dimanche 24 avril 2011

Barbara Luna


Elle est toujours aussi belle, aussi généreuse, passionnée et vivante. C'est du feu, de celui qui réchauffe le coeur et qui frétille au fond des tripes, c'est la flamme de la vie qui nous enveloppe quand elle chante. Je suis toujours extrêment fan de Barbara, parce qu'elle ne change pas, parce qu'elle est toujours simple et proche des gens, parce qu'elle sait toucher les âmes...

mercredi 20 avril 2011

CONTES DE LA MINE



La furie du Tio

Le Tio est un être mystérieux, si mystérieux que pendant la nuit magique de la Saint Jean, tandis que le froid fait éclater les pierres et que le vent siffle dans le panache des herbes sauvages, il émerge de la montagne dans une explosion de poussière et de feu. Il lance un brame infernal dans la mine et libère sa furie contenue pendant des années d'enfermement.

Dans la nuit étendue comme un chat noir, le Tio rôde dans le campement minier à la recherche d'un amour perdu. Il parcourt les rivières et les montagnes en dénudant les hommes ivres et insouciants, et il se promène sur les places et par les rues en faisant des diableries avec les indiennes du village.

Aux premières lueurs de l'aube, à peine entend on le cocorico d'un coq blanc et le lointain tintement d'une cloche solitaire, que le Tio s'enveloppe dans son manteau de fumée et de feu, et tel Dracula, après avoir bu le sang des mineurs, comme eux boivent la chicha* dans les tutumas du malheur, il retourne dans les ténébreuses profondeurs de son royaume.

Glossaire:

CHICHA: f. boisson alcoolisée faite à partir de jus de maïs fermenté.
TUTUMA: f. Calebasse utilisée comme récipient pour boire.


(Traduction:emilie beaudet / illustration: dessin de Palapoli, dessinateur argentin)

lundi 18 avril 2011

Histoires d'Histoire

Mais où était-elle? Au bout du monde? Sur une montagne? En Patagonie avec des chèvres? Dans un monastère? Pas du tout (quoique, on brûle), juste en escapade en France. Et parfois, j'avoue, c'est assez dépaysant, la France. Alors, attention, hein, pas de nationalisme, loin de moi cette idée (il est toujours bon de préciser que oui, les miennes, de portes, celles de la tête, celles du coeur, celle de l'accueil et du partage des cultures, sont toujours ouvertes, pas comme celles de notre cher pays qui lui, en ce moment, les ferme plutôt à double tour...) Je vous disais donc que je suis allée faire un tour dans une région que j'aime beaucoup: la Corrèze. Ahhh, Brive, Tulle, sa bavette à l'échalote... Non, je ne vais pas vous parler de ça aujourd'hui mais plutôt de deux villages magnifiques.


Le premier, situé à l'est de Brive, Aubazine (aussi remarquable par sa gastronomie, quelques bonnes adresses culinaires fois-gresquement alléchantes à visiter), connu pour son abbaye du XII ème siècle (ça ne nous rajeunit pas). Aujourd'hui, seules deux soeurs l'habitent encore. Mais à la grande époque, les moines cisterciens (qui apparemment s'ennuyaient beaucoup) avaient entrepris de construire un canal à flanc de montagne pour alimenter en eau l'abbaye et le village. Fermé au public pour restauration pendant plusieurs années, on peut depuis cette année refaire à pied ce parcours de 1,5 jusqu'à la source ou "saut de la bergère". Le chemin serpente entre le mince cours d'eau et le vide (assez vertigineux par endroits), et a été tracé à même la montagne, par l'entassement sans ciment, à la mode inca, d'un nombre incroyable d'énormes pierres. Le résultat est monumental. Pas la peine d'aller faire le zouave chez les papous pour avoir des sensations fortes (ça, c'était pour le côté nationaliste. Ben oui, il faudra bien s'y habituer...)Deuxième village, non loin de là et qui porte extrêmement bien son nom: Collonges la Rouge. Rouge, parce que ses bâtiments, de l'église aux tours des belles demeures en passant par la plus modeste des granges, ont été construits avec cette pierre extraite des montagnes environnantes et qui lui donne une teinte chaude de brique. C'est un voyages à une autre époque dans une ville figée par le temps mais encore vivante, évidemment très touristique mais au printemps encore accessible et propice à l'imagination.








