Nigel Barley, L'anthropologie n'est pas un sport dangereux, 1997.
Il faut le dire, et je le sais pour en avoir lu des dizaines, les récits de voyages anthropologiques sont souvent mortellement ennuyeux. Ils consistent en grande partie à l'énumération des préparatifs et des difficultés du voyage, puis en récits détaillés des cheminements cahotiques à travers la forêt vierge ou le désert, et enfin en une analyse détaillée et pénible du sujet de la recherche. Quand à certains récits de voyages, ils oscillent entre le monotone compte rendu des progressions journalières à travers des paysages moroses et une somme d'anecdotes, plus improbables les unes que les autres, dans lesquelles le narrateur se met en scène de manière pathétique. Le titre du livre de Nigel Barley était tout à fait prometteur pour sortir des sentiers battus et rebattus. Et il n'a pas déçu mes espérances. Car, si l'auteur se met inévitablement en scène, il le fait avec un tel degré d'auto-dérision et de cynisme sur sa condition d'occidental qu'on s'y reconnaît inévitablement et qu'on est même poussé à se poser quelques judicieuses questions sur notre propre attitude en voyage. Extrait:
"Les touristes sont la face hideuse de chaque peuple. Est-ce que ce sont les pires individus qui font du tourisme ou le statut de touriste qui fait ressortir le pire de l'être humain ? On ne peut s'empêcher de se demander si on est pareil, ou si, du moins, les gens du cru nous perçoivent comme tels. Le tourisme transforme les autres en accessoires de théâtre que l'on peut photographier et collectionner. Et je ne suis pas sûr que l'ethnographe n'en fasse pas autant dans une certaine mesure. J'ai connu des anthropologues qui n'avaient guère plus de considération pour "leur" population que pour des animaux de laboratoire, des objets importants pour leurs propres objectifs arrogants, qu'ils pouvaient éliminer ou remettre dans leur cages quand ils se révèlaient ennuyeux ou trop gênants."
On le voit bien, Nigel Barley balance et les anthropologues, ethnologues et autres professeurs et chercheurs en prennent pour leur grade. Extrait:
"Un anthropologue est probablement le pire des invités imaginables. Je n'en voudrais pas chez moi. Il arrive sans en avoir été prié, il s'installe sans y être convié et il harcèle ses hôtes de questions stupides jusqu'à les rendre fous."
Soyons clairs, Barley n'opère pas non plus une rupture totale avec la tradition de pique assiette des chercheurs de terrain, puisqu'il se rend en Indonésie, apparemment avec juste une vague idée de ce qu'il cherche. La seule différence est qu'il ne se prend pas au sérieux, traite ses inconsistances et ses maladresses avec humour, tout en construisant une vision assez objective des populations qu'il rencontre. La plupart du temps, les publications ethnographiques ne sont que glorification du valeureux chercheur en terres inconnues et de ses trouvailles toutes nouvelles. Ici, le récit n'a pas été dépouillé de réflexions bien personnelles, des difficultés, des erreurs, des enthousiasmes déçus et des émotions non retenues. Sans compter que Barley, sous ses airs d'anglais nonchalent et désabusé, nous réserve la surprise d'avoir conçu et réalisé un projet totalement fou et décomplexé.
Rien de nouveau sous le soleil, donc. L'anthropologie n'est pas un sport dangereux est à mi-chemin entre les aventures de Peter Mayle en Provence et la genèse d'une publication universitaire. Une écriture qui cependant a le mérite de nous faire rire et de nous faire passer un bon petit moment chez les Torajas d'Indonésie.
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