vendredi 1 juin 2012

Raymundo Gleyzer

Parfois, mais c'est rare, le programme du concours de l'agrégation nous fait découvrir des univers passionnants. C'est le cas de celui du cinéaste Raymundo Gleyzer. Après avoir visionné son film Los traidores, de 1974, dénonçant la corruption et la trahison des cadres syndicaux qui oublient leurs engagements envers les ouvriers pour se concentrer sur leur ascension personnelle et leur soif de pouvoir et d'argent, j'ai regardé hier un autre film, intitulé Raymundo. Il s'agit d'un documentaire de plus de deux heures sur la vie, l'oeuvre et l'engagement artistique et politique de Raymundo Gleyzer. Les images d'archives de ses films, de ses documentaires et sa vie privée sont illustrées par un excellent résumé du panorama politique et social de ces années tourmentées en Argentine, ainsi que par les témoignages de sa famille et de ses amis. On apprend ainsi que dès ses débuts et jusqu'à la fin, Raymundo refuse de dissocier l'art du contexte, de l'engagement. C'est ainsi qu'il tourne un documentaire au Brésil, La tierra quema, sur la pauvreté de populations oubliées de tous. Par ailleurs, il réalise México, la révolucion congelada, oeuvre dans laquelle il critique ouvertement la trahison des cadres de la révolution envers le peuple dont ils portaient pourtant tous les espoirs. A une époque où les gouvernements qui se succèdent en Argentine vont de dictature en dictature, ses films sont critiqués, censurés. En Argentine, Ricardo Gleyzer s'investit pleinement dans la vie politique et se fait l'oeil, le porte parole d'idées révolutionnaires, d'un idéal socialiste pour son pays. Lorsque Péron revient au pouvoir au début des années 70, Gleyzer est tout à fait conscient, contrairement à certains de ses amis, que le dirigeant revêt un masque et que son soutien affiché au peuple n'est qu'une sombre manipulation pour revenir au pouvoir en triomphateur et ensuite briser tous les mouvements contestataires. Les films de Gleyzer sont à nouveau censurés, ses amis cinéastes et lui reçoivent des menaces en vertu de leur engagement politique révolutionnaire. Refusant de renoncer à son projet, à sa soif d'exprimer ses idées, Gleyzer ne cesse de tourner, dans la clandestinité, allant même, pour protéger ses acteurs, jusqu'à venir les chercher dans des rues différentes chaque jour de tournage. Les images tournées sont elles aussi envoyées clandestinement aux Etats-Unis afin d'être montées. Sa famille craint pour lui, mais l'engagement est plus fort que tout. Après un bref séjour aux Etats-Unis, le réalisateur revient en Argentine, se cache, dort dans des maisons différentes, jamais chez lui, afin de protéger sa femme et son fils. En 1976, la dictature éclate. Raymundo est enlevé, torturé, envoyé dans un camp de concentration puis disparaît. Il reste de cet artiste total le souvenir d'un engagement sans bornes, d'une soif de justice et de vérité, de la caméra utilisée comme une arme, pour montrer la réalité sans détour, dénoncer, construire par l'image le projet d'un monde plus juste et plus libre. Plus généralement, le documentaire Raymundo, à travers la trajectoire de Gleyzer, montre toute l'horreur de cette période au cours de laquelle des hommes et des femmes ont été poursuivis, emprisonnés, sauvagement torturés, poussés à l'exil. Et la nécessité de dire, de dénoncer et, surtout, de ne jamais oublier.

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