mardi 26 février 2013

Ambition : être libre !

Voici le cri du coeur d'Etienne, enseignant en technologie :

Ambition enseigner !
Qui veut apprendre à apprendre ? Qui veut la réussite de tous ? Qui veut étudier l’esprit libre ?
Ces questions ne me sont pas destinées mais j’aurai envi de répondre « moi », aujourd’hui je ne réponds pas.

Vivre !
Vivre est le premier mot qui me vient à l’esprit en cette période de projets et de perspectives ministérielles.
Mon choix était réfléchis, arrivé en Ile de France motivé et conscient de la situation de l’époque je me suis engagé auprès des élèves, des collègues, TZR, ZEP, RAR, classe relais, SEGPA, prévention violence, groupe de travail départemental et plus récemment 2CA-SH, Ulis pro. Comme on se le dit parfois, on a signé en connaissance de cause, une période en Ile de France s’impose, comme tous fonctionnaires oui mais pas une vie !

Devenu enseignant titulaire à 28 ans (je ne parle pas volontairement de mes années de non titulaire) je pensais pouvoir m’appuyer sur cette réussite pour me projeter vers l’avenir, vivre ! Mais non. Vous vous dites peut être « ah oui, mauvaise stratégie de carrière» ! Mais quelle carrière ? Ni agrégation, ni mutation. Pour la mobilité il y a bien les faux pacs faisant légions, sésames vers nos provinces éloignées mais je n’ai pas choisi ce biais conscient aujourd’hui de mon « erreur » peut être.
La technologie, enseignée qu’au collège, est une discipline permettant l’ouverture d’esprit et la découverte de son environnement, la compréhension des technologies qui accompagnent nos vies. C’est un enseignement de transition efficace entre l’école et le lycée, une discipline aujourd’hui bien souvent oubliée, aux enseignants peut être dévoués mais acculés.
Tout le monde s’en souvient généralement, pour diverses raisons mais ces heures d’apprentissage au collège marquent. Moi, enseignant de technologie je suis de plus en plus marqué.

Otage !

Voici le mot choisi à ce moment précis, illustrant mon sentiment de fonctionnaire écrivant cette lettre. Je n’ai pas été capturé par un groupe de fanatiques, je suis simplement enseignant en technologie, otage de mon métier et d’un système injuste, éducateur face à un manque incroyable de considération humaine, pédagogue face à une discipline à la dérive.
La colère me gagne en voyant la campagne de recrutement actuelle alors que nous ne pouvons pas choisir notre lieu de vie même à long terme. Enseignant en technologie, super ! Alors dites moi comment obtenir des centaines de points, que dis-je plus de mille parfois ? Comment fonder une famille dans 40 mètre carré ? Comment imaginer une vie entière loin de ses proches ? Comment avoir l’esprit libre ?

Ambition être libre !

samedi 23 février 2013

Rissoles

Quand le mercure dégringole, c'est le moment des rissoles.
Nouveau proverbe local en ce post-carnaval qui n'en finit pas de se refroidir et de pleuvoir, voire de neiger. Quand les petits flocons tombent du ciel, un temps à ne pas mettre un chamois dehors, c'est donc le jour où jamais pour faire des rissoles savoyardes...
Je n'ai aucun mérite, la recette est ici :
Enfin, si, le mérite, quand même, de les avoir réussies !
Et le mérite, aussi, d'avoir réussi à étaler, coûte que coûte, une pâte qui avait bien, mais alors bien bien durci...
Voici :