Voilà pour cette balade au coeur de la France, dans ces petits villages qui font la richesse de notre patrimoine (allez, j'arrête d'imiter Jean Pierre Pernaud)

dimanche 3 avril 2011

CONTES DE LA MINE

Le châtiment du Tio

-Un malheur n'arrive jamais seul, dit mon grand-père. Il se lissa les moustaches, se passa la main sur le front et poursuivit: -Il y en a même qui disent que ma maladie est un châtiment du Tio.

Je réagis comme frappé par une décharge électrique. Je repris mon souffle et demandai sur un ton étonné:

-Et qui est le diable?

-C'est le Tio de la mine. Le propriétaire des minerais et le maître des mineurs...

Je restai silencieux et pensif. Mon grand-père était mince de nature et de taille moyenne; il avait d'épaisses moustaches et l'allure d'un patriarche; sa chemise grise faisait écho avec ses cheveux de la même couleur et les boutons avec ses yeux clairs, petits mais vifs.

-Les mineurs sont superstitieux, dit-il, en me jetant un regard furtif. Il craignent le Tio plus que le contremaitre de la mine. Certains disent que le Tio est vengeur, surtout, lorsqu'on ne le traite pas avec respect et affection...

Je m'assis sur la chaise qui se trouvait à côté du lit, appuyai ma tête contre le dossier et attendis que mon grand-père poursuive son récit. Mais le temps passait et il ne disait rien, jusqu'à ce que je lui demande s'il était bien vrai qu'il avait vu l'esprit du Tio. Mon grand-père appuya son dos contre la tête de lit, alluma une cigarette, aspira à plein poumons, fit des anneaux avec la fumée et dit:

-Le Tio est le diable et le dieu païen des mineurs. C'est pourquoi ils le saluent avec respect en entrant et en sortant de la mine. Ils lui offrent des feuilles de coca, de l'alcool et des cigarettes. C'est à lui qu'ils demandent protection et de bonnes veines de minerai. Ainsi sont les mineurs; les uns trouvent le minerai avec l'aide du Tio et d'autres trouvent la mort du jour au lendemain...

Quant à moi, en constatant que sa réponse ne correspondait pas à ma question, je répétai:

-Grand-père, est-il vrai que tu as vu l'esprit du Tio?

-C'est vrai, dit-il. Mais je te raconterai cela un autre jour...

-Et pourquoi pas ici et maintenant?, insistai-je comme quelqu'un qui ne s'avoue pas vaincu.

Alors mon grand-père, dont la bonté s'adaptait à la curiosité des enfants, aspira la fumée de sa cigarette et dit:

-La veille du Carnaval, après avoir fait la ch'alla* à la Pachamama et avoir fait les offrandes au Tio, je m'endormis sur les callapos de la galerie, sans retirer mes bottes ni mon casque. A mon réveil, après une charge de dynamite qui secoua la montagne, je vis un enfant habillé comme les indiens de l'altiplano; il portait un ch'ullu en laine, un poncho aux couleurs vives, un pantalon en toile et des sandales en caoutchouc. Il avait un fouet dans la main et des yeux ronds qui, en me regardant fixement, s'éclairèrent comme les étincelles de la roche blessée par la perforatrice. Je voulus lui demander qui il était, ce qu'il voulait et d'où il venait. Mais il ne m'en laissa pas le temps. J'avais à peine ouvert la bouche qu'il se transforma en fumée et disparut en pleurant comme une âme en peine. Alors, assailli par le doute et la peur, je me mis à penser que ce n'était ni un enfant, ni un jeune ouvrier, mais l'esprit du Tio...

Je regardai mon grand-père, qui à son tour regarda le crucifix qui pendait sur le mur d'en face.

-Et que se passa-t-il ensuite?, demandai-je, la respiration étouffée dans le cou et le cœur battant dans ma poitrine.

-Ce même jour, lorsque je rentrai chez moi, le Tio m'attendait à la porte, transformé en vieil homme aux cheveux blancs et le dos courbé. Il me parla sur un ton de reproche, même si je ne me souviens pas bien de ce qu'il me dit. Comme il ne ressemblait pas au Tio, je l'écartai de mon passage et fermai la porte. Le soir, à l'heure de me coucher, le Tio réapparut à côté de mon lit, assis sur la chaise où te trouves maintenant...

