Claudie Gallay, Les déferlantes, 2008.
Cela sonne comme un roman de gare, une histoire fade pour ménagères de moins de cinquante ans qu'on nous vend à la chaîne depuis des années, toujours les mêmes. Une femme seule, un lieu isolé, des blessures, des souvenirs, un homme qui croise son chemin. Et pourtant, il s'agit de tout autre chose, plutôt de ce genre de livres, d'atmosphères dont on a un mal fou à se détacher. Ce genre de romans qu'on refuse de quitter une fois la dernière page lue, comme on s'obstine à refuser le départ d'un être cher.
Dès les premiers mots, Claudie Gallay nous giffle avec des phrases courtes, télégraphiques, un peu agressives presque; elle nous interpelle, nous bouscule, nous dérange, ne nous laisse pas le temps de respirer. Et nous voilà dans cet ancien hôtel à La Hague, autant dire, au bout du monde, perché sur un cap, à la merci des tempêtes qui recouvrent les murs de sel. La narratrice, dont on ne saura jamais vraiment tout, se trouve là comme certains partent dans un monastère ou font des folies de leurs jours et de leurs nuits: pour oublier. Cette femme transpire la souffrance mais son armure est solide. Elle se complait dans ce rôle de souffrante, dans les plongeons répétés dans ses souvenirs, dans cette capacité à se jeter soi-même du sel sur ses blessures. Le sel de la mer qui n'épargne personne d'ailleurs. Il y a cette micro société qui porte des secrets lourds comme des navires échoués; ces hommes renfrognés dans leur monde intérieur; ces femmes endurant les coups du sort en baissant la tête; ce sculpteur illuminé qui ne crée que des ventres béants de douleur; cette vieille folle qui s'entête à aller attendre sur la plage que la mer lui rende les morts qu'elle lui a pris une nuit de tempête. Chacun sa croix.
Et puis, un jour, arrive, comme un cheveu sur la soupe, un inconnu: Lambert. On comprend très vite que lui-aussi a perdu ses parents dans un naufrage, il y a plus de quarante ans. Et le fait qu'il vienne, toutes ces décennies plus tard, fouiller le passé, dérange le statu quoi instauré dans ce coin de terre hostile par des habitants qui désirent l'oubli plus que tout. La narratrice, à la recherche du chemin vers l'oubli de sa propre souffrance, s'emmêle dans ces secrets pour mieux tenter de les dénouer.
Les déferlantes, c'est un roman qui se lit en une seule respiration, qui laisse l'impression d'un grand souffle, d'une tempête intérieure, celle qui nous secoue tous et nous fait tanguer. C'est aussi le travail de mémoire, l'oubli volontaire et le souvenir refoulé. Et puis, un jour, au bout du tunnel, un signe, une main qui se tend, des chemins qui se croisent, un vieil homme qui transmet, un miroir, et même la souffrance est acceptée. Elle se dit, sort au grand jour, s'avoue, se met à nu. Le pouvoir de la parole comme une libération. Puis, la douleur s'estompe. Et, un jour, elle repart avec la marée. Alors, peut-être, quelque chose devient possible.
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