samedi 16 février 2013

Sarah / Julie : le match

Le concept : deux jeunes femmes partent sillonner les routes des provinces françaises, allemandes et autrichiennes pour dénicher les bons petits plats, les savoirs faire et les belles traditions.
D'un côté, Sarah Wiener ; de l'autre, Julie Andrieu.
LA MUSIQUE : avantage, Sarah
Petite valse d'accordéon, très champêtre mais pas trop, juste ce qu'il faut. Une mélodie qui revient tout au long des reportages comme un refrain et qu'on garde en tête.
Côté Julie, l'accordéon a aussi sa place dans le générique. Puis, pendant le reportage, toutes sortes de musiques se succèdent, certes, assez agréables, mais qui donnent moins de cachet à l'émission.
LE RYTHME : avantage, Sarah
C'est justement la musique qui aide à poser ce rythme, mais aussi le fait que Sarah doive aller elle-même cueillir, chasser, pêcher, trouver les ingrédients dont elle aura besoin pour réaliser les recettes qu'on lui demande de faire. Le rythme est donc donné par ses allées et venues, mais aussi par son dynamisme naturel.
Quant au programme de Julie, sans pour autant marquer de temps d'arrêt, il souffre d'une lenteur cotonneuse. La douceur s'est transformée en ennui.
LE TON : avantage, Sarah
Les deux montrent bien sûr des recettes intéressantes et traditionnelles, des gens simples et aux talents ancestraux et magnifiques, des paysages à couper le souffle, mais, chez Julie, la part belle est beaucoup faite à la reporter, souvent un peu empruntée, très parisienne dans ces décors ruraux.
Sarah ressemble beaucoup plus, par sa spontanéité et sa simplicité, son attitude chaleureuse, aux gens qu'elle met, pour le coup, d'autant plus en valeur.
LA VOITURE: avantage, Sarah
Détail qui revêt toute son importance, puisque Sarah se promène dare dare dans sa vieille Wolkswagen rouge ou, lorsque les terrains sont trop accidentés, dans un 4x4 de la même couleur, comme un repère dans les paysages, un petit point coloré qui se rapproche et s'éloigne de l'écran pour ne laisser en grand format que l'immensité des paysages.
Julie aussi a une voiture rouge dans le générique mais, dans l'émission, elle se balade dans un gros tout terrain parisien qui se gare en gros plan et dont, par conséquent, il faut flouter la marque.
LE SITE DE L'EMISSION : avantatage, Sarah
Jugez-en par vous-mêmes ici :
Une animation soignée, des villes sur lesquelles cliquer et auxquelles correspondent un livre animé dans lequel se cachent de superbes recettes illustrées.
La page de Julie peut se consulter sur le site de France 3 mais est nettement moins fonctionnelle et moins recherchée. Quant à son site, il est très personnel, trop froid à notre goût:
LE RESULTAT : Match gagné haut la main pour Sarah !
Vous pouvez le déduire de ces comparaisons : l'émission de Julie n'est qu'une pâle copie de celle de Sarah, une reprise de concept qui pourrait presque s'apparenter à du plagiat. Malgré tout, saluons l'initiative de la télé française de mettre enfin ses régions à l'honneur sans tomber dans la caricature.
Et voici le site de Sarah Wiener, totalement magique, une vraie création :

Ersatz

La question du jour est : tu préfères, des dents en bois, ou des jambes en mousse ?...
Je paraphrase Pierre Palmade (dont vous pouvez voir le sketch ici ), simplement pour vous faire comprendre que, parfois, même s'il fait beau, choisir de sortir ou de rester à l'intérieur est un choix cornélien.
Alors, tu préfères, regarder le ciel bleu avec des yeux nostalgiques en pensant que c'est mieux ailleurs, que donc, tu ne sortiras pas, vu qu'ici c'est beaucoup moins bien, et passer l'après-midi à te languir d'une destination lointaine...
... ou bien, sortir, faire comme si, et tenter de profiter d'un ersatz de nature ? ...
Ersatz, c'est bien le mot. Ce fameux paysage qu'on trouve joli une fois, une fois et demie si l'on est vraiment dans de bonnes dispositions, mais qui nous indispose dès la deuxième fois, sans parler des fois suivantes, qui, d'ailleurs, ne nous verrons peut-être jamais arriver. Ce genre d'endroit où tout "ressemble à" mais n'est pas, une micro copie, un plagiat en raccourci, en rabougri. Sans parler de la populace qui peut s'y masser, gueule fermée, politesse en vacances, chaussures de ville, sans même essayer de profiter des détails, du soleil, de son reflet sur l'eau. Alors que, là-bas, tu serais seul, peinard, juste avec les cormorans au-dessus de toi et la vase dans les narines. Mais c'est sans doute parce que ces gens en sont à leur centième passage sur les lieux. Ils doivent être blasés, saoulés, rincés de se refarcir le même chemin. Ou bien, tout simplement, n'ont-ils pas le réflex de se sentir différents dans la nature. Mais alors, dans ce cas, je me pose la question suivante : pourquoi sortir ?
Du coup, tu préfères, rester chez toi tout seul à regarder avec joie le ciel bleu derrière tes vitres...
... ou être entouré de maussades, de fermés de la trombine, mais être dans la nature ? ...
Dur, n'est-ce pas ?
Ersatz, est-ce que tu sers vraiment à quelque chose ? Est-ce qu'on s'y dégourdit vraiment les idées ? Ou bien est-ce que c'est trop riquiqui pour nous sauver, trop étroit pour ne pas nous rendre mélancolique ? Combien de temps peut-on pratiquer l'escapade dans un ersatz sans devenir fou, ou niais, idiot du genre celui qui s'extasie devant un brin d'herbe ou le vol d'une mouette (pardon, les mouettes) ?
Deux solutions : soit l'ersatz nous console, nous fait attendre, comme la tétine fait attendre le nourrisson avant le lait maternel, comme les gâteaux apéritifs trop salés avant le grand banquet ? ...
... soit il nous prive, nous frustre, comme on montre un jouet à un enfant dans un magasin puis on le lui retire, comme une mini dose de drogue qui ne parvient pas à faire oublier l'orgie, comme une fenêtre par laquelle le détenu verrait les champs à l'inifini et se taperait la tête contre ses quatre murs, méthodiquement, parce qu'il n'en peut plus d'attendre, d'espérer, de rêver, de se projeter et de toujours retomber.



