Patrick Breuzé, La montagne effacée, 2011.
"C'est le genre de livres que lisait ma grand-mère", me suis-je dit en lisant le résumé du roman à la bibliothèque. L'histoire d'un guide de montagne qui perd la mémoire. J'ai fait un petit tour, lu d'autres résumés, pris puis reposé d'autres ouvrages. Et puis, quand même, le mot Samoëns dans les dix lignes au dos de la couverture, un mot magique. C'est ce qui m'a poussée à déposer le livre de Patrick Breuzé dans mon sac, avec un peu de gêne et la honte d'emprunter un roman "de grand-mère"... J'ai lu un autre bouquin avant et puis, quand même, le mot Samoëns au pied de mon lit. Ou comment être projetée en quelques pages et la sensation, non pas d'intérêt, non pas de déjà vu, non pas de choses connues ou communes, mais le fait d'y être, là-bas. Dans la vallée du Giffre, dans les gorges des Tines, dans le Cirque du Fer à Cheval, au Fond de la Combe. Pas une impression, une réalité. Une déconnexion. Peut-être parce que les paysages, les lieux, les personnages ont été si souvent croisés et sont si bien décrits. Mais certainement, sans aucun doute, parce que ce n'est pas dans l'histoire qu'on plonge, mais au fond du coeur. Un seul nom de lieu-dit, de sommet, de lac, de refuge, un seul mot et tout se dessine, tout se concrétise. Ce sont des mots magiques. Il faut dire que cette région de Samoëns, du village au tilleul à Sixt, n'a rien de commun ni avec le grandiose et séduisant Pays du Mont Blanc, ni avec l'âpre et sauvage Tarentaise. C'est un coin à part, encaissé et vertigineux, de gorges et de parois, de cascades impressionnantes et de sentiers des merveilles. Le Pas du Boret, le Lac de la Vogealle, autant de fatigues que de découvertes miraculeusement dissimulées, inimaginables depuis le bas. Mais revenons au roman. Aussitôt, avant de rencontrer Léon, nous nous attachons à Armande, femme discrète, femme résignée, femme aussi rude et émouvante que les montagnes environnantes. Elle attend son mari qui tarde à rentrer d'une course. Léon est guide, frise les 70 ans et commence à fatiguer. Pis encore, il se met à oublier, à mélanger les choses, à recréer des événements. Mais Armande, encore amoureuse, encore admirative, se voile la face, aussi, refuse de voir, nie l'évidence, refuse de comprendre que le malheur s'acharne sur elle. Et bien oui, cette histoire ressemble peut-être à celles que lisait ma grand-mère. Certes, oui, elle parle d'histoires de village, de querelles de clocher, d'amours oubliées et de souvenirs, du passé. Mais elle parle aussi de l'homme, du courage des femmes, de la beauté des êtres qui s'apparente à celle de la nature, de personnages forgés dans la roche, à l'âme frêle mais puissante comme le torrent. L'universel dans l'anecdote, vous allez me dire, c'est couru d'avance, prévisible, vu et revu. Qu'importe, je persiste à dire que le roman de Patrick Breuzé, pour ceux qui connaissent, comme moi, le fond de la combe comme celui de leur poche, est un régal, un appel à la nostalgie, ce genre de madeleines qui, tout en nous blessant un peu en nous rappelant l'absence et la distance, ressemblent à la joie triste des étoiles filantes.
"Dès l'entrée du Fond de la Combe, les hommes ressentirent l'haleine de la montagne. Ils ne voyaient pas les sommets, un noir de suie leur interdisait d'en distinguer ne fût-ce que les contours. Pourtant, là-haut, les roches éperonnaient le ciel, déchiquetant les plus bas des nuages pour les jeter dans les couloirs obscurs, les transformant en brume et en brouillard.
Sur les visages venait un voile léger, quelque chose de frais comme une mantille perlée de rosée. Au brouillard s'ajoutait la respiration de ces dizaines de cascades étagée sur toute la hauteur des parois."
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