jeudi 27 février 2014

Parfois on tombe


Solène Bakowski, Parfois on tombe, 2014.
Que dire de ce livre en restant objective ? Que c'est bien écrit, très bien même. Que l'histoire accroche, qu'elle nous emporte et qu'on y croit. Que ses personnages sont attachants. Que la protagoniste nous entraîne à sa suite dans son voyage à travers la Chine. Est-ce que je sors de l'objectivité ? Je peux ? Bon, d'accord. J'y vais. 
Alors, ce roman est une bombe. Un bijou. Chaque mot est à sa place, chaque chose arrive au moment où elle doit arriver, naturellement. Aucune phrase, aucune idée n'est en trop, rien n'est superflu. La juste mesure, comme une fresque à l'italienne. La lumière et l'ombre, le suspense et le récit. L'auteur choisit dès le début de nous en dire peu mais suffisamment pour qu'on lise le tout de bout en bout, d'une traite, pour connaître la suite. 
Sarah est une institutrice trentenaire et on la rencontre à un moment crucial : son mari, sa fille, elle vient de les perdre. Elle est enveloppée dans un nuage gris, un flou existentiel dans lequel la douleur brouille ses perceptions du monde et de la vie. Au fil des pages, par bribes, on commence à deviner son histoire. Malgré tout, Sarah décide de faire "comme si", de retourner au travail. Le moment béni de ma lecture ? L'instant où, devant 25 élèves médusés, elle prend ses affaires et sa liberté à bras le corps et s'enfuit de sa classe. Un fantasme, sans doute... Alors, ce sont ses retrouvailles avec la Chine. Récit initiatique, guérison, récit de voyage, c'est comme vous voudrez. Certains pourraient dire que c'est un peu convenu, un peu prévu, un peu couru d'avance. Je proteste ! C'est grandiose ! Solène Bakowski maîtrise son sujet, aime profondément les terres et les gens qu'elle nous décrit, cela change tout. Et ses personnages sont tellement nous, tellement touchants que, forcément, on s'y identifie. Une enseignante qui claque la porte et qui part au bout du monde. Une maman qui passe à côté de sa vie et qui pète les plombs. Ce roman me parle, évidemment, bien sûr. Parce que, comme le dit Solène, parfois, on tombe. Mais, parfois, aussi, la littérature, l'écriture nous soignent et nous libèrent du poids trop lourd que nous nous obligeons à porter sur les épaules, de ces masques derrière lesquels nous planquons notre vraie personnalité, et nos rêves pour faire comme tout le monde. Non, vraiment, il n'est jamais trop tard. 
" La graine doit accepter de tomber et de s'enfoncer si elle veut un jour espérer donner naissance à un arbre."
Merci Solène, message reçu !

mercredi 26 février 2014

L'Odyssée blanche

Nicolas Vanier, L'Odyssée blanche, 1999.
Nicolas Vanier, c'est le Nord avec un N majuscule, le Nord dans toute sa virginité de pistes inexplorées, de neiges immaculées, d'animaux sauvages indomptés. C'est le Nord des ours, des caribous et des loups. Le bonhomme a beau être critiqué, taxé d'opportuniste, accusé de rechercher la médiatisation avant la performance, il n'en demeure pas moins un aventurier, un faiseur de rêve. Peu de gens peuvent se targuer de connaître ces régions inhospitalières mieux que lui, qui les a parcourues avec sa petite famille et surtout ses chiens, sur son traîneau de musher. De véritables épopées, incroyables odyssées parsemées d'embûches, d'imprévus, de souffrances, mais toujours animées par l'envie irrépressible de se trouver là où il est, dans ces froides solitudes. Décrié par les associations écologistes pour ses discours justifiant la chasse, les trappeurs et autres commerces de fourrures, il dérange, agace depuis longtemps. Pour preuve, cet ancien article de Libération, datant de l'Odyssée blanche, dans lequel le journaliste ne sait tellement pas quoi penser de Vanier, fait tellement planer l’ambiguïté qu'on finit par ne plus comprendre où il veut en venir, s'il encense ou s'il détruit. J'avoue ne pas avoir entendu toutes ses déclarations, ne pas avoir lu tous ses livres ni avoir vu tous ses films. Je reconnais avoir trop peu d'éléments en main pour me faire une idée objective du personnage. Si on en reste à l'expérience que j'en ai, je peux juste donner mon avis sur le livre L'Odyssée blanche que je viens de terminer : un récit très bien écrit, précis, clair, qui sait nous captiver jour après jour quand, dans les faits, il se passe à peu près toujours la même chose (les chiens, la course, la neige, le froid). Un vrai livre d'aventures comme j'aimais en lire à l'adolescence. Des pages hallucinantes qui racontent une course contre la montre, une course d'équipe qui en dit long sur les rapports humains, les limites physiques et psychologiques des hommes et l'extraordinaire relation que Vanier entretient avec ses chiens, compagnons d'une intelligence rare. 
Et puis, le type, il a quand même côtoyé le grand nord à une dose suffisante pour avoir le droit d'émettre quelques opinions, non ? Ah, ça y est, je suis sortie des clous !

mardi 25 février 2014

Le retour des grues

Deuxième jour de beau temps, il faut fêter ça. Le moment de l'année coïncide avec le retour des grues, alors, nous fonçons dans la Brenne, leur halte de prédilection au cours de leur longue route. Nos pas nous mènent d'abord autour des étangs. Certains sont asséchés, c'est la loi, pour les "pêcher", sorte de grande bataille inégale avec l'appétit féroce des cormorans. Nous rendons visite à l'étang du Saut, au fond duquel se dressent les antennes de la base navale de Rosnay (oui, la Brenne est un pays de marins !). Tandis que nous nous extasions sur les premiers ajoncs en fleurs, un roucoulement caractéristique nous fait lever le nez, tel le chien qui sent quelque chose dans le vent, un instinct d'hommes et de femmes de la nature, du coin, qui ne ment jamais...


 Elles sont là, tout là-haut, très haut au-dessus de nos têtes. Le premier vol est toujours une émotion indescriptible qui s'apparente à celle de l'enfant qui reçoit ses présents à Noël. "C'est cadeau", oui, la phrase est bien trouvée, maman. Pour moi, ces retrouvailles ont une saveur de caviar de la vie. Pendant des années, j'ai reçu de la Brenne, alors que j'étais engluée dans la grisaille parisienne, les récits et les images des pérégrinations de nos chers oiseaux migrateurs. Cette fois, et pour la première fois, vraiment, je suis là pour leur retour. Nous faisons la route qui nous mène jusqu'à l'étang du Blizon le nez en l'air. Pour preuve, nous verrons le soir que le soleil nous aura bien tapé sur le visage aujourd'hui... En discutant avec un voisin du Blizon (heureux soit-il de vivre si près du paradis), on apprend que les majestueuses jeunes filles ont déjà effectué des passages par milliers la veille, chose que ce monsieur n'avait "jamais vu". C'est dire si nous avons de la chance de nous trouver sous l'autoroute du soleil un jour de retour de vacances ! Car elles sont encore des centaines, des milliers, formant des nuées dans le ciel, à très haute altitude, traçant leur route invisible à grands renforts de bavardages. Une infinité de vols en forme de "V", si caractéristique. A peine le premier s'est-il éloigné qu'un autre prend la relève et c'est une déferlante d'oiseaux qui traverse les nuages et accapare notre attention. Tout notre corps est tendu vers le haut, vers ces milliers de silhouette élancées qui nous offrent un ballet de plus d'une heure. 

Plus tard, nous reprenons la voiture pour aller à l'étang de la Mer Rouge, le plus grand, le plus beau, et essayer de voir les grues de plus près. Souvent, en effet, elles passent une nuit au bout de cette mer intérieure et repartent le lendemain à l'aube. Mais le silence est maintenant total, impressionnant après tout ce vacarme. Comme une musique que l'on coupe après l'avoir écoutée très fort pendant un certain temps. Plus rien ne bouge. Les mouettes et les cormorans barbotent tranquillement. Nous aurons encore la chance de voir passer quatre grues juste au-dessus de nous, entre les arbres, discrètes, à la recherche d'un endroit où se reposer. Et ce sera tout. L'a-t-on vraiment vécu ? N'était-ce pas qu'un rêve ? 

Ce qui est sûr, c'est que je suis d'ici. 

lundi 24 février 2014

Amoureuse de la Corrèze

La Corrèze est sans aucun doute l'un des plus beaux départements de France. Ses routes sont reconnaissables entre toutes. C'est à leurs virages à l'inclinaison particulière, à la Vézère qui serpente et nous accompagne et aux villages de pierres que l'on sait qu'on est arrivé. Uzerche, Treignac, Seilhac, Argentat, Meymac, autant de noms qui ne cessent de me faire rêver. Aussi rurale que ses voisins, la Corrèze a quelque chose de plus accueillant, de plus lumineux qui la rend unique. 
Hier, nous étions donc sur l'un de ces larges sentiers plantés de conifères, guettés par le soleil qui lançait par moments ses rayons entre les troncs et par quelques animaux invisibles qui nous observaient dans le sous-bois. Le chevreuil et le sanglier étaient dans les parages... Quelque part sur le plateau de Millevaches, sur cette gigantesque étendue qui n'a rien à envier au Far West, nous sommes délicieusement seuls. On s'attendrait presque à découvrir un crâne de buffle dévoré par les rapaces. Les paysages tout en douceur savent malgré tout nous envoûter de leurs mystères. 


Village perdu au-milieu de nulle part, sur une route interminable, Saint Med les Oussines (en fait l'abréviation de Saint Médard, ne riez donc pas) porte bien son nom qui signifie "terres incultes". Mais tout le monde n'a pas toujours craché dans la soupe. Au temps des gallo-romains, certains s'étaient fait bâtir ici une villa des plus mégalos, terrasses et colonnades, le tout alimenté par un savant système fait de canaux d'irrigation et d'un réservoir d'eau. On pense qu'un pro-consul serait à l'origine de la construction de cet ensemble architectural comprenant également un édifice funéraire. Des bâtiments d'une élégance impressionnante, dont nous avons eu la chance de voir la reconstitution... 
Les choses se passent souvent comme ça, le hasard, les rencontres, les conversations qui se nouent et les confidences qui arrivent en toute modestie, en toute discrétion. Un bon paysan en habit de chasse qui nous dégaine son I-Phone et nous montre les photos du site en 3D, tel que les archéologues l'ont analysé. Ce que les chercheurs ont déduit de leurs observations représente un ensemble architectural de toute beauté, imposant, élégant. Ceux-ci ont eu d'autant plus de mérite de réussir à faire parler ces énormes pierres que beaucoup d'entre elles avaient été dispersées, taillées et volées par les habitants des villages environnants. Notre guide d'un jour, après nous avoir ouvert la caverne d'Ali Baba de l'Histoire, rengaine son téléphone Hi-tech et s'efface entre les arbres, en direction du plateau. Et nous restons là, à absorber l'ambiance du lieu. Grandiose. 

lundi 17 février 2014

Vie à rebours

(Texte bientôt publié dans la revue Aura du cercle littéraire belge Clair de Luth - printemps 2014)

5. Ce matin, en ouvrant les volets, je découvre avec le même émerveillement ces paysages idylliques au creux desquels j’ai choisi de vivre. Je suis entourée de montagnes, le ciel est dégagé, l’air est frais, vivifiant. C’est une belle journée qui s’annonce. Pourtant, je décide de tout plaquer.

4. Je suis maintenant dans une petite ville sympathique, pas très loin de la campagne, mais les cimes me manquent. Les gens sont gentils, mais pas aussi accueillants que dans mon village de montagne. Et, surtout, j’ai repris un travail « normal ». Les horaires sont des contraintes difficiles à gérer, moi qui travaillais depuis quelques temps en toute liberté. Je commence à tomber malade. Alors, un jour, je pars.

3. La région parisienne est tentaculaire, bruyante, polluée, violente. Mon travail me déplaît, je suis stressée en permanence et les embouteillages quotidiens me malmènent. Mes voisins sont odieux. Je déteste cette vie. Je m’y perds. Je fuis.

2. Paris. Quartier populaire, quartier populeux. Métro, boulot, dodo. Je suis résignée à souffrir. Je marche au même rythme que les autres en me disant que ce n’est que pour un temps, que ça va passer. Ça va aller, ça va aller, me disait toujours ma grand-mère quand je tombais.

1. J’avais des rêves pourtant, j’avais des rêves*…

0. Le réveil sonne. J’ouvre les yeux et me demande où je suis. Il me faut un certain temps pour réaliser, refaire le chemin de ce songe à l’envers. Je regarde à travers les persiennes la rivière qui s’écoule patiemment sous ma fenêtre. Je suis dans une petite ville, sympathique, mais…

Tôt ou tard, s’en aller*...