vendredi 15 février 2013

Avec vue sur la mer

Didier Decoin, Avec vue sur la mer, 2005.
Et en plus, il est né le même jour que moi !
Certes, cela n'en fait pas pour autant, d'office, l'un de mes écrivains favoris. Surtout que ce que je viens de lire n'est pas un roman mais une sorte d'autobiographie immobilière. A lire par mauvais temps, surtout si l'on cherche une maison. D'autant plus qu'après avoir lu un livre qui, avec le recul, me semble de plus en plus inutile, celui-ci me réjouit les sens, comme on reconnaît le goût d'un chocolat artisanal après avoir ingurgité des quantités effroyables de chocolats de supermarché en boîtes familiales.
 C'est l'histoire d'un homme, ou plutôt d'un enfant, qui est tombé amoureux d'un bout de terre, d'un bout du monde sauvage et plutôt inhospitalier : une maison de vacances tout près de la Hague, battue par les vents et rongée par le sel mais symbole d'une escapade estivale gravée dans la mémoire de l'adulte. Adulte qui, après tant d'années, s'est résigné à oublier ce refuge, cette illusion, surtout après la construction de l'usine de retraitement des déchets sur le site de la Hague. Et puis, un jour, comme toujours dans la vie, le hasard, qui n'existe pas, ramène Didier Decoin, scénarsite, à l'endroit de son coup de foudre enfantin. Avec sa femme, il tente de rechercher la maison de son enfance. En vain. Mais, la décision est prise : ils vont acheter une résidence secondaire ici. Incrédulité et incompréhension du côté de leurs amis et de leur famille : comment peut-on avoir l'idée de venir habiter là-haut, plus près de l'Angleterre que de la France, si loin de Paris, dans un lieu où les tempêtes sont légion, les coups de soleil une pure invention et les plages des étendues plus propices à la vente de parapluie que de parasols ?
Qu'importe, la magie opère, celle des landes fouettées par les embruns, celle de l'obstination amoureuse qui fait fi de tous les obstacles et place son entêtement à réaliser son projet au-dessus de tous les aléas matériels, celle d'une maison rabougrie dont l'âme dépasse immensément les frontières de ses quatre murs. Decoin nous fait voyager dans son histoire, dans ses paysages et nous berce de ses mots choisis, que l'on savoure en se lêchant les doigts de plaisir, comme on se régale d'un plateau de fruits de mer sur le port. Des mots si justement placés et enchaînés que certains passages sont de la pure poésie, à lire à voix haute.

jeudi 14 février 2013

Dieu, ma mère et moi... et alors ?

