samedi 8 septembre 2012

Le soir

Je comprends tout à fait pourquoi la plupart des écrivains disent travailler la nuit. Ou tard le soir. Ou à l'aube. Jamais au grand jour. Non pas que ces gens aient une vie nocturne débridée et qu'ils dorment la journée. Non pas qu'ils soient capricieux, quoique tout de même un peu des êtres à part. Car ils écrivent comme d'autres allument une cigarette, se rongent les ongles, se vautrent dans le chocolat ou simplement respirent. Il est vrai que le jour, l'esprit n'est pas tranquille. Le soleil, l'animation de la rue et des voisins, cette distance insurmontable qui nous sépare du calme empêche toute réflexion posée. Le jour, ce qui anime notre pensée, ce sont les factures d'eau à payer, qu'est-ce qu'on va faire à manger, le linge à repasser, le bricolage et ruminer. Le jour, c'est le quotidien qui prend le dessus sur la créativité. Et c'est ainsi que l'on passe des journées, de longues heures, avachi dans le canapé, à tourner en rond dans la maison, à entrevoir les idées sans jamais pouvoir les fixer. On remet à plus tard. Puis le temps passe. Et vient le soir. Alors, bien sûr, on se demande comment les grands écrivains arrivent à être aussi productifs. Leurs nuits sont-elles plus longues que les nôtres? Ou bien leur écriture est-elle plus rôdée, plus rapide, plus efficace? Sans doute n'ont-ils pas non plus un autre emploi dans la journée... Quoi qu'il en soit, le soir apaise toutes ces tensions, délivre les frustrations. C'est le moment. La nature, cachée des regards pendant la journée, commence à s'animer. La forêt s'emplit de bruissements, le soleil dessine des ombres, joue entre les arbres, les branches craquent et les écureuils surgissent. C'est autre chose qui prend le pas sur l'homme et ses machines; quelque chose d'infiniment plus puissant, d'enveloppant, de total. Les éléments. Alors le corps se laisse faire, envahir par l'inspiration: on peut créer. L'orage est lui aussi un moment propice à la création. Cette tension extrême juste avant que la tempête n'éclate, quand il y a de l'électricité dans l'air, que le ciel est anthracite, que le vent même semble retenir son souffle. Alors, on est en relation étroite avec l'ailleurs, l'autre, le là-bas et surtout le dedans. Le dieu du tonnerre doit être un peu mécène. Seulement, l'orage est rare et les nuits sont courtes. Le sommeil nous appelle et le soleil nous nargue. Que faire alors pour trouver la paix intérieure qui permet à l'écrivain de matérialiser son imagination? Dans quelle pièce sombre devrait-on s'enfermer? Quels roulements de tambours devraient-on écouter pour calmer nos énergies galopantes? C'est sûrement en forgeant qu'on devient forgeron...


 


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