*Citation d’une chanson de Francis Cabrel.
*Titre de cette même chanson. 

dimanche 16 février 2014

Un héros

Félicité Herzog, Un héros, 2012.
Encore un bouquin qui casse le mythe pour se faire de l'argent ! Encore une "fille de" qui pond son opus pour passer chez Ardisson ! Encore un enfant qui cherche à sortir de l'ombre de son aîné en le détruisant ! C'est ce qu'on peut se dire en apercevant le livre de Félicité Herzog, la fille du grand alpiniste, vainqueur du premier 8000 mètres dans l'Himalaya. Mais il ne s'agit pas du tout de ça. Il ne s'agit pas d'opportunisme malsain, de volonté de tuer le père à travers une oeuvre. Au contraire, c'est le récit passionnant d'une vie solitaire, violente, peuplée de non-dits. C'est la volonté d'exprimer sa propre vérité, sa propre version des événements. 
Félicité Herzog navigue en effet comme une barque à la dérive dans une famille qui n'a jamais pu légitimement porter ce nom. Au mieux, elle a été un assemblage de personnes vivant chacune dans une bulle de frustration, de trahison et de grandeur passée. Le cas de son père, le célèbre alpiniste, est très vite réglé : imposteur qui n'aurait peut-être jamais atteint ces fameux 8000, assoiffé de chair fraîche féminine, jamais rassasié de conquêtes, jusqu'à une certaine perversité envers sa propre fille. Un héros qui n'en a que l'aura qu'il s'est lui-même fabriquée et qui correspondait très bien au besoin de renaissance qu'avait la France après la seconde guerre mondiale. Une ombre inquiétante qui plane sur l'enfance et l'adolescence de Félicité. Quant à sa mère, elle a cherché vainement à s'émanciper d'une riche famille noble et héritière des aciéries du Creusot, collaborationniste et négationniste, pour rentrer ensuite dans le rang. Idéaliste frustrée, elle est tiraillée entre son désir d'être une femme libre et le besoin d'appartenir à une lignée. Au centre de ce paradoxe, ses enfants sont livrés à eux-mêmes et à leur violence. Car, outre la démission de sa mère, qui l'entraîne dans les bas fonds parisiens et new-yorkais, Félicité doit affronter au quotidien la violence sans limites de son frère aîné, Laurent, dont les crises l'envoient invariablement aux Urgences avec des arcades sourcilières explosées d'autres lésions, sans que personne ne tire la sonnette d'alarme. 
Une vie entre les légendes Himalayennes et celles de la noblesse déchue, entre la faune parisienne et la nature envoûtante du château d'Apremont. Une vie à souffrir de ne pas avoir de place, jusqu'à prendre celle qu'aurait dû occuper son frère. Substitution, mimétisme, sacrifice. A lire. 
Le château d'Apremont - août 2013 (foto Emi)

jeudi 13 février 2014

Athènes

Mais qu'est-ce qui lui prend de nous parler de la Grèce sur "Montagnes d'ici et d'ailleurs", et d'ailleurs, y a-t-il seulement des montagnes en Grèce ? Eh bien oui, il y a des montagnes en Grèce, cher lecteur, je viens de me le voir confirmer par l'un des superbes reportages Arte de la série "Cuisine au sommet", dans lequel on voit un grand-père, ancien guide et gardien de refuge, et sa petite fille grimper sur les pentes du Mont Olympe, 2900 mètres tout de même. Une randonnée qu'il me plairait bien de faire. Mais c'est une autre histoire. Si je me prends à vous parler de la Grèce, et que, vous l'avez vu si vous êtes assidu, j'ai ouvert une section "Grèce" à mon blog, c'est que j'ai acheté un billet d'avion pour Athènes. Je ne pars pas tout de suite, mais au mois d'avril, aux beaux jours. Cependant, comme j'ai un peu de temps devant moi, que la tempête fait rage à l'extérieur et que je suis interdite de sortie, je vais te parler un peu de mon histoire avec la Grèce, comme ça, au coin du feu. Tu veux ?
Revenons quelques années en arrière. J'ai 12 ans à peine et je suis assise au troisième rang pour écouter avec attention le cours d'histoire de Madame B., celle qui se limait les ongles pendant les contrôles et devant l'élégance de laquelle j'étais béate d'admiration. Elle pensait que je buvais ses paroles ; je louchais sur ses bagues en lapis lazuli et enviait sa crinière blonde parfaitement ordonnée. Quoique, elle n'avait sans doute pas tort : j'absorbais vraiment tout ce qu'elle nous racontait. Il faut dire que les cours sur l'Antiquité égyptienne et grecque me passionnaient. L'archéologie, les vestiges de civilisations millénaires, les rêves de voyages, déjà. Et puis, un jour, elle est arrivée en classe avec sa toute aussi antique machine à lire les diapositives et a passé une heure à nous montrer les photos de ses voyages : l'Acropole, les caryatides, le Parthénon, Delphes... Je crois que c'est là que tout a commencé. 
Quelques années plus tard, j'étais toujours assoiffée d'exotisme. Entre temps, j'avais découvert Tintin et le Temple du Soleil et le sous-commandant Marcos, j'en ai parlé ici, mais ça n'a pas terni mon envie de découvrir la Grèce. Poussée par l'idée de rencontrer des "étrangers", je me suis penchée sur la rubrique "correspondants" d'un magazine de foot que maman m'avait acheté pour me distraire (oui, cher lecteur, j'étais aussi fan de foot). Un mercredi après-midi, je découvre donc dans cette rubrique un petit mot d'une certaine A., de 2 ans mon aînée, qui aimait les mêmes clubs et les mêmes stars du ballon rond que moi et souhaitait correspondre avec des adolescents du monde entier. Je me suis lancée, j'ai répondu à son message. Et puis, rapidement, une première lettre est arrivée. Du Pirée. J'étais euphorique : c'était tout un monde qui venait d'entrer dans ma boîte à lettres et dans ma vie ! La Grèce est alors devenue mon Eldorado, mon obsession, mon paradis, mon refuge, mon rêve le plus cher. Tout ça à la fois. Au fur et à mesure de ma correspondance avec A., je découvrais des images de ce magnifique pays, je tentais d'en décrypter les noms. Des livres sont venus peupler ma bibliothèque ; les cartes postales de Santorin, de Kos et d'ailleurs sont venues coloniser les murs de ma chambre. 
Un jour, les lettres se sont espacées, puis tout s'est arrêté. Nous étions à la fac, la vie avait changé, beaucoup changé, de part et d'autre de la Méditerranée. Déjà adulte, j'ai décidé, un jour d'été, de me séparer de toutes les lettres d'A.. J'avais besoin de faire du vide, d'alléger mes valises, parce que le chemin commençait à se faire de plus en plus raide. Je n'en avais gardé qu'une seule. Et les photos, bien sûr. Plus tard, je me suis inscrite sur Facebook. J'avais une idée en tête (et, à l'époque, pour venir me mettre sur ce site dont je disais le plus grand mal, je n'en avais sincèrement qu'une) : retrouver A. Et c'est là que l'informatique, c'est magique : je l'ai retrouvée. On s'est raconté ces 10 ans de silence et on s'est aperçu que nos vies avaient pris des chemins parallèles, similaires. Alors, le contact s'est tout naturellement renoué, comme si on s'était tues la veille. 
Il n'y a pas si longtemps, comme vous le savez peut-être, j'ai décidé de changer de vie, de planter ma tente ailleurs, à la campagne. Beaucoup de choses ont changé, notamment la valeur de mon compte en banque, qui, à Paris, maigrissait de jour en jour. J'ai eu un joli petit contrat de travail, ai mis tous ces sous de côté. Pour voyager, évidemment. Je venais d'acheter un gros billet d'avion (dont je te reparlerai plus loin, cher lecteur, ne sois pas si impatient !) et j'ai remarqué que mes économies n'étaient pas encore à bout de forces. Alors, vendredi dernier, coup de tête, à 11h, j'ai acheté un aller-retour pour Athènes !
Je ne sais pas encore où je vais dormir ni ce que je vais organiser là-bas. Ce qui est sûr, c'est que la seule perspective de rencontrer A. en chair et en os et de fouler pour la première fois le sol de l'Eldorado de mon adolescence provoque en moi l'excitation d'un enfant la veille de Noël !
Voilà, cher lecteur. Alors, dis-toi bien que, de la Grèce, tu risques d'en entendre parler un bon bout de temps !