Franz Olivier Gisbert, Dieu, ma mère et moi, 2012.
Cher lecteur. Il faut que je t'avoue une vérité. Je te cache des choses. Eh oui, je sais, je ne suis pas tout à fait honnête, pas celle que tu croyais, peut-être. Le fait est que, non, je ne te parle pas de TOUS les livres que je lis. Je sais, je sais, tu es déçu, sans doute irrité. C'est pourquoi, aujourd'hui, pour me faire pardonner, je vais te faire partager ce que, d'habitude, croyant t'épargner dans un élan de générosité que tu pourrais tout aussi bien prendre pour du mépris, je garde pour moi : la chronique d'un des quelques livres que je n'ai pas aimés. J'admets que je devrais parler de tout sans rien omettre, pour te laisser toi-même juger des qualités et des défauts d'une oeuvre, pour qu'on puisse en débattre. Soit, tu l'auras voulu.
Je n'ai donc pas aimé le livre de FOG. Le titre était pourtant prometteur et le résumé alléchant : un fils qui poursuit avec sa mère morte les conversations sur Dieu qu'ils avaient pu avoir ensemble par le passé. C'est mignonnet. Sauf que l'intérêt s'effrite pour carrément s'envoler au bout de quelques chapitres.
"Je sais que je vais déranger en me mêlant de ce qui ne me regarde pas. De philosophie et de théologie, par exemple. Pardonnez-moi. Je ne suis qu'un amateur."
Mais, non, le lecteur ne t'en veut pas, cher auteur... Je crois qu'en fait, il s'en fout. Et, pire encore, je pense même qu'au regard de toute la lecture, on peut trouver cette introduction passablement prétentieuse. Car, non, Gisbert est loin d'être un amateur. Au contraire, son livre est un recueil de science, de savoir, voire un étalage, de connaissances philosophiques et théologiques. Alors, il fallait aller au bout, ne pas feindre la modestie et pondre carrément un ouvrage de vulgarisation sur Dieu. Pas une sorte d'entre-deux, entre deux chaises, entre la naïveté enfantine et la narcissique affirmation de soi. Tu me trouves peut-être dure, cher lecteur, mais je peux t'affirmer, et cela m'arrive rarement, qu'hier soir, à 21h43 précises, en refermant ce livre, j'ai prononcé ces mots à voix haute :
"Sans intérêt, ce livre."
Et puis, à diverses reprises, et je peux te le dire sans peur et sans reproches, cher lecteur, moi qui suis une grande lutteuse, non pas devant l'Eternel, mais devant l'éternelle page blanche, à diverses reprises donc, je me suis trouvée face à un flagrant délit de remplissage : idées reprises d'un chapitre à l'autre, voire paragraphes entier recopiés, sans doute parce que l'auteur s'en sentait fier comme d'une géniale trouvaille, expressions réutilisées sans cesse, tant et si bien qu'on aurait pu les compter.
C'est étonnant comme les lectures se croisent, se fondent ou se téléscopent. J'ai commencé un autre livre, et voici ce que j'ai pu y lire, en souriant, pas plus tard qu'à 17h04 :
"Le lecteur songera peut-être que l'évocation d'un incident aussi insignifiant que cette histoire de taupe sent fortement la panne d'inspiration.
Je suis moi-même un liseur assez acharné pour savoir qu'on ne cesse jamais de surveiller le comportement de l'auteur derrière ses mots, un peu comme le maton observe le détenu à travers l'oeilleton de sa cellule pour s'assurer qu'il garde assez de ressort pour aller jusqu'au bout de sa peine. Rien de plus navrant que ces moments de passage à vide où le prisonnier reste vautré sur sa couchette plutôt que d'aller en promenade, et où l'auteur se love dans le creux d'un non-événement pour vous diluer sur plusieurs pages une anecdote futile et assomante."
(Didier Decoin, Avec vue sur la mer)
Voilà, cher lecteur, ce que cela peut donner quand je parle d'un livre que je n'ai pas aimé. Peut-être es-tu choqué, ou en transe. Pour ma part, je suis entre la culpabilité et la jubilation.

