Grande fresque. Grande fresque misogyne et raciste, mais grande fresque quand même. Tirée d'une histoire vraie. Je suis allée ouvrir ce livre parce que je l'ai récupéré dans l'édition Folio Junior et, en bon cobaye, je voulais tester si cette lecture était vraiment "junior". Alors pour des enfants de 10 ans, je vous le dis tout de suite, c'est non ! Beaucoup de sang, de batailles, de massacres et de scalps, des tournures de phrases ampoulées et une situation géopolitique tellement complexe qu'elle en devient totalement floue. En revanche, le roman est à garder, pour plus tard, pour le relire quand on a grandi, voire quand on est adulte et qu'on s'intéresse à l'histoire de l'Amérique et aux différents points de vue qui nous sont offerts. Ici, le point de vue est clair : européo-centriste et basé sur le postulat de départ selon lequel le blanc est supérieur à toutes les autres "races". Donc raciste.
Resituons. L'histoire se passe en 1757, au moment où les Français et les Anglais se disputent des territoires situés sur ce qui est aujourd'hui la frontière entre le Canada et les Etats-Unis. Chaque camp a cherché à faire alliance avec différentes tribus indiennes, semant une zizanie sans pareil entre elles et les montant les unes contre les autres. Diviser pour mieux régner. Au terme du roman, on a une idée assez claire du rôle des blancs dans l'implosion des sociétés indigènes. Chose à garder en mémoire, c'est la date de publication du libre de Fenimore Cooper : 1828. Finalement, nous ne sommes historiquement pas si éloignés que cela des événements relatés. Les blessures sont encore profondes. Quand on sait que les revendications indigènes contemporaines aux Etats-Unis sont encore réprimées, on comprend mieux qu'au début du XIXème les mentalités en soient encore là. Les indiens sont dépeints comme des barbares, assoiffés de sang, incontrôlables, pas vraiment fiables et pour la plupart incapables d'aligner plus de deux phrases, "Ugh !" étant l'essentiel de leur vocabulaire. J'exagère. Pour certains, au contraire, ce qui sort de leur bouche est digne des enseignements obscurs d'un mystique religieux incompris. Grotesque. Ajoutez à cela une propension au prosélytisme chrétien et vous obtenez une jolie fresque bien orientée. Les femmes (blanches, les squaws n'existent même pas et leurs enfants sont comparés à des animaux, encore moins intéressants que le petit peuple des castors) en prennent aussi pour leur grade. Les deux héroïnes sont les filles du Colonel Monro (qui a vraiment existé) et elles se mettent en tête de rejoindre leur père dans le Fort William Henry, surveillé de près par les Français de Montcalm (autre personnage historique). Les pauvres filles sont comparées à des enfants sans défenses, empêtrées dans leurs robes et leurs foulards, pleurnichant sans cesse, incapables de marcher avec leurs petits pieds délicats dans leurs petites chaussures (le fait est que ça ne devait pas être une tenue très adaptée), s'évanouissant pour un rien et poussant des cris de stupeur et des gémissements lamentables. Pauvres chéries ! Pourtant, si on repense à l'époque et au contexte, on se dit que les femmes devaient être élevées comme cela, dans la soumission au mâle et dans l'ignorance complète de leurs droits et de leurs capacités. Bref.
Ce qui nous réconcilie un peu avec l'auteur, c'est que, si les Hurons s'en prennent une pleine tête, les deux Mohicans qui accompagnent nos jeunes écervelées dans la seconde partie du voyage et jusqu'à la fin du roman sont dits appartenir à un peuple supérieur par ses traditions, ses qualités guerrières et son intelligence. D'autre part, le chasseur qui les accompagne, bien qu'il affirme jusqu'à plus soif qu'il est un blanc "de sang pur", a intériorisé toutes les qualités des indiens : vision, oreille, instinct, stratégie, respect de la nature. Un personnage entre les deux mondes, ça soulage. Et puis, presque de l'amour. Entre Uncas, le soit-disant "dernier des Mohicans" et Cora, l'une des filles de Monro (bon, d'accord, elle est issue d'un mariage avec une quarteronne, donc elle est presque noire, donc déjà un peu inférieure). Mon côté romantique y a cru un instant, accompagné par les sous-entendus livrés par l'auteur. Et puis finalement non.
Ce que les lecteurs critiquent, ce sont les longueurs, les dialogues artificiels, une action qui se traîne. Pas faux. Personnellement, je ne me suis pas ennuyée. Sociologiquement, c'était intéressant. Pour le traitement du "sauvage", pour la place de la femme, pour la prise de position blanche, parce qu'on entrevoit quand même un peu de réalité. Mais au fait, le Mohican du roman, c'était le dernier ? Alors non, pas du tout ! Je m'en suis rendu compte en regardant un super reportage sur Arte consacré aux racines amérindiennes du rock et au cours duquel des musiciens issus des minorités ethniques opprimées interviennent. A côté de leurs noms était indiquée leur origine et, parmi celles-ci, j'ai pu lire "Machin Bidule, guitariste, mohican". Du coup, ni une ni deux, enquête. En vérité, les Mohicans n'ont pas tous été exterminés. Comme tous les autres peuples, ils ont été déplacés, déportés selon les besoins et les caprices des blancs venus usurper leurs terres, puis parqués dans des réserves qui avaient tout de camps de concentration. Une autre forme d'extermination. A l'heure actuelle, bien que les lois se soient en théorie assouplies, les indigènes n'ont toujours pas les mêmes droits que les blancs sur des terres qui pourtant, faut-il encore le rappeler (il le faut), leur appartiennent. Alcoolisme, viol, suicide, meurtres et, malgré cette situation apocalyptique, l'espoir de voir ces peuples refaire surface, réaffirmer leurs traditions et nous les enseigner à nous, pauvres blancs matérialistes et ignorants.
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