Je me levai de la chaise et sentis un frisson qui parcourut tout mon corps comme un filet d'eau froide. Mon grand-père allongea le bras et écrasa son mégot de cigarette dans le cendrier de la table de nuit.

-Et que fit le Tio?, demandai-je épuisé mais curieux de connaître la fin du récit.

Mon grand-père, dont les yeux reflétaient une peine sans limites, installa sa tête sur l'oreiller et répondit:

-Le Tio, qui est le seul à oser mesurer ses forces démoniaques avec les forces divines de Dieu, me regarda avec ses yeux de feu et son rire rauque jaillit de sa gorge, jusqu'à ce que je tombe dans un profond sommeil dont je ne me rappelle rien. Le lendemain, dès mon réveil, je voulus me lever du lit, mais j'eus beau essayer, ce fut impossible; j'avais le corps paralysé et les jambes raides comme celles d'un défunt. Depuis lors, je passe mon temps allongé au lit, à attendre la mort et à penser qu'un malheur n'arrive jamais seul...

Je regardai mon grand-père. Je regardai le crucifix et demandai:

-Et pourquoi le Tio t'a-t-il puni?

Mon grand-père se lissa les moustaches, se passa la main sur le front et dit:

-Le Tio m'a puni parce que je m'étais approprié la lampe et le casque que j'avais trouvés en haut d'une galerie, là même où des années plus tôt un mineur était mort, asphyxié par les gaz toxiques. Bien qu'il fût interdit d'y entrer, je le fis par curiosité, pour savoir si ce que racontaient les mineurs les plus anciens était vrai. A cet endroit même, au milieu des tojos et de la ch'aqa, je trouvai le casque et la lampe recouverts de poussière et en bon état. Lorsque je me penchai pour les ramasser, je fus surpris par un crâne qui avait la mâchoire ouverte, comme s'il se moquait de moi. Je glissai le casque et la lampe dans mon sac de Calcutta, fis demi tour et retournai en direction de mon lieu de travail, où mes camarades préparaient déjà le tir pour faire exploser la roche. Je ne dis rien à personne, mais je sentis une sorte pincement intérieur, comme si le Tio était fâché contre moi, non seulement parce que je m'étais approprié le casque et la lampe, mais aussi parce que j'étais entré dans la tombe de ce mineur qui avait été tué par les gaz. Depuis ce jour, et pendant plusieurs années, je vécus harcelé par l'esprit du Tio, qui, selon ce que certains disent, représente l'âme des mineurs morts à l'intérieur de la mine; le pire est que le Tio, au lieu de me punir en m'infligeant une mort soudaine, me condamna à souffrir de cette maladie qui peu à peu m'ôte la vie...

-C'est pour cela que tu dis qu'un malheur n'arrive jamais seul?

-Pas seulement pour cela, mais aussi parce que, nous les hommes, nous ne sommes jamais seuls. Nous vivons accompagnés par Dieu et par le diable. Ils sont la voix de notre conscience, ceux qui génèrent le bien et le mal. Et puis, le Tio est comme nous, qui sommes bons et charitables avec ceux qui nous traitent bien, et cruels et vengeurs avec ceux qui nous traitent mal...

Je regardai à nouveau mon grand-père, je regardai le crucifix et sortis dans la cour, où les enfants faisaient danser des toupies dans la paume de leurs mains.


Glossaire:


CALCUTA: f. Sac résistant importé de Calcutta (Inde). Il sert à envelopper le minerai. CALLAPO: m. Tronc d'arbre qui sert de marche dans la mine.

CH’ALLA: m. Cérémonie d'offrande ou de sacrifice aux dieux.

CH’AQA: f. Liquide et boue minérale. Gouttière d'eau qui coule de la voûte dans la mine. CH’ULLU: f. Bonnet de laine tissée.

PACHAMAMA: f. Mère Terre. Divinité des Andes.

TOJO: m. Morceau de roche qui se détache de la voûte dans la mine.


(Traduction : emilie beaudet)

image:
http://pincelesymas.blogspot.com/2008/03/viejo.html