dimanche 10 février 2013

Pistoulet

Jana Koplen, Le secret de Pistoulet, 1996.
Je me demandais, cher lecteur, en m'apprêtant à écrire cet article : peut-on faire une overdose de trop lire ? C'est vrai, même si c'est bon, ne peut-on pas faire comme une overdose de chocolat, une overdose de bonheur, quelque chose dans le genre ? Et, je me demandais aussi, par la même occasion : pouvez-vous, vous, faire une overdose de tout ce que je vous raconte ? C'est vrai : en ce moment, plus rien sur la Bolivie, rien sur la Savoie, pas de rando, plus trop d'autres choses que des livres, des livres et encore des livres...
Bon, pour changer, celui-là est un livre de recettes et, en plus, il a le mérite de ne pas être classique. Vous visualisez, les livres pour enfants dans lesquels il faut tirer des languettes en carton pour découvrir ce qui est caché dans la page, pour faire danser les personnages, faire se mouvoir le décor et s'émerveiller ? C'est un peu dans le style. C'est l'histoire d'une auberge bénie où l'on vient se retaper le corps et le coeur à grands coups de soupes magiques aux vertus étonnantes. Alors, tout au long des pages - trop courtes, à mon goût -, on ouvre des enveloppes, on découvre des cartes, on dévoile des paysages. De l'histoire, des recettes, je ne vous dirai rien, pour ne pas briser la magie. Mais sachez que Pistoulet réserve bien des secrets...
Au passage, encore un ouvrage mêlant habilement les styles et qui nourrit, non seulement ma panse et mon imagination, mais aussi les petites idées de créations qui germent dans mes tiroirs...
Et dont je vous reparlerai bientôt...
Quel suspense !

vendredi 8 février 2013

Le poil et la plume

Anny Duperey, Le poil et la plume, 2011.
Elle aime la Creuse, Anny, et on ne peut plus dire qu'elle est creusoise "d'adoption". Parce qu'elle s'est fondu dans le paysage et dans la vie de cette belle région, jusqu'à en devenir l'ambassadrice. Avec une nuance, quand même : celui d'être suffisamment discrète pour ne pas crier sur tout les toits son adresse, cette vieille batisse dont elle a fait un paradis. Car Anny n'aime pas trop qu'on vienne passer au ralenti devant chez elle, par curiosité, pour voir où elle crèche... et se retrouver nez à nez, de la paille dans les cheveux et les bottes crottées, avec des admirateurs. S'intégrer dans une région qui n'est pas la sienne, d'autant plus lorsqu'on est connu, nécessite quelques efforts et surtout de montrer patte blanche. Il ne s'agit pas de venir trois semaines par an, quand il fait beau, et de faire entretenir le reste de l'année son jardin aux volets clos par une personne extérieure, ou pire, par une entreprise pas du coin. Anny, elle, a mis les mains à la pâte : rénovation, jardinage, élevage, contact avec les gens du village, longues périodes d'écriture avec la Creuse par la fenêtre, toujours en point de mire. Elle nous raconte dans son livre sa passion pour les poules, animaux pas si bêtes qu'on veut bien le croire. Et c'est l'occasion pour notre creusoise de nous faire passer, tout en douceur mais bien franchement et sûrement, quelques messages sur l'élevage intensif, la maltraitance subie par les animaux en batterie, ceux qu'on mange, qui sont bourrés d'antibiotiques. Attention, ce n'est pas du tout une incitation à devenir végétariens. Plutôt une réflexion sur comment chacun de nous peut essayer de moins manger, pour manger un peu mieux, rechercher les petits producteurs locaux, histoire de faire aussi perdurer la vie rurale. Message reçu ? Anny n'a pas la langue de bois, et, en plus, elle sait de quoi elle parle, elle qui mange ses propres oeufs.
Pour conclure et pour le plaisir, un magnifique passage sur la Creuse :
"On ne "passe" pas en Creuse [...]
Rien à faire. Pour y aller, il faut le vouloir, sciemment. Vous ne la découvrirez pas par inadvertance. [...]
La Creuse évoque un pays préservé, à l'écart de l'agitation, un territoire un peu mystérieux, comme un secret gardé quelque part ailleurs et au fond de soi, un paysage et une manière de vivre comme les ont connus nos grands-parents et ceux d'avant encore, au sein d'une nature omniprésente et en accord avec son rythme. Un écho nostalgique, un peu touchant mais lointain. [...]
C'est un pays de bocages, doucement vallonné par les premiers contreforts du Massif Central, admirablement entretenu par les gens qui y vivent de l'élevage. Peu de friches, pas de champs abandonnés en Creuse. [...]
Tout y est "comme avant", d'où cette impression, en parcourant les chemins creux bordés d'arbres parfois pluricentenaires, entre le joli bordel des pâtures et les murets de pierres sèches, d'effectuer en saut en arrière dans le temps. [...]"

mercredi 6 février 2013

Mes addictions musicales

Chacun a une manière particulière d'écouter de la musique. Pour ma part, je suis totalement compulsive, voire boulimique, puisqu'une fois que j'ai découvert la perle, je me mets à l'écouter en boucle, sans cesse, en répétition infinie, jusqu'à la connaître par coeur, à la variation de voix prêt, au millimètre de bande son, à la respiration prêt, souvent aussi jusqu'à l'overdose. Quand je dis "perle", la notion est évidemment très subjective. C'est une voix, une chanson, une mélodie, quelques mots, qui frappent mon esprit, entrent soudain en collision avec mon âme et provoquent une sorte de vibration, comme seule peut la provoquer l'addiction à une drogue. La musique comme un shoot. Alors, une fois que j'y ai goûté, je cherche à reproduire l'effet, à le faire perdurer encore et encore. J'apprends par coeur, j'ingurgite, je dévore, m'en remplis la tête en permanence, me farcis l'esprit, de là à totalement intégrer le morceau comme une partie de moi, comme une parcelle de mon être. Cela peut sans doute vous paraître un peu violent, comme méthode, une façon de faire presque tribale, sauvage, sans discernement, excessive. Comme un goujat s'empiffre de caviar sans en savourer le goût. Ensuite, je m'identifie tellement à ce rythme, ces phrases et ces accords, que je parviens même à en créer tout autour une ambiance, un mouvement, une oscillation, tout un monde. Et puis, comme je compose et chante moi-aussi, je restitue cet élan dans mon propre travail. Attention, il ne s'agit absolument pas de plagiat. D'ailleurs, souvent, je suis bien la seule à entendre la ressemblance entre ma nourriture et ma propre cuisine. De la même manière que je pars marcher en forêt pour trouver l'inspiration à mes textes en prose, la musique inspire mes chansons. Et alors, les arbres devraient-ils crier au plagiat ? Non, je ne leur emprunte rien. Juste, je me noie dans leur ombre, dans l'oxygène qu'ils dégagent et, grâce à cette fusion, je produis. Le processus est exactement similaire pour mes compositions.
Mes premières addictions remontent à l'enfance, sans doute, mais je ne me souviens d'elles que de par ce qu'on m'en a raconté. Chanter, par coeur, des chansons dont j'ignorais le sens. Ensuite, vers l'âge de dix ans, je me suis mise en tête de chanter juste. Il n'y avait pas de raison, je devais y arriver. J'ai donc appris par coeur des textes entiers de Cyndi Lauper et de Johnny Clegg, me suis entraînée sans relâche à copier leurs vocalises, leurs intonations, les ruptures dans leur voix. Je me souviens qu'à l'époque, la question, dans la cour de récréation, était : "et toi, c'est qui ton chanteur préféré ? Et ta chanteuse ?". C'était l'époque des boys bands et de Mariah Carey. Je répondais Johnny Clegg. Je recueillais des regards interrogateurs, effrayés, soudains distants. J'étais classée. Ensuite, j'ai découvert l'Amérique Latine. Mercedes Sosa, Emma Junaro, Esther Marisol, Soledad Bravo, Payita Sola, et j'en passe. Dans le salon de mon appartement d'étudiante, face à la chaîne hi-fi grésillante, je répétais. C'est à peu près à ce moment-là que j'ai commencé à écrire. Et puis, les Andes ont déferlé sur moi comme un tsunami. Tout a changé. Mon enfance musicale a été réduite à des cendres et l'envahisseur andin a construit, solidement, pour toujours, les bases de ce que j'écris, voire de ce que je suis aujourd'hui.
Quelques années de concerts, zampoñas, quenas, charangos, bombos plus tard, irrémédiablement bercée par les morenadas, huayños, taquiraris, tonadas, caporales, san juanitos, me voici enfin sortie de cette forteresse andine dans laquelle cette musique m'avait un peu enfermée. Aujourd'hui, j'ai bien conscience de mon impossibilité à me défaire de cette croûte terrestre en moi, de ce noyau dur. Car je me rends bien compte que, malgré une nouvelle diversification de mes écoutes, tout jaillit, pousse au creux de ce cepage. Alors, mes addictions musicales ne sont que des pollens qui viennent, certes toujours aussi intensément, féconder de leur exotisme la terre artistique que je me suis choisie.
Drogues dures dont je m'alimente depuis quelques temps :
- Yasmin Levy : voix de la diaspora des juifs d'Espagne, rauque et sensuelle, orientale et flamenco. Un voyage en Andalousie et bien au-delà, tout au fond des tripes.
- Susheela Raman : anglaise d'origine indienne qui mixe avec une subtilité renversante les chants traditionnels et un fond de rock.
- Bebe : chanteuse espagnole dont je suis tombée amoureuse des textes et du phrasé, une sorte de poésie crue, déjantée, réaliste et frisant la beauté suprême.
- Lila Downs : le Mexique dans toute sa splendeur, une déesse de la Terre.
Sans oublier les hommes !
- Bernard Lavilliers : qu'on ne présente plus. Ses textes façon poésie sur le fil du rasoir sont toujours aussi efficaces, et ses mélodies transportent vraiment loin. Un maître.
- Ricardo Arjona : guatemaltèque qui a tout en apparence pour être un chanteur à minettes mais dont les textes surprennent, changent de cap sans cesse. Il a le don d'associer des images de manière totalement inattendue, et ça prend.
- Stephan Eicher : c'est un retour à mon adolescence puisque j'ai toujours été fan. Allez savoir pourquoi ça me reprend là, maintenant ? Mystère. Une alchimie entre les mots et les rythmes, quelque chose comme un tissage fait avec application, art, délicatesse, intelligence. Je pourrais vous en parler pendant des heures. Vous l'aurez compris, je suis en pleine crise de boulimie !