mercredi 12 février 2014

Châteauneuf sur Cher, bis, non repetita

C'est étonnant comme on voit les lieux différemment, sous d'autres angles, quand on les parcourt une deuxième ou une troisième fois, comme on y débusque des détails que nos yeux n'avaient même pas soupçonnés ni effleurés lors de la première visite. La personne qui nous accompagne change aussi beaucoup notre manière de percevoir les choses. Ce matin, je suis retournée à Châteauneuf sur Cher, saluer Notre Dame des Bons Enfants. Dans le ciel bleu, l'arrière de la basilique a pris des airs d'églises orthodoxe des Cyclades. Peut-être à cause de son dôme blanc... Ou d'autre chose... qui sait ! Voici donc les images du jour. 





mardi 11 février 2014

Au coeur des forêts

Christian Signol, Au coeur des forêts, 2011.
Nouvelle lecture passionnante ! C'est fou ce qu'on reconnaît un bon livre en ce qu'il surpasse, pulvérise les idées préconçues qu'on s'en fait à partir du titre, des avis des autres lecteurs, de ce que l'auteur connote. Christian Signol = roman du terroir ; "forêt" = roman plan plan, voire ennuyeux.
Puis, je lis. Et dès les premières lignes, une ambiance est créée : on est dans cette forêt. Est-ce que ça tient au choix de chaque mot, ou bien à l'assemblage de ceux-ci dans les descriptions ? En tout cas, on visualise parfaitement le lieu, les personnages, le décor, la température, le climat qui règne au milieu de cette nature et au sein de l'esprit des personnages. Bastien est déjà un ancien, mais ce grand-père isolé dans sa forêt décimée d'après la tempête de 1999 continue de travailler, de couper et de replanter. Il est seul et il s'en accommode, parce que sa femme n'est plus et que sa fille a quitté le "plateau" depuis bien longtemps, attirée qu'elle était depuis toujours par les lumières et les promesses de la ville. Un jour, pourtant, Charlotte, la petite fille de Bastien, débarque chez lui après des années d'absence, en proie à une grave maladie. A travers les souvenirs qu'elle évoque avec son grand-père, elle fait alors resurgir le passé, convoque les êtres aimés et disparus. Ensemble, les deux générations s'apprivoisent et soignent leurs blessures, qu'elles soient physiques ou morales. C'est une relation simple qui se noue entre ces deux êtres à vif. La forêt sert de contexte à ce cheminement intérieur et temporel, mais pas seulement. En effet, les arbres sont également des personnages : ils parlent, s'expriment, rêvent, souffrent, vibrent et racontent, à leur manière, leur version de l'histoire et de la vie qui s'écoule, plus ou moins douloureusement, autour d'eux.
C'est magnifiquement écrit, comme un poème, poignant mais pas larmoyant, plus exactement intense, dense comme la forêt. Les personnages sont eux aussi ciselés, sculptés. On lit tellement de romans dont les protagonistes sont plats, sans relief, insignifiants, hommes et femmes dont l'auteur n'a fait que survoler la personnalité. C'est une leçon de portrait que de lire Signol, un cours magistral sur la manière de sublimer les êtres qui naissent de notre imagination. 

