samedi 11 février 2012

"Montagne"

Article écrit pour la revue Aura du cercle littéraire belge Clair de Luth - http://www.clairdeluth.be/

Premiers pas. Premiers lacets. Naissance. La montagne est déjà là. J’ouvre à peine les yeux et déjà ils regardent vers les hauteurs, depuis le toboggan de Vallorcine. Pas envie de glisser, plutôt une irrésistible attirance vers le haut. Grimper.
Premières absences. Quelques années plus tard. Je suis face à la mer, horizon infini. Perdue, rien à quoi accrocher mon regard et suspendre mes rêves. Pas de sommets, la platitude de liquide bleu et gris. Le manque est inconscient. Je cherche la montagne.


Et j’y reviens. Ensuite. La Savoie encore. Bourg Saint Maurice. Et la marche. Premières souffrances. Randonnées, overdose, jambes fatiguées de tant marcher. Je rejette tout en bloc, le bloc de granit que j’ai en face de moi m’écrase soudain. J’ai envie d’ailleurs. Montagne haïe. J’étouffe.
Les années passent. Premiers voyages. Je m’envole vers la Bolivie. Je décolle, je m’échappe, je bouge.
Première rencontre. La Paz se révèle, me révèle des secrets, comme une apparition, le dôme blanc de l’Illimani. Six mille mètres au-dessus du niveau du frisson. C’est encore la montagne que je vois. Je la cherche, ou c’est elle qui me poursuit, allez savoir. Et puis c’est Potosi, les mines d’argent, d’étain, de malheur. J’apprends, grandis, muris, réalise, m’éblouis. Sans même m’en rendre compte mes racines sortent soudain de ma poche droite et viennent se planter dans la terre de Bolivie, à Cochabamba. En échange, les fumées d’encens, de q’oa, m’envahissent, me remplissent, me peuplent, me colonisent. Je suis prise.
Et puis c’est la rupture, je m’enfuis. Fini la Bolivie. Je me sépare, étrange distance, la vie qui nous joue des tours et des détours. Tout éclate, haine et passion. Montagne bolivienne de Quillacollo, je t’aime et te déteste. Tu m’enfantes, me fais naître à moi-même, me rends à mon tour créatrice de vie, puis tu me coupes le cordon. C’est ainsi.
La roue tourne, le tourbillon de la vie et je retourne aux sources, là où tout a commencé. Vallée de Chamonix. Retrouvailles avec les origines, le point de départ, la première montagne sur laquelle s’étaient posés mes yeux d’enfant. La boucle est bouclée. Je reviens en Savoie, avec quelques comptes à régler, des choses à comprendre, à analyser, à décrypter, à dire, à décrire, à rire et crier. Ce sont les tripes qui parlent. De mon enfance. De l’enfant que je tiens maintenant par la main face au Mont Blanc. J’ai l’impression que tout recommence. La montagne comme une évidence.
Alors je me mets à écrire. Je raconte, j’exprime, je me libère de toute cette montagne que j’ai engrangée, dévorée. Je partage. Je dis les montagnes. Les miennes, celles de la vie, celles qu’on se fait, celles qui nous hantent. Je raconte la montagne amour, passion, quête d’absolu ; les montagnes sacrées, protectrices, duales, crainte et respect. La montagne qui vit, Pachamama, Terre Mère, les entrailles, le ventre du monde. Fascination. La montagne me possède et parle à travers mes mots.
Je suis le torrent qui te parle à l’oreille, tinte et harmonise les voix cristallines de Potosi, raconte l’histoire et la légende. Je suis la mine, l’étain qui brille, qui t’éblouit, dissimulé dans la pierre sombre, si tu le cherches. Je suis la mère et la déesse, l’envoûteuse et la gardienne, l’ici et l’ailleurs et ton unique horizon, que tu le veuilles ou non. Je suis les entrailles et le ciel, l’infini et le chaos, la chute et l’absolu, la glace et le feu, ton objectif et ta hantise. Je suis la roche et l’indicible, et la magie qui te dépasse. Je suis en toi. Incarne-moi. Porte ma voix. Et à ton tour, montagne-toi.
Le Mont Dolent - Valais suisse - 2006

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