dimanche 8 avril 2012

"J'ai mal, papa !..."

Scène 1.
Un terrain de tennis, deux enfants qui jouent. L'une, à envoyer des balles avec sa raquette, tranquillement. Et à aller les chercher ensuite. Lentement. L'autre, à jongler avec un ballon de foot. Les deux sur le même terrain. Amusement. Les oiseaux chantent. Il y a un joli désordre, une complicité implicite. Un moment de détente.

Scène 2.
Le père qui crie. Qui va d'un terrain de tennis à l'autre. Les enfants séparés. L'une, renvoie, l'une après l'autre, les balles de tennis que le père lui fusille. Visage fermé. Encouragements? Plutôt engueulades, bousculades verbales, réprimandes, motivation par la dénégation. Il change de terrain. Elle respire. Mais est toujours sous étroite surveillance. Le fils. Il ne peut plus jongler en désordre avec son ballon de foot. Il est question de technique, de perfection, de comme ça tu n'y arriveras pas, de ce n'est pas comme ça, de tu veux progresser oui ou non?, de bouge-toi un peu, de fais un effort, de recommence, encore, encore et encore. Tensions. Regards baissés qui, s'ils se levaient, en diraient long. Mais ils n'osent pas. Le plaisir est parti, il crie trop fort. La complicité est séparée par le grillage. L'amusement a été effrayé par la performance sans motif valable.

Scène 3.
La fille qui pleure, qui crie, qui gémit, le pied droit en l'air. Le père, à genoux, qui lui ordonne de se calmer, qui ausculte sa cheville, qui aboie encore, malgré la douleur évidente de son enfant. Elle souffre et il minimise. Peut-être va-t-il lui demander de reprendre aussitôt l'entrainement? C'est une blessure d'accident, de fatigue, de ras le bol physique et mental, une blessure à l'amour, à l'estime de soi tellement enfouie par tant de reproches, une blessure à la volonté de bien faire, de se faire aimer, de faire plaisir, qui s'est transformée en crainte, en peur de voir la déception dans les yeux de son père, en je ne sers à rien, je n'y arriverai jamais, je ne serai jamais à la hauteur, je suis nulle, je ne suis rien. Et le père qui aboie encore. Alors qu'elle, elle voudrait que tout s'arrête, qu'il lui dise qu'il l'aime quand même, même si elle ne devient pas championne du monde. Elle voudrait redevenir enfant, revenir au jeu, à l'avant, avant la pression, avant la communication par la stimulation.

Scène 4.
A quel moment va se consommer la rupture? Demain, quand le médecin lui indiquera de ne plus faire de sport pendant un temps? Dans un an, quand elle lui dira qu'elle arrête tout? Dans trois ans, quand elle lui préfèrera son petit ami, quand elle préfèrera les balades en scooter au vieux terrain de tennis, cage qui renfermait l'oiseau qu'elle aspirait à être? Dans dix ans, quand, enfin championne, elle se cherchera un autre entraîneur, un qui la valorisera plutôt qu'un chien de garde sportif? Dans quinze ans, quand elle refusera que le grand-père entraîne ses petits enfants, ses enfants à elle, au même régime qu'elle? Dans vingt ans, quand il mourra d'une crise cardiaque et qu'ils se sépareront sans s'être jamais dit qu'ils s'aimaient autrement que par des coups de gueule?

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