Yasmina Khadra, L'attentat, 2005.
Tel Aviv. Amine, un chirurgien renommé, d'origine arabe, est rappelé à l'hôpital où il travaille pour opérer les nombreux blessés après l'explosion d'une bombe dans un restaurant. Parmi les victimes, des enfants qui fêtaient un anniversaire. C'est l'horreur. Après des heures au bloc opératoire à tenter de sauver des vies, Amine rentre chez lui, à travers une ville sous tension. Délit de faciès, il est arrêté à tous les barrages de police de l'armée israélienne. En pleine nuit, le téléphone sonne. On le rappelle à l'hôpital, sans lui dire pourquoi. Angoisse. Arrivé sur place, les visages sont fermés, le silence est lourd. On finit par annoncer à Amine que l'explosion dans le restaurant est en réalité due à un attentat suicide, et que le kamikaze est... sa propre femme. C'est le choc. L'incompréhension. S'en suivent des jours d'interrogatoires dans les geôles israéliennes, les questions et les coups pleuvent. Amine ne comprend rien, ne réalise pas, a l'impression d'être en plein cauchemar. Sa maison est vandalisée, lui-même est agressé et insulté, battu. Trahi, il décide de comprendre ce qui a poussé sa femme à se faire exploser dans un restaurant bourré de monde, à quel moment elle lui a échappé, que lui manquait-il pour être heureuse tandis que lui s'acharnait à lui offir une vie de princesse. Commence alors un parcours géographique sur les traces des derniers jours de sa femme. Amine se rend à Bethléem, à Janin, dans les villes où son épouse est passée avant l'attentat. Il mène l'enquête, cherche des pistes, des indices. Et au fur et à mesure de ses recherches, la haine monte en lui. La haine du monde qui l'entoure, à cause de son impossibilité à rendre sa femme heureuse, la haine de se sentir trahi, incompris, la haine envers ceux qui ont poussé son épouse à se tuer, la haine parce qu'elle a préféré un "gourou" à son mari. Amine voit la réussite professionnelle, l'ascension sociale qu'il a connue grâce à sa persévérance, jusqu'à se fondre, lui, pauvre arabe, dans la population israélienne. Et il se voile la face. Aller sur la piste de son épouse et chercher une explication à son acte, c'est retourner aux sources, se prendre la réalité, la violence et la pauvreté en pleine figure. C'est se confronter à des populations massacrées, acculées, encerclées par la misère et l'horreur. Et ce mur qui se dresse au bout des terres de son enfance. Sa famille, qu'il avait presque oubliée pour mieux devenir quelqu'un, jusqu'à en oublier qui il était. Le sujet est risqué, très engagé, épineux, et traité de manière originale. J'aime cette prise de risque qui nous entraine sur d'autres terrains que ceux traditionnellement attendus, complètement en dehors du jugement sur le bien et le mal. C'est un véritable questionnement sur l'identité, la responsabilité de l'individu, la naissance de la haine qui surgit de l'incompréhension et de la négation de soi et des autres. Dans le récit de faits et de situations réalistes, l'auteur nous entraine dans une introspection, une interrogation sur nos propres réactions face à la violence, à l'engagement, et sur notre incapacité à lire en l'autre, aveuglés que nous sommes par nos certitudes et nos jugements à l'emporte pièce. Dans un monde où on nous pousse à choisir notre camp, où on nous dicte de qui on doit avoir peur et qui on doit suivre, le livre de Yasmina Khadra renverse les schémas établis pour nous montrer une réalité complexe et multiple. Un véritable appel à l'écoute de l'autre, à garder toujours une perception libre et objective de la réalité.
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