dimanche 3 février 2013

Le caveau de famille

Katarina Mazetti, Le caveau de famille, 2011.
C'est la suite du Mec de la tombe d'à côté, dont j'avais déjà parlé. Un petit bijou, d'ailleurs. J'aime Katarina Mazetti, d'autant plus depuis que je sais qu'elle est née en 1944. Eh bien oui, tout le monde peut se tromper. Car son écriture est résolument jeune, moderne, dynamique. En même temps, c'est vrai, on sent qu'elle a déjà creusé pas mal les situations qu'elle décrit, qu'elle a une expérience de la vie, un sillon dans l'existence, qui lui permettent de se lancer sur des terrains inondables. Mais, avec Mazetti, on ne coule pas. L'histoire rebondit sans cesse, en particulier grâce à cette alternance de narrateurs, exercice ô combien périlleux mais qui, mené à la baguette par une maestra de la narration, fait varier le point de vue, le ton, le langage. Une vraie conteuse à l'ancienne mais version moderne, avec des personnages tout à fait dans l'éventail de ceux qu'on peut croiser à l'heure actuelle, avec des préoccupations bien réelles. Mais, tout de même, avec quelques bons petits messages subliminaux. Amour, attention, danger de désenchantement assuré. Surtout lorsqu'on se souvient que les deux héros de ce roman ne sont autres que Benny, indécrottable paysan de la cambrousse suédoise sans aucune intention de changement, et Désirée, bibliothécaire furieusement citadine refusant de se salir les ballerines dans les bouses de vaches. Comment ces deux-là sont-ils tombés amoureux, c'est une autre histoire. Mais, le plus fabuleux, c'est la suite qu'en fait Katarina Mazetti. Un hybride entre l'amour est dans le pré, une comédie à l'américaine et un roman parfaitement bien écrit, tourné, moulé sur mesure, ciselé, sur les hasards de la vie et ce qu'on en fait ensuite. Les désillusions de la vie de famille, les erreurs, les non-dits, le pardon et les rancunes, et une vision du bonheur qui n'a rien d'idyllique.
Zéro défauts, rien à redire. Maestra, chapeau !
De Katarina Mazetti :
Le mec de la tombe d'à-côté
Mon doudou divin