mercredi 14 mars 2012

Domitila de Chungara

2005. Je commence à travailler, mais, en même temps, je décide de poursuivre mes études. Je tente de convaincre une directrice de recherche: si je fais des recherches universitaires, ce sera sur la Bolivie. C'est non négociable. On me dit de travailler sur un thème à partir d'un ouvrage. Je n'ai pas grand chose sous le coude, rien qui m'inspire. Et puis, de Cochabamba, on m'envoie un petit livre photocopié. Domitila de Chungara, Si me permiten hablar... Aussitôt, je me plonge dans la lecture et dans l'étude de ce témoignage d'une femme de mineur bolivien. C'est une découverte. Le monde des mines, les tragédies, la difficulté du travail et du quotidien, les combats, le courage des femmes. Et puis en janvier 2006, tout se décide très vite, je partirai en Bolivie pour rencontrer Domitila. C'est mon premier voyage. Llallagua, Siglo XX, Oruro, je pose les pieds sur ces hautes terres, austères et colorées, dures et fières à la fois. Avant de partir, je contacte Domitila par téléphone grâce à des proches. Je lui pose timidement quelques questions. Elle répond avec une patience, une gentillesse extrême. Elle m'explique des choses qu'elle a déjà dû répéter des centaines, des milliers de fois, mais elle le fait avec passion, sans rien omettre, tout naturellement. En février 2006, je me rends à Cochabamba, dans le quartier des anciens mineurs, au local de son Movimiento Guevarista. Je suis face à une femme souriante, qui dégage une force incroyable, une paix aussi, mais de ces paix déterminées, inébranlable, animée d'une certitude sans faille, de l'amour de son peuple et de la soif de justice. Doña Domi me raconte encore les campements de mineurs, les injustices, la pauvreté, les maladies, les grèves, les massacres, la torture. Comment ne pas être impressionnée par cette femme, conquise, admirative? Ensuite, le témoignage de doña Domi ne m'a plus quittée. Sa force m'avait ébranlée et changée. Elle m'a ouvert les portes du monde minier bolivien et je m'y suis engoufrée, pour ne plus jamais en sortir.
Aujourd'hui, Domitila vient de nous quitter. C'est un choc, une immense perte, un chagrin terrible qui envahit tous ceux qui l'ont connue, qui ont fait un bout de chemin à ses côtés. Nous sommes tous un peu orphelins de son aura de mère, de son courage qui nous faisait relever la tête, de son sourire enveloppant, de la tendresse qu'elle avait pour chacun et pour son peuple. Domitila de Chungara est l'une de ces femmes qui ont changé la face du monde, qui ont lutté et tenu tête pour un monde plus juste. Elle reste l'une de celles qui ont fait l'histoire de la Bolivie, une héroïne, une étoile, un guide.

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