samedi 10 mars 2012

Le peuple de papier

Salvador Plascencia, Le peuple de papier, 2010.
Je l'avais bien vu à la bibliothèque, je le scrutais depuis quelques temps, mais, l'ayant ouvert et ayant découvert une mise en page un peu farfelue, je l'avais reposé plusieurs fois. Pourtant, il était toujours là, tentant. Cette fois, je me suis dit, allez, un peu d'originalité, soyons téméraire, que diable! Et je l'ai emprunté. Le résultat est ébouriffant.
Je ne peux même pas vous dire si c'est un roman... Quand à raconter l'histoire, ou même en faire un résumé, c'est carrément mission impossible... Que vous dire alors? Qu'il faut le lire, il FAUT, mais sans argument, je reconnais que vous n'êtes pas convaincus. Et comme mes talents douteux de critique littéraire ratée ne vous permettent pas de me croire sur parole, il va bien falloir que je développe. Alors je vais comparer, depuis ma maigre culture, pour vous donner une petite idée de la chose.
La quatrième de couverture, qui cite certains critiques, eux très avisés, dit qu'il y a du Garcia Marquez là-dedans. Ce n'est pas faux. Dans le courage, le clin d'oeil, l'ironie de nous raconter des choses sans queue ni tête, sans chercher à ce que cela soit vraisemblable, juste en établissant un pacte avec le lecteur. Je te raconte des énormités et tu les avales, parce que tu me connais, et parce que je cherche à te surprendre. Réalisme magique, real maravilloso, une réalité en dehors du temps et de l'espace. Une expérimentation.
Mais il y a aussi du Horacio Quiroga dans ce livre. Plus tragique que Garcia Marquez, moins joueur. Plus à vif. La mort qui rôde, l'atmosphère lourde, pesante, parfois même étouffante et des personnages qui souffrent, qui se font mal, physiquement, moralement. On imagine bien des couleurs saturées, un récit toujours sur le fil du rasoir. Glauque, une horrible beauté. La magie.
Et puis, il y a du Carlos Fuentes. Ca m'a rappelé La region mas transparente, je ne sais pas pourquoi. Sans doute ce défilé de personnages dont on ne sait plus bien quel rôle ils ont, s'ils sont importants ou pas. Le récit du quotidien qui côtoie le mythique sans que l'on parvienne tout à fait à trancher, à démêler l'un de l'autre. Un fouillis littéraire, parfois fatigant. Une chorale, presque un choeur tragique. C'est ça, oui, nous nous approchons de la tragédie.
Il y a ensuite du Luigi Pirandello, ça, c'est évident. Dans cette recherche expérimentale que l'auteur italien avait mené dans Six personnages en quête d'auteur, dans ce dialogue, cet échange souvent virulent, allant jusqu'à l'accusation, entre des personnages de papier et leur auteur, totalement dépassé par les prétentions au réel de ses créations, créations qui lui échappent alors complètement. De là, chez Plascencia, à mener de front une véritable guerre contre le romancier. Et on s'en délecte.
La plupart du temps, on ne sait pas du tout où il veut en venir. C'est osé, vraiment. Surréaliste, absurde, tout ce qui fait qu'on se trouve toujours à la limite du scénario catastrophe, ou du plus de scénario du tout. Le bazar narratif. Un grand n'importe quoi. De la chimie. Un mélange d'ingrédients totalement disparates. Et pourtant, on ne sait pas bien pourquoi, ça tient, on suit, on le suit. L'auteur. Celui qui nous emmène dans un monde en dehors du monde, avec des personnages de papier, à une frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, théâtre de cette histoire qui n'en est pas une.
Je ne sais pas si je vous ai convaincus. En tout cas, je n'ai jamais lu un truc pareil. Je ne sais même pas si ça s'appelle de la lecture ou bien si c'est de la déambulation. Ca vaut vraiment le coup. Les autres livres, ensuite, pourront paraître fades, convenus, mais seront sans doute aussi... reposants, moins déroutants, plus classiques. Après la lecture du Peuple de papier, ce qui est sûr, c'est qu'on est un lecteur un peu différent d'avant.

1 commentaire:

Mr PASTRE a dit…

Tu as gagné Emi, ça y est, j'ai envie de lire ce "peuple de papier" malgré la populace de livres que j'ai à lire pour la fin du mois..