lundi 23 janvier 2012

Débats sur la langue

J'ai eu aujourd'hui une discussion fort intéressante avec mes élèves. Du haut de leurs 13 ans, certains expriment déjà des idées dignes d'un vieillard aigri et apeuré face à l'inconnu. Pourtant, ce qui est drôle, c'est qu'ils sont TOUS sans exception d'origine étrangère. Je m'explique.
En écrivant la conjugaison d'un verbe en espagnol au tableau, je m'aperçois que zut, en corrigeant les interrogations de l'autre classe sur ce même verbe, j'ai fait une bourde, leur ôtant des points pour un accent en trop alors qu'en fait, l'accent, il y était. Je dis tout haut à la classe ce que je pense tout bas. On rigole un peu, je leur dis que je vais du coup re-corriger toutes les interros, ils me disent que l'erreur est humaine. Il y a une bonne ambiance. Je leur explique alors, non parce que je tiens à me justifier quand même un peu, ils rient, que si j'ai oublié l'accent, c'est parce qu'en Amérique Latine on n'utilise pas cette personne-là de la conjugaison. Ah bon? Première nouvelle! Eh oui, "vosotros", pour dire "vous" à plusieurs personnes, en Amérique Latine on ne le dit pas. On utilise "ustedes", voilà tout. J'argumente: ben oui, c'est comme vous, quand on vous demande du subjonctif imparfait en français, comme vous ne l'utilisez jamais, vous faites des fautes. Normal. Et bien là c'est la même chose: "vosotros", je ne l'utilise jamais, du coup j'ai des doutes.
Et c'est là que s'ouvre le débat. Franchement, je me fous complètement de perdre 20 minutes de cours en bavardages. J'adore discuter avec mes élèves, ententre leurs avis, argumenter, apprendre aussi d'eux, souvent. Au diable le programme, j'écoute donc un garçon me dire que c'est n'importe quoi! Eh oui, la "vraie" langue, c'est celle d'Espagne, c'est l'origine, c'est celle que je suis censée leur apprendre. Tu sais, je réponds, au niveau nombre de population, l'Amérique Latine représente beaucoup plus de monde que l'Espagne. Et puis ce que vous entendez à la télé, dans les séries, les films, les traductions, en général c'est l'espagnol d'Amérique Latine. Non, rien à faire, il conteste. Je lui dis: c'est comme si tu disais qu'il est interdit de parler avec l'accent marseillais pour donner des cours de français. Et là, il dit que oui, parfaitement, ça devrait être comme ça. Je lui dis: waou, mais c'est un discours limite raciste ça tu sais! Dictateur peut-être madame, mais raciste non! Dans la classe, les avis sont partagés. Certains pensent comme moi, qu'une langue est vivante et qu'on doit l'étudier dans toutes ses variétés. D'autres sont d'accord avec le premier élève intervenant, une langue doit rester "pure", sinon ce n'est plus LA langue de l'origine. D'ailleurs ils se justifient en me disant que leur français parlé à eux n'est pas du VRAI français. Je leur dis mais vous déconnez! Des mots, ceux que vous prononcez tous les jours, font encore cette année leur entrée dans le dictionnaire, c'est donc que c'est reconnu comme du français! En vain...
J'en parle ensuite avec mon collègue. Lui avec son accent mexicain, moi avec mes intonations boliviennes, notre vocabulaire est bien loin du "castizo" de l'Espagne. Et pourtant... Pourtant notre vocabulaire, du Mexique à l'Argentine, comprend plus de similitudes, malgré les diversités culturelles, ethniques et géographiques, qu'avec la langue de la Péninsule. On se comprend. Et il y a d'autres choses encore, troublantes. Je vous avais déjà fait un résumé de mes aventures d'agrégée ratée, d'un oral où on m'avait mis des notes éliminatoires, de révélations gênées d'un éminent membre du jury, linguiste renommé, spécialiste de la langue espagnole: une amie péruvienne et moi avions été recalées à cause de notre accent. C'est le père de cette amie qui me raconte un jour une anecdote au sujet de ce fameux accent. Ingénieur, il se retrouve un jour invité à la Cour d'Espagne, dans le cadre d'un partenariat avec la France. La noblesse dans ses petits souliers s'étonne, admire, lui demande d'où lui vient cet espagnol si pur et si bien parlé. Il répond: ma mère est péruvienne, ma femme est péruvienne. Il n'a bizarrement pas l'impression que son accent diffère tellement de celui de ses interlocuteurs faisant pourant partie des familles les plus illustres d'Espagne. C'est très simple, me dit-il: c'est parce que l'espagnol parlé à la Cour d'Espagne... est le même qui se parle au Pérou, le même accent, les mêmes tournures, le même depuis la colonisation en quelque sorte! Alors, il me dit, cela me fait tout de même sourire de voir les raisons pour lesquelles on vous a disqualifiées de l'agrégation. S'ils savaient, les membres du jury, que l'espagnol de ma fille, péruvienne, est celui qu'on parle à la Cour d'Espagne, ils n'en reviendraient pas!
Tout cela pour dire qu'on se fait souvent de fausses idées. Mis à part la bêtise, l'ignorance et le racisme de certains, ce qui m'intéresse et me chagrine à la fois, c'est la totale fermeture d'esprit de ces gamins qui devraient au contraire avoir soif de découvrir le monde, de le dévorer, d'en ingurgiter toutes les variations, toutes les couleurs, tous les sons et tous les parfums. Je me demande à quoi cela tient. Les parents? La culture? L'inculture au contraire... La peur de l'inconnu en tout cas et la certitude, déjà à 13 ans, que les choses sont comme elles sont et qu'on ne doit les changer sous aucun prétexte. Des proies faciles donc pour les extrémismes de tous bords, les conservatismes politiques, culturels et religieux. Des esprits déjà formatés à la non découverte, au refus de l'aventure, à la négation de l'autre. Soudain, je me suis vue dans cette classe comme une souris face à des lions. Mon accent "illégitime" face à leur intolérance. J'imaginais déjà les coups de fils des parents hurlant à l'oreille de ma principale que les profs d'espagnol du collège n'étaient pas aptes à enseigner cette langue! Une envie de fuir, oui! C'est ça! Une envie de fuir comme me font fuir les gens fermés, enfermés, attrapés dans leurs certitudes, prisonniers des limites qu'ils se sont fixées eux-mêmes, incapables d'originalité, de découverte, de rencontre de l'autre, de désordre, donc de vie. Et soudain, encore une fois, je me suis sentie étrangère. Minorité. Mais qu'est-ce que j'en suis fière, de cette minorité, de cette culture, de cette identité multiple, de ces croyances qui incluent, qui rassemblent au lieu d'exclure...

3 commentaires:

Enrique a dit…

Bonjour! C'est vraiment très inquiétant. Dur!dur aujourd’hui de rester optimiste.

brunolug a dit…

la sacralisation de ce qui est issu du bouillon populaire a toujours été la raison d'être des académies. En se coupant vaniteusement de cette base qui est en fait leur gagne pain, les experts perdent ainsi leur raison.

Anonyme a dit…

Le peuple français ne croit-il pas avoir raison sur tout, continuellement?? Eh oui... ces gamins de 13 ans ne sont que ses ouailles!!!