lundi 10 février 2014

Messagers du silence

Michel Cool, Messagers du silence, 2008.
Le titre paradoxal et la question de savoir pourquoi on devient moine m'intriguaient, alors, j'ai lu. 
Pourquoi s'enferme-t-on dans un couvent ? Pourquoi se coupe-t-on du monde ? 
Au Moyen Age et à un âge pas si ancien, c'est-à-dire, jusqu'à l'aube du Concile Vatican II, le monachisme, c'était clôture, grillage aux fenêtres, enfermement, isolement et tout le toutim. Les monastères étaient bien garnis, voire surpeuplés. Aujourd'hui, la réforme de l'Eglise est passée par là, la crise des vocations, les bouleversements du monde... et les couvents se dépeuplent. A quoi servent donc ces gens qui se mettent dans une bulle de prière et de méditation ? En quoi leur action peut-elle nous aider, venir au secours des âmes en peine ? On peut se le demander. Où est la solidarité dans cette démarche ? N'est-ce pas plutôt de l'égoïsme ? Michel Cool, qui a rencontré un grand nombre de communautés religieuses chrétiennes en France, en Belgique et en Suisse, qui a passé un temps avec chacune d'entre elles, tente de nous expliquer qu'au contraire, le monachisme, c'est le partage. A travers son travail d'enquête, pas de prosélytisme, il nous présente des gens aux expériences variées et qui, un jour, on décidé de franchir le pas et de changer de vie pour devenir moine ou moniale. Il y a là des ingénieurs ONF, des avocats, des traders, des jeunes qui étaient promis à de grandes carrières dans le monde "laïc", "extérieur". Leur vocation est née plus ou moins tôt, a été plus ou moins évidente, plus ou moins rapide, mais ils se rejoignent tous sur la conviction qu'ils ont de leur plus grande utilité en tant que priants qu'en tant que simples citoyens. Cependant, au fil du temps, au fil des siècles et plus encore des dernières décennies, les choses ont bien changé dans la société. Le monde extérieur est entré dans les monastères : les retraitants, pour une semaine ou quelques mois, par vocation ou par envie de silence, se sont faits de plus en plus nombreux ; les communautés religieuses se sont ouvertes et parfois délocalisées : dans des villages, dans des cités HLM ou ailleurs. Une sorte de révolution est donc en train de s'opérer et les religieux doivent parfois jongler entre leur désir de vivre en ermite et l'affluence de visiteurs qu'ils se doivent d'accueillir.

La conclusion de cette enquête est très intéressante, en ce qu'elle donne un aperçu du panorama religieux actuel et pose deux réalités : d'une part, le fait que les moines et les moniales sont beaucoup plus en contact avec le reste de la société, plus en phase et plus à l'écoute de celle-ci que n'importe quel prêtre, parce que, dans leur accueil, ils côtoient une immense variété de personnes et de situations sociales ; d'autre part, la confrontation de la grande mode actuelle de la recherche de "soi", individualiste, qui vise à l'épanouissement personnel, et l'idéologie religieuse qui sublime cette connaissance de soi en la mettant au service de la paix et du bonheur de l'Autre, du prochain. A méditer donc : ne jamais oublier que se connaître soi-même, c'est bien, mais que cette paix intérieure que nous sommes parfois amenés à retrouver au terme d'une longue quête est gâchée si elle reste égoïste et solitaire, est au contraire démultipliée si elle irradie autour de nous. 

jeudi 6 février 2014

Port d'attache

Partir pour revenir... Avoir un point d'ancrage où se sentir chez soi, ou, à défaut, près de ses racines, pour pouvoir s'y recharger et trouver l'énergie pour faire d'autres longs voyages. Avoir un lieu qui ressource, dans lequel on se sente bien, presque comme dans un cocon, et savoir que c'est là qu'on reviendra après chaque évasion au long cours. Ce lieu est difficile à trouver, à déterminer. C'est une sorte d'équilibre instable entre enracinement et lieu de passage, entre migration permanente et immobilisme. 
Je me suis établie ici, dans ce village, un peu par hasard, parce qu'il se situait entre mes deux différents lieux de travail et parce que c'était la seule petite annonce alléchante que j'avais trouvée. Ensuite, à la première visite, ce qui m'a plu, c'est la beauté du lieu. Car l'esthétique, le fait de vivre dans un endroit agréable au regard allège bien des peines et réveille bien des joies intérieures. Depuis, chaque jour, en allant travailler, sur ces routes que je parcours sans cesse, en itinérante, je ne cesse de m'émerveiller devant le lever du soleil, la silhouette d'un château dans le couchant, les vaches qui paissent dans le brouillard matinal, les plaines enveloppées de brume, comme irréelles, le vol des grues, le saut d'un chevreuil. La nature me réserve chaque jour de belles surprises, des rencontres étonnantes et un plaisir visuel sans cesse renouvelé. De ce village où j'habite, j'aime le canal qui passe au pied de chez moi, le beffroi qui s'élance dans le ciel bleu, les remparts du château qui témoignent d'une grandeur passée. Et j'aime cette rivière qui roucoule sous ma fenêtre, le soleil qui y joue à tester de nouveaux reflets au matin. 
D'un autre côté, il m'est impossible de me projeter et de jurer que ce lieu est "le bon", le dernier. En attendant, peut-être un jour, d'en partir, je savoure la chance quotidienne d'avoir pu y établir mon agence de voyages personnelle, mon bureau d'écrivain et mon refuge de haute montagne. Pour un temps...