Oui, les gens aiment ce monument moderne relativement kitsch et construit fin XIXème début XXème, sur la célèbre butte qui en avait vu d'autres, niveau célébrations religieuses : les gallo-romains sont passés par là, Saint Denis y a subi le martyr, les moniales bénédictines s'y sont installées au Moyen Âge, puis les Jésuites débarquent, etc etc, jusqu'à l'édification de ce... truc destiné à réinstaller un gros gros gros symbole de foi chrétienne après les débordements révolutionnaires de la Commune. Non mais ! Beaucoup le trouvent laid, inapproprié, comme un cheveux sur la soupe de Paris qui n'avait pas besoin d'une telle construction pour faire savoir qu'elle était belle. Pour les anarchistes dans l'âme, on a posé une sorte d'affreuse pierre tombale de l'oubli sur les cadavres des communards et ça ne passe toujours pas. Quant aux visiteurs, eux, ils aiment beaucoup la grosse meringue, à en croire la file d'attente interminable (d'un coup, j'ai compris pourquoi, en ayant vécu dix ans à Paris, je n'y suis encore jamais entrée) pour pénétrer à l'intérieur des lieux et gravir les 300 marches qui conduisent au sommet du dôme, depuis lequel on a une vue imprenable sur Paris.
Parce qu'on a une vue imprenable sur Paris
Pas la peine de faire l'ascension de la pièce montée de pierre immaculée pour admirer le panorama, pour avoir une vision globale de la mégalopole parisienne. La Tour Eiffel, la Tour Montparnasse, la Défense, tout le monde est présent et sur son trente-et-un. Pour ceux qui regrettent quand même de ne pas être montés en haut du dôme du Sacré Coeur, le site propose une visite virtuelle : gratuite, moins fatigante et assez agréable ma foi (petit jeu de mots). Sinon, au lieu de jouer les amoureux éperdus ("regarde comme c'est beau, Paris"), on peut aussi admirer cette magnifique cape grisâtre de pollution qui, telle une chape de CO2, nous informe que nous avons de gros progrès à faire en termes de préservation de l'environnement.
Parce que Montmartre est un village
Si on détourne un instant son nez de la pollution et son regard de la longuissime file d'attente, se balader dans les ruelles est fort plaisant. Le flot des touristes se cantonne à la célèbre place du Tertre, mais il est intéressant de se perdre dans les rues adjacentes et de croiser les vignes du Clos Montmartre, lesquelles font écho à une tradition millénaire et même plus, datant en fait de l'époque gallo-romaine. La première fête des vendanges de ces vignes replantées au début du XXème siècle a lieu en 1934. Aujourd'hui, c'est le Comité des Fêtes du XVIIIème arrondissement qui s'occupe de la gestion du lieu et les vignes sont fermées au public afin de les préserver et d'essayer de conserver cette authenticité villageoise au cœur de Paris qui font leur originalité. Enfin, authenticité, mais énorme médiatisation, puisque les vendanges annuelles se font à grands renforts de personnalités et d'artistes qui viennent y pavaner. Allez, avouons : il doit y avoir une sacrée ambiance (nouveau jeu de mots) à la fête des vendanges de Montmartre !
Renoir y demeura, Picasso y eut un atelier, Cézanne prit Montmartre pour modèle et le représenta dans ses tableaux : le quartier respire l'art. D'autres saltimbanques semi-fauchés vinrent trainer leurs guêtres dans les cabarets du coin : Rimbaud, et puis Piaf, et puis Brassens, et puis Prévert. Une sorte d'aimant à artistes, un rassemblement de tendances artistiques, le creuset de la bohème, ce mouvement artistique du XIXème qui prônait une certaine idée de la vie dans la pauvreté et dans l'opposition aux valeurs bourgeoises. De bohème, il paraît que Montmartre est aujourd'hui passé à "bobo", les loyers semblant avoir augmenté. Tout ce qu'il reste d' "art", ce sont les multiples mendiants aux pinceaux qui vous harcèlent pour vous tirer le portrait. Une sorte d'image d'Epinal pour les touristes, dont certains se laissent prendre au jeu, et un agacement permanent pour les habitants de Paris qui, en fait, ne viennent pas trop à Montmartre je crois.
Parce qu'ils ne voient pas ce qu'il y a autour
Qu'y a-t-il autour de Montmartre que les touristes ne voient pas ? Dès qu'on sort du quartier, on retombe dans la réalité du XVIIIème arrondissement : des immeubles en état de délabrement, des tags, des chambres de bonnes au septième étage sans ascenseur et sans sanitaires, le métro Château-Rouge où des échanges de drôles de produits illicites ont lieu entre des gens au faciès patibulaire, Barbès, ce quartier de Paris qui fait voyager aux quatre coins du monde et qui respire la misère, et plus haut la porte de Clignancourt et son boulevard sur lequel, parfois, tard le soir, on trouve un corps allongé sur la chaussée dans un élégant sac de plastique blanc, résultat d'une légère fusillade toute fraîchement survenue. Le seul truc que moi j'adore dans le coin, c'est le Marché Saint Pierre. Le royaume du tissu. La caverne d'Ali Baba de la soie et du coton. L'endroit où on croise des belles dames et des ménagères en savates.
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