre des tas de choses (oui, de merde aussi) sur des gens qui au départ n'étaient pour nous que de stricts inconnus. Par moments, je me suis même surprise à être heureuse de ne pas comprendre l'alphabet non latin de mon amie retrouvée et ainsi d'ignorer ce qui se disait sur sa page Facebook: il me semblait que d'apprendre autant de choses d'elles d'un coup, comme ça, sans en avoir jamais osé demander autant me gênais énormément en réalité. Et puis, comme Internet est une vaste fosse à purin de laquelle on peine à s'extirper une fois qu'on y est tombé (combien d'années à raconter des choses plus ou moins intéressantes sur ce blog déjà?...), j'ai parcouru pendant des heures d'autres sites, fascinée par les photos intimes, les informations personnelles et autres réflexions très privées que des millions de gens s'autorisaient à partager avec le monde entier. Et je me suis dit que tout de même, ces gens là devaient avoir bien peu d'estime de soi et de respect envers leur personne, leur corps, leur âme, pour s'exhiber ainsi, s'auto violer l'intimité, s'offrir en pâture aux voyeurs, n'avoir rien d'autres à faire pour tromper l'ennui et la solitude que de naviguer dans ces eaux troubles. Alors, la pupille agressée par la lumière et l'estomac en indigestion des autres, j'ai éteint mon ordinateur, ai tout débranché pour que les mauvaises ondes électriques ne me poursuivent pas dans mon sommeil, ai pris un bon bouquin, me suis fait un thé et ai savouré le doux moment de calme, songeant à la belle attente d'espérer un courrier manuscrit ami dans ma boîte à lettres. Parce que contrairement à ce qu'on peut dire, malgré tout, les gens s'écrivent encore. La civilisation n'est pas encore vaincue. La sauvagerie n'aura pas le dernier mot!