vendredi 16 août 2019

Neverhome

Laird Hunt, Neverhome, 2014.
Incroyable d'avoir inventé toute cette histoire de femme qui va se battre aux côtés des hommes lors de la guerre de Sécession ! Quelle imagination de créer cette héroïne, Constance, qui abandonne sa ferme et son mari pour enfiler l'uniforme et aller au front ! Quel auteur ! Mais où a-t-il bien pu trouver une telle idée ? Eh bien, dans la réalité. Car ce récit est inspiré de vraies femmes, de chair et de sang, qui ont vraiment existé et qui ont vraiment participé à cette guerre. On dit qu'environ 500 femmes se seraient ainsi battues, tant dans le camp sudiste que dans le camp nordiste, avec cette force insondable et cette volonté à la limite du compréhensible. Dans l'ombre. Avec la peur d'être découvertes, car, si on dévoilait leur véritable nature, elles étaient au mieux renvoyées chez elles, au pire humiliées, emprisonnées ou enfermées dans des asiles, déclarées folles. Si l'on n'en sait que très peu sur cette page de l'histoire américaine, c'est que l'Histoire est écrite par des hommes dans le but de les honorer et de glorifier leur puissance. Que dirait-on d'un pays de femmes combattantes ? Ce serait une hérésie. On sait bien, pourtant, que les femmes du monde entier sont des actrices essentielles dans les processus de révolution, guerres et autres conflits. Des courageuses, des battantes, des décidées comme Constance, le personnage principal du roman de Laird Hunt, il y en a des milliers. Preuve en est la richesse des découvertes qu'a faites l'auteur à ce sujet lors de ses recherches. Or, il ne voulait pas faire la biographie d'une seule de femme. Dans son livre, il a voulu les inclure toutes. Ce qui rend le roman passionnant et admirable, c'est qu'il s'est glissé dans la peau de l'héroïne. Lui, l'auteur appartenant au dit "sexe fort", a adopté avec grand talent le point de vue de Constance, si bien qu'on pourrait aisément penser l'histoire écrite par une femme. Pas de mépris, aucun. Une psychologie du personnage toute en finesse et en contradictions. Pas de clichés. Vraiment pas. Une profonde subtilité et, on le sent, un immense respect pour ces héroïnes de l'ombre dont il retrace le parcours à travers l'image de l'une d'elles et à qui il redonne leur place et leur voix au chapitre.
Si j'ai eu peur de ne pas avoir envie de suivre les pas de Constance dans cette boucherie, ce sont ses doutes et ses incertitudes, ses interrogations et ses questionnements qui m'ont fait l'accompagner jusqu'au bout, dans ce parcours qui la mène au plus rude de l'espèce humaine et au plus profond d'elle-même, jusqu'à toucher du doigt des démons qu'elle avait enfouis là et qui s'exorcisent sur les champs de bataille. Jusqu'à la fin de l'expérience. Jusqu'à boucler la boucle. Jusqu'au retour. Jusqu'à la folie. Une oeuvre marquante qu'on lit sans respirer et dont on referme la dernière page en état second. Un roman passionnant et dont le temps de digestion pour l'esprit est long tant le récit ne laisse la place à aucun temps mort. Il ne s'agit pas d'un livre que je garderai dans ma bibliothèque pour le relire plus tard tant son intensité m'a secouée. Mais il est bon parfois de permettre à la littérature, qui est en réalité bien plus que cela, de nous bousculer.
Ici, une interview de Laird Hunt.

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