dimanche 10 juin 2012

Le clafoutis aux cerises

Il y avait la rue en colimaçon, dans mon rêve comme un escargot vers le souvenir. Des escargots, il y en avait sur les murs en crépis blanc de la maison. Des murs qui nous grattaient le creux des mains quand on s'y accrochait pour ne pas tomber de nos patins à roulettes ancienne génération, lourds et bruyants. On faisait comme cela des allées et venues le long du chemin qui faisait le demi-tour de la maison, tout près du fil à linge. Dans mon souvenir, les patins à roulettes sentent la lessive et les draps humides. Au fond de la rue, donc, on entrait par la petite grille dont il fallait tourner la petite poignée, ou bien la baisser, je ne sais plus trop. Ce dont je me souviens, c'est que la grille grinçait, qu'on prenait bien soin de la refermer et que l'allée de dalles descendait. Deux marches à monter et nous y étions. Le couloir, un peu sombre, je l'associe immédiatement à la chasse aux cafards, à grands coups de balais et de grimaces de dégoût. Mais le couloir, c'est aussi l'odeur du produit de nettoyage, tous les jours, après le déjeuner, vers quatorze heures précisément. Un moment de silence, de calme, un rituel juste troublé par le ron-ron du lave-vaisselle. L'après-midi se déroulait tranquillement, avec un autre rituel immanquable, celui des mots croisés. Pendant ce temps, un peu en cachette, mais, je le sais maintenant, surveillée de loin par une complice bienveillante qui feignait d'ignorer mes indiscrétions, je m'introduisais sur la pointe des pieds dans la chambre. Là, j'ouvrais avec précaution la boîte à bijoux et y plongeais des yeux émereillées, parfois aussi des mains curieuses. Un par un, j'essayais les bracelets, les colliers et les bagues et me regardais dans le miroir, au-dessus de la chaise. J'imaginais l'histoire de ces bijoux, leur signification, leur valeur affective. Il y avait un véritable trésor dans cette même chambre où, plus petite, je m'amusais à compter jusqu'à cent pendant qu'on secouait les draps par la fenêtre dans la fraîcheur du matin. L'été, on s'installait derrière, au jardin, pour dénoyauter les cerises. Entre deux escapades sur la balançoire, où déjà je m'asseyais et laissais mon imagination m'emporter dans un train andin, où je me balançais ensuite jusqu'à m'en faire bondir le coeur dans la poitrine, je revenais à la table avec deux ou trois roues et m'asseyais, essouflée. Je me concentrais alors sur ces mains qui ouvraient les cerises à un rythme régulier et dégoulinaient de jus. Ensuite, les mains disparaissaient dans la cuisine et je continuais mon observation attentive. J'étais captivée par le mouvement du fouet dans le saladier, par le craquement des oeufs sur le rebord du plat. Et au bout d'un moment, dans tout mon corps d'enfant, jusqu'au fond de ce même coeur d'adulte qui se souvient, se diffusait l'odeur pleine d'amour du clafoutis aux cerises.

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