lundi 30 avril 2012

La cage dorée

Shirin Ebadi, La cage dorée, 2008.
Suite de notre série sur les romans ayant pour cadre "la violence de ce monde"... Je vous promets des chroniques littéraires plus gaies, mais là, je suis sur un filon, alors je l'exploite jusqu'au bout. Je suis passionnée par le thème, par l'écriture, le récit, l'histoire et les événements politiques, sociaux, économiques, religieux.
Shirin Ebadi, c'est cette avocate Iranienne qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2003 récompensant son action en faveur de la défense des droits de l'Homme. Encore une fois, on en apprend beaucoup sur un pays dont on ne connaît que des stéréotypes et un résumé historique souvent approximatif et erroné. Shirin Ebadi part de son enfance pour entamer son récit autobiographique, à une époque où sa famille est unie, heureuse, où la vie à Téhéran s'écoule tranquillement. Elle ne sait pas encore que les décennies qui l'attendent seront tout le contraire, faites de peur et de mort, de répression et de silence de plomb. L'action et le rôle politique du Shah y sont parfaitement expliqués, en particulier son refus d'entreprendre des réformes, son conservatisme et son obéissance totale, sa soumission même, aux décisions des Etats-Unis. L'opposition commence à se faire de plus en plus virulente: les mouvements communistes, les réformateurs, les étudiants, les fondamentalistes religieux. Tout un peuple demande le départ de son dictateur, se soulève et manifeste avec l'espoir d'un changement. Seulement, les manifestations sont réprimées dans le sang, les Etats-Unis "lâchent" le Shah, qui part en exil, déjà malade. Alors, tout un peuple respire, croit en l'avenir et soutient les fondamentalistes religieux qui arrivent au pouvoir, pensant pouvoir avoir confiance en leur capacité à changer un système archaïque. Mais, très vite, l'Ayatollah Khomeini, protégé durant la répression du Shah, à l'abri dans sa résidence parisienne, balaye d'un revers de main les espoirs des Iraniens. Censure, répression des anciens opposants - et même des anciens alliés -, instauration d'un régime totalitaire, anti-démocratique et théocratique. C'est la stupéfaction, la déception. Vient ensuite la guerre contre l'Irak et les privations, les représailles, l'épuration des opposants - ou des prétendus comme tels, accusations souvent erronées, jugements inexistants, exécutions arbitraires, disparitions. Jusqu'à aujourd'hui, les choses n'ont pratiquement pas changé en Iran, et Shirin Ebadi continue sa lutte pour plus de liberté et plus de justice, ce qui n'est pas une mince affaire. Rappelons que cette femme incroyable, jamais vaincue, a déjà connu les geôles du régime des mollahs.
Ce qui est passionnant dans ce livre, c'est que cette histoire chaotique nous est racontée à travers la vie de deux familles: celle de Shirin et, en grande partie, celle de sa meilleure amie Pari, dont les trois frères ont pris chacun des directions totalement opposées. L'un, l'aîné, a toujours aveuglément soutenu le Shah, et dut lui-aussi partir en exil aux Etats-Unis, pour ne plus jamais pouvoir revoir sa terre natale. Le second, quant à lui, s'est trouvé une vocation politique d'opposant communiste durant les dernières années du Shah. Il connaîtra la prison à plusieurs reprises. Le dernier, le plus jeune, s'oriente très tôt dans une voie religieuse sans concessions, suivant les pas d'un mollah qu'il considère comme son guide. Envoyé sur le front de la guerre en Irak, cette expérience changera totalement sa perception de la réalité. Cinq destins, deux femmes et trois hommes, presque tous tragiques, qui nous montrent que quelle que soit la "cage dorée" des idéaux dans lesquels on s'enferme, le fait de suivre une voie aveuglément, sans jamais se remettre en question, conduit irrémédiablement à l'absence de dialogue, à l'extrémisme - qu'il soit politique ou religieux -, à la mort. Note d'espoir dans cette vie, dans ce monde hostile à l'amour et au partage, les femmes, fortes, et qui, encore une fois, s'engagent, ne baissent jamais les bras, malgré le danger.

Aucun commentaire: