Yasmina Khadra, Les hirondelles de Kaboul, 2002.
En lisant les premières lignes de ce troisième roman de l'auteur algérien, j'ai immédiatement trouvé le mot qui collerait le mieux, selon moi, à son style: dense. Je m'en suis aperçue de suite et ai fait la relation avec les deux précédents romans que je venais de lire, parce que chacun m'a demandé le même effort de concentration. Il ne s'agit pas d'une écriture qui laisse voler ça et là votre imagination, qui vous laisse de la place pour la distraction entre les lignes. Non, c'est une écriture dense, comme une forêt inextricable de lianes, qui vous prend à la gorge, vous met le nez dans et sur l'action, qui vous empêche de divaguer. Une photographie sans concession du réel à travers des mots choisis, précis, un tissage étudié et frappant par l'intensité qui se dégage de chaque mot.
Partant de là, je me suis laissée happer par Les hirondelles de Kaboul. Etant donné le contexte -l'Afghanistan des Taliban- je ne m'attendais pas vraiment à une oeuvre douce et optimiste. C'est le moins qu'on puisse dire. Les personnages errent, à l'orée de la folie, dans une ville poussiéreuse et misérable, où les coups de cravache ont remplacé les mots, où les femmes se cachent dans des tchadris et où les êtres en général ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils étaient "avant". Un "avant" déjà oublié, très lointain, presque irréel tant le présent est absurde. Les exécutions publiques et les prêches enflammés se suivent et se ressemblent, sur fond de terreur institutionnalisée et générale. La parole, les pensées, les rêves ont été muselés. Cette violence insidieuse s'empare de tous les êtres, même les plus érudits. On le voit bien dans l'image de cet ancien bourgeois dont le bras, hors de son contrôle, se saisit soudain lui-aussi d'une pierre et participe, tel un somnambule, à la lapidation d'une femme. Thème recurrent chez Khadra, le personnage collectif, composé des apeurés, des suiveurs, des convaincus. Car ici, de résistants, il y en a très peu. Mises à part les femmes, qui jouent sans doute le rôle le plus important dans le roman. La femme blessée ou humiliée qui tient bon en silence, la femme amoureuse d'un homme qu'elle croit encore rebelle, la femme qui accepte sereinement la mort parce que c'est sa seule vraie promesse de liberté. Les femmes qui restent censées, déterminées, lucides, cobtrairement aux hommes, lâches, apeurés, assaillis de doutes, qui sombrent tous peu à peu dans la folie.
Je vous l'accorde, le sujet est lourd, les romans se succèdent et se ressemblent, la violence et l'horreur sont omniprésentes. En même temps, il faut bien se dire qu'il s'agit de la réalité mise en fiction: d'une part, l'écrivain transmet ici une vision du monde qu'il nous est interdit d'ignorer, une vérité qui, certes, fait mal aux yeux, mais qu'on ne peut nier; d'autre part, l'artiste, qu'il s'agisse du photographe, du peintre, du musicien, de l'auteur, met en cette réalité en perspective avec son propre style, la poétise, la retravaille. Eh oui, c'est de l'art, et, dans le monde actuel où l'on muselle et distorsionne la parole, ces prises de liberté et de positions créatives sont plus que nécessaires.
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