vendredi 23 mai 2014

Les neiges du Kilimandjaro

Comment voulez-vous que je lise, que je compose, que j'écrive, si chaque soir il y a un excellent film à la télé ? Quant à travailler, n'y comptez même pas !
Hier soir, c'était "Les neiges du Kilimandjaro", de Robert Guédiguian. Rien qu'en voyant le nom du réalisateur, j'ai fait confiance les yeux fermés. Je les ai quand même ouverts à un moment pour le film, bien entendu. "Marius et Jeannette" vu il y a quelques temps (avec plusieurs années de retard, mais mieux vaut tard que jamais), m'avait laissé une sensation de bonheur presque enfantin, la trace de quelque chose de beau qu'on a eu le droit de contempler un moment et qui nous a rendus heureux. 
Alors, comment manquer un rendez-vous aussi prometteur ? L'avantage, c'est que je n'avais aucune crainte d'être déçue et que je ne l'ai évidemment pas été. Je me suis plongée dans les premières images comme on plonge dans un bain chaud, comme on offre son visage au soleil. Car du soleil, il y en a, à Marseille et dans le coeur des gens que filme Guédiguian. Ses personnages sont à la fois des gens ordinaires et des âmes touchées par la grâce, pétries de bonté comme du bon pain croustillant. On a envie de les rencontrer, pour de vrai, pour se prouver que le monde n'est pas si moche et que l'humanité n'est pas perdue. Certaines critiques ont dit du film qu'il n'était pas réaliste, pas ancré dans la réalité, un peu "gnangnan". Peu importe. Ce n'est pas une chronique sociale, c'est un conte à plusieurs niveaux de lecture. 
D'abord, le premier degré : ces quinquagénaires qui s'aiment encore malgré le poids d'un licenciement et qui se font voler les billets d'avion que leurs amis et leurs enfants leur avaient offerts. Quand ils découvrent que l'un des coupables est un jeune collègue de Michel (Darroussin) qui a lui aussi fait partie de la vague des licenciés, les choses se complexifient. Deuxième axe de lecture : le fond social, les patrons, Jaurès et la société de mondialisation qui prend l'eau. Ce n'est pas l'aspect le plus envoûtant, mais le fait que le message, engagé, soit énoncé dans la bouche de personnages aussi touchants le rend totalement poétique. Enfin, et c'est sans doute ce qui m'a le plus interpellée, c'est cette manière de sonder les réactions d'hommes et de femmes qui nous ressemblent beaucoup, face à des questions, pour le coup vraiment existentielles, comme l'omerta et la dénonciation, le pardon et la haine, la prédestination fataliste et la deuxième chance. Bien sûr, nous ne sommes pas dans la précision extrême, mais ce n'est pas l'objet. C'est une fable, un poème, un chant. 
Est-ce que, lorsqu'on regarde une peinture abstraite qui est censée représenter quelque chose de très précis, mais dont la perception nous échappe complètement, on crie au scandale parce qu'elle n'est pas réaliste ? Doit-on forcément dire les choses explicitement pour se faire comprendre ? Ne peut-on pas, parfois, plutôt suggérer que décrire, offrir une métaphore au public et le laisser voguer sur celle-ci ?

Aucun commentaire: