Attention, arrêt obligatoire. Tout le monde descend, jette à la poubelle le livre qu'il est en train de lire et empoigne vigoureusement celui dont nous allons parler maintenant. Le fond, la forme, le ton, le style, l'érudition, le mélange des genres, tout concorde à faire du roman de Jonathan Coe un incontournable. (En même temps, on est rarement déçu en choisissant des bouquins conseillés par Le Monde Diplomatique). Bref. C'est énorme. Et trop court à la fois. Cinq cent et quelques pages qui passent comme un coup de vent. Et une bourrasque, ça décoiffe. C'est tellement dense qu'on ne sait pas par où commencer. Tiens, parlons du mélange des genres. Du SMS au sonnet, en passant par le mail, la lettre, la chanson, la prière, l'article journalistique et il semble qu'on en oublie : l'auteur explore toutes les formes et, contrairement à certains romans qui se targuent de mêler les contenus et les barbouillent tous de leur plume maladroite, Coe maîtrise absolument tout. De même, il nous fait voir du pays, en nous emmenant de Birmingham à Londres en passant par les côtes du Norfolk. Mais on se retrouve aussi à Lucques, en Italie ; en Allemagne, Munich et Berlin ; en Normandie et et dans d'autres lieux anglais ou autres que l'on nous décrit à la perfection. Non pas le nom des rues ou les monuments, mais plutôt l'ambiance qui y règne, le temps qu'il y fait, l'atmosphère qui nous les fait ressentir plus que visualiser. Ce roman est-il un voyage ? Oui et non. En quelque sorte. Les personnages se mouvent ici et là en Europe et courent après on ne sait quoi, traqués par un passé inévitable, chacun cherchant tant bien que mal à poursuivre sa vie, à se trouver un but. Le destin s'en mêle cependant et ne les laisse jamais en paix, les harcelant avidement. Alors, on les voit se débattre et, en eux, on se voit. C'est un miroir qu'on nous jette au visage de manière tendrement cynique et la vanité de nos efforts pour nous en sortir. Parce qu'on finit toujours par revenir au point de départ. Parce que tous autant que nous sommes, quelque chose ou quelqu'un, un événement de notre passé nous a marqués au fer rouge et nous empêche d'avancer librement. Pourtant, le roman de Coe n'est pas dénué d'humour et il se plaît à nous faire sourire des malheurs de ses personnages, ou nous attendrir en voyant leurs faiblesses tellement humaines. Et ce qui est très fort, c'est que ces histoires sont intimement liées à l'Histoire et la politique. Nous sommes en pleine période Tony Blair et l'auteur, à travers l'évolution de ces hommes et ces femmes qui se connaissent depuis le lycée (Le cercle fermé fait suite à un premier roman), nous prouve par A plus B que, comme dans nos petites vie, la politique et l'Histoire sont marquées par les années Thatcher, par les attentats, par le conflit irlandais. Bien évidemment, on n'a pas besoin de décodeur pour comprendre l'engagement de Coe, son rejet du néo libéralisme, son plaidoyer pour la classe ouvrière maltraitée par des multinationales sans scrupules et son opinion sans nuance contre la guerre en Irak. Les attentats du 11 septembre 2001 sont passés par là et chacun, journaliste, politique, engagé ou rêveur, en voit sa vie bouleversée. Le livre en lui-même est un canevas, un tissage serré entre l'intime et l'universel, le local et le mondial, les relations humaines dans leurs contradictions : parfois, la passion et le mépris ne sont pas si éloignés. On se souviendra de deux scènes totalement opposées par leur contenu qui s'entrecroisent et se recoupent, à l'image de ce roman ambitieux, symphonique et dissonant à la fois. Difficile d'en dire plus sans rentrer dans les détails, difficile d'en dire moins tellement c'est passionnant, révolutionnaire, percutant. En un mot : ça calme grave.
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