samedi 26 mai 2018

Ma voie

Reinhold Messner, Ma voie, 2012.
Le traducteur était fâché avec la concordance des temps, la syntaxe et les accords grammaticaux. On se demande comment un éditeur peut laisser passer ça... Qu'importe ! Les paroles de Reinhold Messner n'en ont pas été altérées (même si j'insiste il fallait parfois plisser les yeux et froncer les sourcils pour comprendre). 
Ce livre est un recueil d'interviews et de publications du célèbre alpiniste tyrolien. A travers ces textes, on perçoit clairement la philosophie de vie qui lui a permis de tracer "sa voie", comme l'indique le titre. Si certains voient Messner comme un égoïste, un ours, un profiteur, un mégalomane, d'autres l'admirent sans bornes. En fait, Messner, on l'adule ou on l'exècre. Il n'y a pas d'entre deux. Pas de tiédeur chez cet homme qui brûle de projets, de rêves, d'envies, de désirs de défis. Un personnage éclectique qui ne se laisse guider que par lui-même. 
Il y a d'abord eu l'alpiniste, le vainqueur des 14 sommets de plus de 8000 mètres, celui qui a gravi l'Everest sans oxygène. Celui, aussi, qui a perdu son frère dans la tragique descente du Nanga Parbat en 1970. Celui qui a subi pendant 35 ans une terrible campagne d'accusations fallacieuses, le traitant quasiment d'assassin, jusqu'à ce qu'on retrouve les restes de son frère et que sa thèse soit avérée. Frôlant la mort à chaque ascension, Messner se fout pourtant royalement d'être un héros. Bien sûr, comme tout le monde, il a besoin de reconnaissance. Mais il n'incite personne à suivre sa trace. S'il se veut élitiste, ce n'est pas par prétention mais juste par responsabilité : ses expéditions n'engagent que lui. Si d'autres se lancent dans la même aventure et y périssent, ce n'est aucunement de sa faute mais de leur propre responsabilité. En montagne, chacun doit se prendre en charge. C'est pour cela, entre autres, qu'il peste contre la sécurisation à outrance des voies et des parois. Cela peut sembler paradoxal, mais la sécurité provoque les accidents. Permettre à tous, en transformant l'Everest et d'autres sommets en parcs d'attractions de haute altitude, c'est leurrer le client. C'est lui faire croire qu'en lui laissant sur le trajet des tentes et des bouteilles d'oxygène, en l'encadrant et en l'infantilisant au maximum, il pourra lui aussi devenir Messner ou Hillary. Or, la montagne reste dangereuse, les conditions climatiques capricieuses et l'altitude rendra toujours la progression périlleuse. Messner, lui, a toujours pris soin de ne laisser aucune trace de ses expéditions. Ni pitons, ni déchets. Rien. Et il milite pour que la montagne redevienne un sanctuaire naturel, pour que les nombreux équipements qui la défigurent soient réduits, voire supprimés. Pour qu'elle ne soit accessible qu'à ceux qui peuvent se permettre d'y aller, à leurs risques et périls, en toute responsabilité. Car c'est de la difficulté que naît la conscience du danger et, par conséquent, la prudence. On ne peut que le suivre sur ce sujet.
Il faut pouvoir le suivre, Messner. Ceux qui font les choses à moitié, les incompétents, les hésitants, les limités ne l'intéressent pas. Il n'a pas le temps pour la demi mesure. Après les 8000, ce fut la traversée du désert de Gobi, le pôle Nord et d'autres folles expéditions, en équipe et souvent en solitaire. Tester ses limites, non pas pour titiller la mort, mais par une incommensurable soif de vivre intensément. Et puis, il y a ce projet de musée de la montagne, ces conférences, ces interventions comme coach devant des managers. Messner ne se repose jamais. Il a trop de choses à faire. Et, il a beau n'en avoir strictement rien à faire d'être un exemple, pardon, mais il en est un. Il réveille les rêves enfouis, fait ressurgir les projets avortés, incite à faire des choix tranchants, à ne se laisser guider que par son instinct, à ne surtout pas écouter les autres, quitte à les perdre de vue. Et à vivre l'instant, à le rendre brûlant ou glacé mais à le vivre à fond. Pardon, monsieur Messner, mais vous êtes mon héros. 

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