Quoi de mieux pour se noyer dans
la foule, pour user ses semelles sur les pavés, pour se saouler de bousculades
et de coups de coudes, que d’aller trainer ses guêtres un dimanche après-midi
aux grandes eaux musicales du château de Versailles ? Centième visite des
jardins, énième détour par les mêmes allées, Versailles rempli de touristes, et
pourtant Versailles, toujours. Versailles à toutes les saisons ; les roses
de la colonnade au printemps, les mirages du soleil sur le grand canal en été,
les ciels lourds d’automne, les ciels bleu de glace des hivers en plein vent.
Il faut voir Versailles à toutes les saisons. Et s’offrir, lors des grandes
eaux, quelques heures dans le beau. Le château ultra élégant, presque
guindé ; le roucoulement des fontaines qui se jettent vers le ciel en ne
manquant pas de nous arroser insolemment ; le baroque dans les hauts
parleurs et les costumes dans la tête. Car comment expliquer autrement que par
le perpétuel enchantement ces visites répétées à un endroit qui n’a plus besoin
de la nôtre pour prospérer ? En étant près de ce joyau, parfois, on
ressent comme un appel, comme un « tiens, il y a longtemps… » qui
nous titille et nous pousse, nous aimante.
Alors, on se sent un peu comme des extraterrestres, comme un cheveu sur
la soupe, sans but précis au milieu des touristes minutés, organisés, guidés.
Plan, appareil photo, montre à la main, contre nez, yeux, vent. Le combat est
inégal. Lorsque les grandes eaux commencent, il ne nous reste plus qu’à les
suivre, à emprunter les chemins de la grande transhumance. Et allons-y pour
Jupiter, allons-y pour Neptune, allons-y pour Apollon. Et, tels des adeptes
d’un mystérieux rituel, chacun de faire une photo à un endroit précis, les deux
pieds posés sur une croix rouge implicite, tous à la suite. Nous qui ne sommes
pas des touristes, qui avons un regard différent ou qui le souhaitons, il ne
nous reste plus qu’à nous jeter comme des morts de faim sur des détails,
quelques gouttelettes, certaines transparences dans les jets d’eau, ces visions
intimes que Versailles cherche à dissimuler et que personne ne nous volera. Il
y a presque de l’indécence dans ces formes au deuxième degré, dans cette eau
qui se faufile lascivement et caresse les corps cuivrés. Il y a, certainement,
une joie malicieuse, jalouse, à capturer un instant de beauté qui n’appartient
qu’à nous. Ensuite, l’appareil photo
tente de faire ou de défaire le reste, de dompter ces images fuyantes, de les
représenter comme il peut. Et le cerveau le gronde, se fâche, face à cette
minable machine incapable, ce débris de ferraille et de plastique, infoutu de
reproduire les choses telles qu’elles sont. Ou telles que nous croyons les
avoir vues. Mais nous ne sommes pas fous, pourtant ! N’avons-nous pas clairement
distingué les frissons des statues dans les fontaines ?
1 commentaire:
Il est vrai qu'on ne s'en lasse pas... c'est particulièrement superbe en automne je trouve. Ca tombe bien, on y est!
pcr
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