Qu'est ce qu'il a raison, Bernard, de partir seul à l'aventure... C'est ce que je me dis en regardant d'un oeil distrait un reportage sur le camping. Toute cette chair étalée sur les plages, gavée de pastis, serrée comme dans une boîte de maquereau sauce tomate (à cause des coups de soleil). Comme il le fait humblement remarquer dans ce livre, l'auteur a ses fans, ceux qui suivent ses aventures pédestres à travers le vaste monde, et j'en fais partie. J'avais déjà lu les trois tomes de son aventure à pied le long de la route de la Soie (ici, là, et là). Je savais par un article que j'avais lu que son chemin avait récemment suivi celui de la Loire et attendais, comme d'autres, impatiemment, qu'un livre paraisse relatant ce nouveau périple. Ce livre je vais l'offrir, non sans l'avoir lu au préalable, à une fidèle lectrice de Bernard Ollivier (restée en rade sur la route de la Soie -mais je la soupçonne de faire durer le plaisir...- et qui attendait comme moi cette nouvelle parution). Mais j'aurais aussi bien pu l'offrir à un marcheur à l'écoute de la nature, à un poète assoiffé de relations humaines, à une écrivaine amoureuse de la Loire et de la Touraine (chacun se reconnaîtra). Parce qu'il y a tout cela dans ce livre. Depuis le Mont Gerbier de Jonc jusqu'à Nantes, des dizaines de rencontres qui récompensent des centaines d'heures de fatigue et des milliers de coups de pagaie sur le fleuve majestueux et riche d'histoire. Cette fois Bernard Ollivier choisit de commencer son voyage à pied pour le poursuivre en canoë, moyen de transport qui lui est tout d'abord totalement étranger. Mais comme c'est en forgeant qu'on devient forgeron, Canard -c'est ainsi qu'il baptise son embarcation- et lui finissent par ne faire plus qu'un, malgré les retournements successifs sur le fleuve capricieux. Le récit est dynamique, captivant, non dénué d'humour:
(dans cet extrait, B. Ollivier, trempé jusqu'aux os par une forte averse, quitte le fleuve et entre dans un restaurant routier que la providence a placé au bord de la Loire)
"Ce n'est pas la peur mais la surprise qui provoque le silence tandis qu'une cinquantaine de regards se braquent sur moi. Il est vrai que le spectacle doit valoir la peine. Je suis recouvert d'un vaste imperméable bleu fripé qui me recouvre jusqu'aux mollets, assorti d'une capuche dissimulant partiellement mon visage tanné façon vieux cuivre. Pour éviter le choc des gouttes sur mon crâne chauve, j'y ai ajouté mon chapeau complètement trempé qui pend lamentablement. Mes lunettes, glacées comme le reste, se sont couvertes de buée en entrant dans la chaleur de la salle. A l'autre extrémité, deux pieds bleus chaussés de sandales ruissellent, formant une petite mare. Je serre contre moi, tout en cherchant vainement à dominer mon tremblement, mon bidon de plastique blanc à couvercle bleu."
Après Saint Jacques de Compostelle, la route de la Soie, à soixante-dix ans, encore le besoin de se retrouver seul avec soi-même, de se prouver quelque chose; le refus d'attendre tranquillement la mort, un défi à la vieillesse. Et toujours cette soif de rencontres de celui qui veut encore croire que tout n'est pas perdu, que l'hospitalité et la solidarité existent encore dans ce monde individualiste et renfrogné. De ce côté là c'est une victoire, et encore une fois la fin de l'aventure -tout comme la fin de la lecture, preuve que l'auteur sait parfaitement nous embarquer à sa suite- a un arrière goût de nostalgie, l'amertume du quotidien qui reprend le dessus... jusqu'à la prochaine fois. Car on a l'impression qu'il ne s'arrêtera jamais, ce voyageur devant l'éternel. Tant que ses muscles le porteront il partira. Mais au fond, n'est-ce pas cela le sens de la vie?
"Ce matin là, comme je pagaie la tête encore pleine des récits de Jacques Bertin, me revient le commentaire un peu ironique d'un sédentaire devant le parcours d'un nomade. Comment en effet expliquer les motifs d'une telle expédition? Un geste gratuit, pour rompre avec le quotidien, pour se mettre en danger, histoire de redonner du prix à sa propre vie? Il y a de la folie dans le départ, une fuite, un élan irrépressible, fort comme un sentiment amoureux, une variante du coup de foudre. Le voyage en solitaire implique une volonté de se remettre en cause, de se transcender, de tordre les rails qui nous guident au quotidien, de rompre les digues mentales et sociales qui nous contiennent, nous ligotent plus ou moins à notre insu. C'est une décision irrationnelle, difficile à faire comprendre à un esprit cartésien."
1 commentaire:
whaouuuh !!
qu'entends-je, un autre bouquin d'Ollivier.
merci pour le tuyau Emi.
je fonce chez mon libraire favori me procurer ce joyau - impossible que ce n'en soit pas un.
chaskatura
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