mercredi 21 octobre 2009

Luchas y esperanzas

Rencontre avec Domitila de Chungara, femme d’un mineur d’étain bolivien, ancienne présidente du Comité de Femmes au Foyer de Llallagua- Siglo XX, aujourd’hui à la tête du Mouvement Guévariste.

Cochabamba (Bolivie), février 2006.

Q : Pour les mineurs et les boliviens en général, la Révolution de 1952, la première d’Amérique Latine, a suscité beaucoup d’espoirs, mais aussi a posteriori de nombreuses déceptions. Quelle analyse en faites-vous ?

R : Il faut d’abord dire que dans les mines, « l’ère de l’étain » a débuté en 1900. Les « barons de l’étain », comme on les appelait, étaient les maîtres. On avait découvert des filons dans des cordillères où il n’y avait rien, aucun transport ; il fallait tout apporter à dos de lama. Dans les villes, à la campagne, on recrutait des gens ; on leur promettait un tas de choses pour qu’ils aillent travailler dans ces endroits désolés. Et ils y allaient, parce que la misère était grande. En réalité, le salaire qu’on leur donnait était misérable. 60% de ce qu’ils gagnaient leur servait à se nourrir. Ils se sont donc endettés auprès de l’entreprise minière qui les payait mais à qui ils achetaient aussi la nourriture. Les travailleurs vivaient dans des grottes, souffraient du froid et de l’humidité. A chaque fois qu’ils tentaient de réclamer, on leur envoyait l’armée. Ainsi en 1923, il y a eu le « massacre de Uncia » ; le premier d’une longue série.
En 1952, les ouvriers ont réussi à s’organiser pour expulser les barons de l’étain. Ils se sont emparés des armes de l’armée. Le peuple a pris le pouvoir mais ce mouvement n’avait pas de « tête ». Et la petite bourgeoisie les a trahis. En réalité on n’a nationalisé que les mines les plus pauvres. Et la COMIBOL (Corporation Minière de Bolivie, l’entreprise nationale créée en 1952) a même indemnisé les patrons. Idem pour la réforme agraire : on a donné les pires terres au peuple. Tout le reste, les bonnes terres, sont restées entre les mains de l’Etat, comme réserve, ou sont allées aux étrangers. Il y a quand même eu des avancées grâce à la COB (Centrale Ouvrière de Bolivie, le nouveau syndicat né en 1952), le droit à la retraite et à la protection sociale pour les mineurs. Il a eu de nombreuses conquêtes sociales, jusqu’à l’arrivée du néolibéralisme. Alors la COMIBOL a été détruite, les ouvriers ont été licenciés et les mines données aux étrangers. Les mineurs ont dû émigrer. Tout cela à cause du Plan Triangulaire (Plan Economique mis en place en 1961 pour tenter de sauver la COMIBOL et avec une importante intervention des Etats-Unis à travers la BID, Banque Interaméricaine de Développement) et de la mondialisation.

Q : Vous avez été présidente Comité de Femmes au Foyer à Llallagua Siglo XX. Quels événements, quelles réalités vous ont –elles fait prendre conscience du rôle que vous aviez à jouer ?

R : Dans les mines et dans la société en général, la femme est marginalisée, surtout à cause de la religion catholique. Dans la Bible, à l’image de Eve, c’est la femme qui est responsable de tous les maux. Il n’y a que l’homme qui compte. On dit : « la femme, à la maison ! ». En Bolivie, avant, les femmes ne pouvaient pas aller à l’école par exemple. Elles n’avaient pas accès à la santé, à l’éducation. Et puis elles ont décidé de s’organiser, de se battre pour réclamer de meilleures conditions de vie. La répression a été terrible. Même envers les femmes, il n’y a eu aucun respect.

Q : En décembre 1977, vous entamez avec plusieurs femmes de mineurs une grève de la faim à l’Archevêché de la Paz en soutien aux travailleurs et aux dirigeants emprisonnés. Dans quelle mesure votre force vous a-t-elle permis de vaincre la peur ?

R : J’ai tenu grâce à mon père. C’était un paysan. Il avait fait la guerre du Chaco, puis était venu travailler dans les mines où il gagnait très mal sa vie. A cause de ses activités syndicales, il avait été emprisonné. Alors j’ai voulu continuer son combat. J’avais peur, mais je savais qu’il fallait faire quelque chose et être forte. Je savais que nous avions raison, qu’il fallait lutter contre les injustices, les salaires misérables, les maladies, tout ce dont nous souffrions, à la différence de la bourgeoisie. J’ai été exilée dans les Yungas. A mon retour, les gens m’attendaient. C’est le peuple qui m’a donné sa force.

Domitila de Chungara dans les locaux du Movimiento Guevarista à Cochabamba

(Photo:emi)

Q : En 1976, vous publiez avec la journaliste brésilienne Moema Viezzer le livre « Si on me donne la parole… », qui retrace toutes ces années de combat passées dans les mines. Aujourd’hui, raconteriez-vous les choses de la même façon ?

R : En 2002, Moema est revenue dans les mines. Le livre a été réédité, nous l’avons complété. En réalité, je ne suis pas aussi forte que je voudrais l’être. J’ai voyagé, vu beaucoup de choses, mais les injustices perdurent dans le monde. En Suède par exemple (pays dans lequel elle a vécu en exil pendant plusieurs années), les gens souffrent de la solitude, du manque de temps, de l’absence de joie de vivre. Il faudrait sauver le monde entier. Aujourd’hui, 20% des familles sont propriétaires de la totalité des richesses de la terre. Le peuple doit s’unir contre cela. C’est également terrible de voir ces jeunes que Busch envoie se faire tuer en Irak. Le monde a besoin de respect, de dignité. Nous devons protéger la terre. Ce sont les riches qui détruisent la terre mère pour l’argent ; ils empoisonnent l’air, l’eau, détruisent la planète, la Pachamama.

Q : Quelle est votre opinion sur l’actuel président bolivien, Evo Morales ?

R : En Bolivie, un changement était nécessaire. Les coups d’Etat empêchaient le peuple de s’exprimer. La violence était partout. Les partis de gauche avaient disparu. En 1992 par exemple, tous les partis s’étaient unis pour élire Banzer (le général Hugo Banzer Suarez, élu en 1992 après avoir déjà dirigé la Bolivie d’une main de fer dans les années 70). C’est à ce moment que s’est créé le MAS (Mouvement Vers le Socialisme). On a mis l’accent sur les différents peuples de Bolivie qui sont environ une trentaine. Il y a eu un changement social.
En 1971, la COB préconisait d’organiser le peuple pour détruire cette société et établir le socialisme. Le MAS a plutôt montré une possibilité d’union. Evo Morales lui-même a dit : « Nous avons gagné ».
Aujourd’hui, l’ennemi du peuple c’est la droite avec PODEMOS (Pouvoir Démocratique Social, le parti politique de tendance libérale et conservatrice dirigé par l’ancien président bolivien Jorge « Tuto » Quiraoga). Et pour eux, tout le peuple est de gauche. Pourtant les choses ne sont pas si simples. On a vu qu’à la Préfecture de Cochabamba on a élu Manfred (Manfred Reyes Villa, membre du parti PODEMOS), une personne raciste. Les lois électorales sont un piège subtil. Normalement, le préfet doit représenter le gouvernement. Mais cette fois cela a été différent, parce l’élection des préfets et l’élection présidentielle ont eu lieu en même temps.

Q : En quoi consiste votre action, aujourd’hui, avec le Mouvement Guévariste ?

R : Notre action est surtout éducative. On forme les jeunes pour qu’ils soient des citoyens responsables. Ils suivent des ateliers sur l’histoire du syndicalisme en Bolivie par exemple. Nous essayons de former de futurs dirigeants. Nous donnons aussi des conférences. Notre but, c’est que le peuple prenne le pouvoir. Mais pour cela il faut qu’il soit formé. Ce n’était pas le cas en 1952. Il faut « armer » le peuple.

Interview : Emilie Beaudet

Aucun commentaire: