samedi 2 juin 2012

C'est ici que je vis

Soudain, un chemin. La terre envoie de la chaleur de mes pieds vers mes joues et inonde tout mon corps. Dès que mes jambes se mettent en mouvement, mes cellules se projettent sur les sentiers de montagne. Je sens l'odeur poivrée et écoeurante des fleurs, je me remplis de cet arôme qui monopolise tous mes sens. Je suis en Tarentaise. Mes muscles se contractent et rêvent de dénivelée. L'odeur de l'eau, toute proche, s'apparente à celle des lacs de montagne, des retenues d'eau des barrages.

A moins que ce ne soit l'odeur d'un étang. Je suis dans la Brenne. Le vent fait pleurer les saules, les caresse et les malmène, s'engouffre en eux de la même manière que je me précipite dans mes souvenirs. Les grenouilles occupent tout l'espace sonore de leur coassement, au choix, désagréable ou comique. Je sens dans ma main droite le frémissement d'une petite rainette, l'accroche de ses pattes dans ma paume. Puis je la revois sauter dans le seau où l'attendent quelques congénères capturés de mes propres mains à leur quiétude aquatique. Le soleil se reflète sur l'eau.

Il brille trop pour être d'ici. Il ressemble au soleil de Séville qui scintille sur le Guadalquivir, rebondit capricieusement, s'amuse à dessiner des cercles et des étoiles sur la surface du fleuve. Je ferme les yeux et cherche à absorber la chaleur de l'astre, à m'en gaver comme d'un doux nectar, comme d'une dose de drogue dure. Le sillon d'un bateau efface les dessins éphémères du soleil.
C'est une péniche paisible qui vogue lentement, passe tel un pachiderme aquatique. A moins que ce ne soit une gabarre qui remonte ou descende la Vézère. Cette verdure tout autour, ces collines accueillantes me transportent en Corrèze, le long de l'élégante et capricieuse rivière, sur un sentier bordé de noisetiers. Les champs ne sont pas très loin et mon nez parvient même à deviner l'odeur du foin coupé et celle d'un troupeau.

Le bateau qui s'éloigne perturbe le courant et envoie des vagues s'écraser contre la rive. Je rouvre les yeux. C'est un porte container, un géant des mers venu se faufiler, se risquer sur l'étroitesse du fleuve. Je reste impressionnée par la taille et le poids du bateau - mais est-ce encore un bateau, ou bien un bâtiment, un véritable train. Un autre géant de la même envergure passe dans l'autre sens, en direction de l'océan. Les noms inscrits sur les containers me nouent les tripes. Mon sang ne fait qu'un tour et mon esprit, tout mon être est déjà sur l'Atlantique, déjà au Brésil, sur un port tropical, un peu vieux, un peu sale, un peu baroudeur, un peu dragueur. L'Amazonie n'est plus très loin, la lenteur, la torpeur, la peur? De l'autre côté, en suivant le fleuve marron, Maranhao, ce sont les Andes, les hauts plateaux et le nombril du monde. A moins que ce ne soit le mien qui aime à aller se planter là où bon lui semble, à semer des racines aux quatre coins de la terre.

Je reviens à moi, au là et au maintenant. C'est ici que je vis. Et surtout ailleurs.

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