jeudi 20 septembre 2012

Emi

En réponse à Coumarine...

Emi. C'est le prénom que je me suis choisi. C'est à un jet de pierres de ce que je suis vraiment et suffisamment loin pour écarter toute intrusion. C'est à la fois une armure, un masque, un maquillage, des lunettes noires, un sourire de façade. C'est moi sans l'être tout à fait.
Enfant, je rêvais d'avoir un surnom, de changer de nom. J'en cherchais dans mes lectures, tous plus exotiques les uns que les autres. Je faisais des listes de prénoms, enviais mes amis qu'on hélait par leur surnom. Je m'appelais comme tout le monde et, à l'âge où l'on cherche à se distinguer, c'était un handicap considérable. J'étais en quête de mes origines, tout en désirant avec toute la force de mes tripes être quelqu'un d'autre. Au fil du temps, on m'a appelée Mili, Milou, Emile, Emilia puis Emi. Au fond, c'est l'Amérique du Sud qui m'a trouvé un surnom, qui a aussi forgé une part de mon identité. Chez les Equatoriens, pour les Péruviens, en Bolivie, dans les mines ou sur les places de mon quartier, j'étais Emi. Entre les guitares et les charangos, sous les coups du bombo, quand je chantais, j'étais Emi. Et ça roulait. Puis, le surnom m'a fait de l'ombre, a pris le pas sur ce que j'étais au fond, s'est constitué un personnage. Emi sudaméricaine; Emi musicienne; Emi les grandes boucles d'oreilles; Emi l'éternelle étudiante; Emi l'habituée des soirées boliviennes; Emi la souriante. Mais qui était-elle? Le costume est devenu trop petit, a craqué, a explosé sous la révolte. J'ai ôté le masque d'Emi et l'ai regardé bien en face, pour tenter de gratter le vernis, de reprendre le cours de l'histoire, juste avant qu'Emilie ne devienne Emi.
Aujourd'hui, encore, il y a des jours où j'abhorre le personnage, le pantin que j'articule en tirant les ficelles du pseudo. Je refuse catégoriquement d'être encore celle-là, d'être encore cela. Comme une tortue sans carapace, je me terre dans une grotte pour échapper aux regards. Je fuis les lieux où Emi a vécu, où Emi s'est affichée, même ceux, paradoxalement, où elle s'est illustrée. Ces gloires-là ne sont plus les miennes, ces mondanités ne me concernent plus. Petit à petit, je rénove le masque d'Emi pour qu'il soit plus à ma taille, plus transparent, pour qu'il ne soit qu'un loup de Carnaval que je puisse ôter et remettre sans me blesser. Chaque jour, à chaque nouvelle création, à chaque note, à chaque mot, à chaque crise de passion, je veille à ce qu'Emi ne prenne pas le dessus, à ce qu'elle ne redevienne pas la créature à travers laquelle j'avais vécu par procuration.
Pour autant, lorsqu'on crée, on a souvent besoin d'un pseudo, derrière lequel on se retranche pour prendre quelques libertés supplémentaires, pour faire un clin d'oeil au spectateur ou au lecteur: attention, je suis un imposteur...

2 commentaires:

Coumarine a dit…

Bonsoir Emi
oups oserais-je t'appeler ainsi alors que tu dis abhorrer ton pseudo/surnom?
Tu as pris en tout cas la peine d'expliquer longuement l'histoire de "Emi"
Merci à toi!

brunolug a dit…

"le sentiment se construit par ce que l'on fait"
Jean Paul Sartre.
Je rajoute: vive l'existentialisme!