vendredi 7 octobre 2016

Le plaisir le plus triste

Moritz Thomsen, Le plaisir le plus triste, 1990.
Chose promise, chose due : voici la suite et la fin de l'œuvre littéraire du gigantesque Moritz Thomsen. Inutile de tergiverser plus longtemps sur un style littéraire qui nous fait regretter amèrement que l'œuvre soit se réduise à si peu, tellement la lecture qu'on en fait est une véritable délectation. Ironique, parfois cynique, merveilleusement descriptif et, ici, philosophique. Après avoir été contraint d'abandonner sa ferme dans la jungle équatorienne dont il a décrit les années qu'il y a passées dans son livre précédent, Thomsen se rend à Quito, la capitale, pour se faire soigner des multiples affections contractées au cours de ces douze ans de dénuement. Il n'est plus un fermier, c'est une page qui se tourne. Or, au bout de quelques temps à Quito, Thomsen, vieillissant, entreprend ce qu'il devine être le dernier périple de sa vie. Il prend l'avion pour Bogota, puis le Brésil et parcourt le grand pays... ainsi que son passé. Car c'est également d'un voyage introspectif dont il s'agit. Il revient sur les raisons qui l'ont poussé à renier sa classe bourgeoise pour venir s'enliser dans la pauvreté dans un coin de perdu de l'Amérique Latine ; son histoire familiale, hantée par l'image d'un père contradicteur et méprisant en opposition duquel il a construit toute sa vie. De Rio à Bahia, puis sur l'Amazone, Thomsen retrace également ses années à la ferme et pose des mots sur son échec, ce qui l'amène à présenter une analyse sans concession de l'aide humanitaire ou gouvernementale des pays riches envers les pays pauvres. Rappelons qu'il a été volontaire au sein du Peace Corps, cette agence américaine pour le développement. L'auteur fait un procès à charge des bonnes intentions colonialistes, qu'elles soient politiques ou religieuses, et fustige cette capacité qu'ont les blancs, sous prétexte de bonnes intentions et de recherche de profit économique, à semer dans les pays où ils débarquent les graines de l'inégalité et de la soif de consommation, pervertissant par là même le mode de vie et de pensée de peuples qui, malgré toutes les stratégies mises en place, n'accèderont jamais à l'étage de la bourgeoisie mondiale. S'ensuit alors une frustration permanente, de laquelle naît une violence sans nom. Et Thomsen de conclure, dans un élan de prise de conscience, que sa propre initiative de vouloir développer une exploitation agricole dans la jungle, de se faire aussi pauvre que les pauvres, était elle aussi teintée d'un relent de supériorité raciale et culturelle inavouée. 
Ce chef-d'oeuvre de Moritz Thomsen nous offre plusieurs champs de lectures : poétique, descriptif, culturel, introspectif, philosophique, engagé et nous entraîne, au fil des méandres du grand fleuve, dans des réflexions qui restent en suspens, même une fois la dernière page tournée. Voyage intérieur et voyage géographique, deux concepts, cela se confirme encore ici, intimement liés. 

Aucun commentaire: