jeudi 15 octobre 2009

On les croyait chrétiens

J-E. Monast, On les croyait chrétiens. Les aymaras, 1969.
J'ai souvent privilégié le retour aux sources et le point de vue des indigènes concernant le métissage des croyances et des pratiques religieuses dans les Andes boliviennes. Parfois, les ouvrages donnent parfaitement la parole aux autochtones; c'est le cas des oeuvres de Nathan Wachtel par exemple, maître en la matière. J'ai aussi accès à l'observation et au contact direct des fêtes, des rituels et des croyances de la communauté bolivienne à Paris et de Bolivie. Mais j'ai surtout lu de nombreux livres, résumés ou publications de thèses écrits par des universitaires français laissant une trop grande part au "gringocentrisme" (je sais, je néologise) dans leur manière d'envisager la culture andine. Jamais pourtant je ne m'étais plongée dans les observations concrètes et de terrain des missionnaires venus porter la bonne parole aux indigènes. C'est chose faite, avec cet essai d'un père oblat qui retranscrit ses impressions, sa connaissance des croyances indiennes dans la région des Carangas (département de Oruro, Bolivie) et les perspectives pour l'église dans les années 60. L'auteur fait d'abord de très intéressantes constatations sur l'état de l'évangélisation. Il remarque très justement que les boliviens n'ont adopté qu'en surface et sous la contrainte, avec résignation, la religion de l'envahisseur, et que sous le vernis catholique, les coutumes ancestrales sont encore très vivantes et omniprésentes. Un exemple parmi tant d'autres: le culte des saints qui s'est substitué à celui des divinités anciennes. Et pour rendre compte de l'existence de ce syncrétisme, il faut dire que l'auteur fait preuve d'une connaissance extrêmement pointue des croyances, rituels et autres coutumes de ses fidèles. De son point de vue de religieux, il résulte de ce métissage là une confusion inouïe, une absence totale de logique, une série de quiproquos, qui traduisent pour lui une méconnaissance de la liturgie et des évangiles de la part des indiens. De son point de vue, il n'y a pas eu de véritable évangélisation dans les Andes, et cela est due en grande partie à la violence employée par les conquistadors qui n'ont fait que donner une image sanglante et négative du catholicisme. Cernant assez bien la conscience des aymaras qu'il cotoie depuis de longues années, l'auteur remarque aussi que ceux-ci ont toujours été fidèles à leurs divinités ancestrales et à leurs coutumes, la "costumbre" étant quasiment le fondement de tous leurs rituels. Voici, pour illustrer cette parfaite connaissance de la mentalité indigène, quelques lignes concernant leur manière d'appréhender le temps:
"L'objectivité des occidentaux les a amenés à l'invention des cadrans à aiguilles, au morcellement du temps en horaires, programmes, périodes, auxquels ils doivent se soumettre strictement durant la plus grande partie de leur vie terrestre. De fait, la plupart des Occidentaux, sont "règlés comme des horloges".
L'Aymara vit en quelques sorte au-dessus du temps. Ou plutôt, il vit avec le temps, il le côtoie. Son existence se détoule au rythme des jours, des nuits et des saisons. L'horizon lui tient lieu de cadran, le soleil lui donne le signal du coucher et du lever. J'ai moi-même passé plusieurs années sans montre et je m'en portais fort bien... et les fidèles aussi, semble-t-il. Annoncer à la paysannerie que la messe aura lieu à 7h30, c'est s'exprimer en termes inutilement techniques; leur dire que la messe commencera peu après le lever du soleil, c'est parler pour être compris.
L'indien n'est jamais talonné par le temps; il en est le maître. Il prend SON temps. Son action nous paraît souvent manquer d'ordre et de systématisation. En vérité, c'est que l'indien ne conçoit pas qu'il puisse être dominé par le temps; le temps est devant lui à perte de vue. Sa patience le fait s'adapter au rythme, aux intempéries et aux contretemps du temps."
Autre sujet abordé dans cet ouvrage: la montée du protestantisme et en particulier de l'évangélisme dans les Andes. Je rappelle que nous sommes dans les années 60 et que cette religion, ces sectes, n'en sont qu'à leurs balbutiements dans cette région du monde. Il est très intéressant de remarquer que souvent, et le religieux catholique parle par expérience, les indigènes abandonnent le catholicisme et se tournent vers les évangélistes par peur, par intérêt ou pour des raisons matérielles bien terrestres. Il évoque les points négatifs et les points positifs de ces religions (dont la diminution de l'alccolisme des indiens qui selon les missionnaires de tous bords sont des buveurs invétérés et opportunistes, chaque occasion étant bonne pour s'abreuver copieusement), tout en concluant que catholicisme et protestantisme se livrent en Bolivie une véritable guerre de territoire, les méthodes évangéliques étant en général peu avouables.
Pour conclure, il me semble que cet essai, rédigé suite à des observations courant tout au long des années 50 et 60, en dit long sur l'état du catholicisme et des croyances ancestrales en Bolivie. Le but des missionnaires étant donc toujours d'évangéliser les aymaras étant donné que la religion chrétienne n'a véritablement jamais pris le pas sur les croyances ancestrales, les deux s'étant même entremêlées de manière confuse et inextricable pour donner naissance à un charabia religieux pourtant très local, en somme une nouvelle religion. Il serait très instructif de connaître le point de vue des missionnaires d'aujourd'hui sur le sujet.

1 commentaire:

aldeaselva a dit…

N’oublions pas que l’évangélisation avait plus un objectif colonisateur que spirituel. Le fonctionnement de la société occidentale d’alors puisait historiquement ses fondements sur l’organisation sociétale de l’église romaine. Pour simplifier le discours, le but était alors d’organiser une société la plus proche de ce qui se faisait dans l’Europe d’obédience catholique. Tout cela dans le but évident de générer un accroissement des richesses. Bref, de fabriquer de la croissance. La république du vingtième siècle, en enseignant aux petits berbères l’origine gauloise de leurs ancêtres, avait-elle un autre objectif ? Mais rassurons-nous ! Nous sommes rentrés à présent dans le vingt-et-unième siècle qui s’annonce tout aussi moderne avec son train de réformes judicieuses qui apportent joie, richesse, gloire et beauté !...( et la croissance, bien sûr !, …bon, je sors !...)