Saphia Azzeddine, La Mecque - Phuket, 2010.
C'est l'histoire de deux soeurs qui bossent dur pour économiser le prix du voyage à La Mecque qu'elles comptent offrir à leurs parents et qui rêvent en secret d'utiliser le magot pour aller s'évader à Phuket. C'est l'histoire de deux filles qui voudraient être femmes, de deux énergies qui refusent d'être gâchées par les préjugés, l'immobilisme des mentalités, la fossilisation des habitudes. C'est surtout la vie de Fairouz racontée par elle-même, dans un langage oscillant entre le littéraire et le familier, tout comme ce personnage tellement réaliste oscille entre la fac de psychologie et les petits boulots tous plus dégradants les uns que les autres qui lui permettent de financer ses études. Fairouz qui aime ses parents de manière inconditionnelle, "n'importe comment, en vrac et à perpétuité", comme elle dit, mais qui ne peut s'empêcher de pester contre ce qu'elle juge inutile, insensé, injuste ou dépassé, contre cette tendance générale qui lui dicte ce qu'elle doit être et qui l'empêche d'être qui elle est vraiment. Cette même tendance idiote et paradoxale qui fait de son ado de soeur Shéréhazade une adepte de "ni putes, ni soumises" et qui passe pourtant ses journées à ingurgiter béatement une dose journalière impressionnante d'émissions de télé-réalité aliénantes et de clips musicaux dans lesquels l'image de la femme est dégradé et atterrante. String ou voile intégral, Fairouz situe les deux attributs vestimentaires sur le même plan: des costumes avilissants, un asservissement remplaçant l'autre et vice versa. Ce roman hyper dynamique, bourré d'énergie et d'orgueil positif se lit en une heure et on en redemande. Le style est décapant, l'écriture sans détours tout en étant parfaitement maîtrisée, tel un cliché artistique, une photo prise sur le vif mais par un oeil qui sait exactement mettre en valeur l'image et la situation. Un instantané de vie qui raconte tout une histoire, qui engendre toute une réflexion et qui invite à la lecture des autres oeuvres de Saphia Azzeddine. Je vous prédis quelques autres articles sur cet auteur qui m'a vraiment séduite. Un de ces auteurs dont le style vous donne envie d'écrire encore et encore. Il y a un petit air de Giraudeau là-dedans, entre ironie, cynisme et poésie, c'est dire... Extrait:
"Depuis que les vacances sont devenues une obligation sociale en Occident, des parents irresponsables et culpabilisés s'entassent en famille dans des charters cancéreux pour aller abîmer des pays de rêve. Des pays au bord du gouffre en réalité, qui encouragent le tourisme de masse, peu importe le désastre que ça provoque. Le Maghreb est particulièrement infesté de Joëls en famille qui goûtent le couscous mais se rabattent vite fait sur le buffet de l'hôtel avec de la bouffe plus sûre. Des croisières polluantes sur des bateaux crasseux, des thalassos répugnantes dans des hôtels de merde et une culture locale bafouée et toujours méconnue.
A cinquante euros le voyage et l'hébergement, les touristes se plaignent, s'étonnent de manger des cafards dans des assiettes en carton et aimeraient en plus qu'on leur fasse le caftan à un dirham sinon c'est du vol... On déanture leurs paysages avec des complexes hôteliers abominables, on salit leurs eaux, on baise leurs femmes et on refuse qu'ils viennent nous rendre visite après. Investissez dans des sous-marins mes frères, venez nous envahir par en-dessous. Venez voir comme elle est belle la Tour Eiffel et comme ils sont bonnards les châteaux de la Loire."
"Depuis que les vacances sont devenues une obligation sociale en Occident, des parents irresponsables et culpabilisés s'entassent en famille dans des charters cancéreux pour aller abîmer des pays de rêve. Des pays au bord du gouffre en réalité, qui encouragent le tourisme de masse, peu importe le désastre que ça provoque. Le Maghreb est particulièrement infesté de Joëls en famille qui goûtent le couscous mais se rabattent vite fait sur le buffet de l'hôtel avec de la bouffe plus sûre. Des croisières polluantes sur des bateaux crasseux, des thalassos répugnantes dans des hôtels de merde et une culture locale bafouée et toujours méconnue.
A cinquante euros le voyage et l'hébergement, les touristes se plaignent, s'étonnent de manger des cafards dans des assiettes en carton et aimeraient en plus qu'on leur fasse le caftan à un dirham sinon c'est du vol... On déanture leurs paysages avec des complexes hôteliers abominables, on salit leurs eaux, on baise leurs femmes et on refuse qu'ils viennent nous rendre visite après. Investissez dans des sous-marins mes frères, venez nous envahir par en-dessous. Venez voir comme elle est belle la Tour Eiffel et comme ils sont bonnards les châteaux de la Loire."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire