lundi 19 mars 2012

Doña Domi nous a quittés

Por Victor Montoya


Doña Domi, qui est devenue l’une des femmes emblématiques de l’histoire du syndicalisme bolivien, je m’en souviens depuis mon enfance. Nous nous retrouvâmes parfois dans les manifestations de protestation sur la Place du Mineur de Siglo XX, où je parlais en tant que représentant des étudiants du second degré et où, par sa parole et par son courage, elle s’élevait comme le leader incontesté du valeureux Comité de Femmes au Foyer.
Elle était une femme faite de copagira et de fibre minière, non seulement parce qu’elle était fille de mineur, mais aussi parce qu’elle fut l’épouse d’un autre mineur ; de ses pores jaillissait la sueur des palliris et dans ses mains s’exprimait le sacrifice d’une femme habituée à doubler ses journées pour accomplir les tâches domestiques et s’occuper de sa famille. Elle vivait pour travailler et travaillait pour que les hommes et les femmes apprennent à défendre leurs droits les plus élémentaires.
Ses discours, faits de feu de et de passion ardente, étaient incendiaires lorsqu’il s’agissait de faire référence aux crimes de lèse-majesté commis par les régimes dictatoriaux, qui semaient la panique et la terreur chaque fois qu’ils intervenaient militairement dans les districts miniers, laissant un flot de morts et de blessés.
Jamais elle ne cessa de protester contre le pillage impérialiste, dans une nation qui, tout en étant riche, est tellement pauvre à la fois, et ne s’inclina jamais face aux menaces de ceux qui la frappaient dans les geôles des dictatures. Elle eut toujours la tête haute et le cœur palpitant aux côtés d’un peuple qui clamait pour la justice et la liberté.
Je retrouvai Doña Domi en 1980, à Stockholm, après le sanglant coup d’état mené par Garcia Meza et Arce Gomez, où nous partageâmes le même pas dans une marche de protestation et parlâmes des morts et des disparus, après la prise par les armes de l’édifice de la Fédération des Mineurs. Ensuite, nous partageâmes la joie de rencontrer et d’écouter Garcia Marquez l’année où il reçut le Prix Nobel de Littérature, lorsqu’il parla devant des centaines de latino-américains exilés et qu’il lut l’un de ses contes dans le salon officiel de LO (Centrale Ouvrière Suédoise), dans le rude hiver 1982.
Une fois rétablie la démocratie en Bolivie, doña Domi décida de rentrer dans son pays pour se réinsérer au sein du mouvement populaire qui se battait pour prendre les rênes du pouvoir politique. Je lus dans la presse qu’elle se présenta comme candidate à la vice-présidence et que les votes des électeurs ne furent pas suffisants pour la mener jusqu’au Palacio Quemado. Cependant, cela n’entama pas sa détermination et elle poursuivit sa lutte avec la même persévérance de toujours. Nous savons maintenant qu’elle ne parvint à être ni vice-présidente, ni ministre, ni sénatrice de la république, pas même pendant le processus de changement que dit avoir mis en place le gouvernement actuel.
J’eus beaucoup de peine en voyant la photo sur laquelle elle apparaissait avec un foulard sur la tête, marquée par une maladie irréversible et un traitement de chimiothérapie. Mais, même ainsi, on la voyait souriante face à l’appareil, comme se moquant de la mort, comme se moquant de ceux qui lui souhaitaient le pire, parce qu’une femme comme doña Domi, qui avait appris à se jouer des bonnes et des mauvaises passes de la vie, était alors déjà une femme immortelle, car ses luttes, ses mots, son exemple, ses expériences et sa soif de justice resteraient pour toujours parmi nous, avec nous, comme les flammes qui demeurent vives dans la mémoire  collective et le témoignage historique d’un pays fatigué d’attendre dans la queue de l’histoire.
Doña Domi nous a quittés entre les pleurs et les cœurs serrés par son départ, entre des hommes, des femmes et des enfants qui assistèrent à sa veillée funèbre et ensuite à ses funérailles. Nous ne pouvons nier le fait que, durant les dernières années de sa vie, elle resta un peu recluse dans la douleur, le silence et, pourquoi ne pas le dire, dans une sorte d’oubli de la part de ceux qui, un jour, l’avaient considérée comme leur camarade de lutte et qui, le lendemain, l’avaient abandonnée par jalousie et à cause des ambitions mesquines de certains qui s’octroyaient le mérite d’être des combattants sociaux sans même le mériter.
« Si on me donne la parole… », qui résume les idées et les sentiments de cette indomptable femme des mines, restera une lecture obligatoire pour les femmes de Bolivie, d’Amérique Latine et les pays de ce qu’on appelle le Tiers Monde. Dans  ses pages résonne la voix d’une femme qui,  porteuse d’une profonde sagesse populaire, critiquait les conceptions du féminisme arriéré, et revendiquait la véritable émancipation des femmes qui, aux côtés des hommes, devaient forger une société plus libre et équitable, basée sur les principes de la solidarité et le respect des Droits de l’Homme.
Malgré tout, doña Domi aura toujours, par son propre mérite, une place privilégiée dans les campements miniers, dans les gravas des desmontes et dans les ténèbres des galeries de Siglo XX, où règne encore le Tio de la mine, qui est le maître absolu des richesses minières et le patron des mineurs, de ces géants des montagnes qui apprirent à lutter contre la roche, d’arrache-pied, la dynamite à la main, avec la même énergie avec laquelle ils apprirent à affronter leurs ennemis de classe, menés par des syndicats révolutionnaires dont les leaders, de même que doña Domi, donnèrent des leçons d’humanisme, de dignité combative et de démocratie participative.
COPAGIRA: f. Eau mêlée à des résidus de roche, de couleur jaune ou grisâtre, résultant du processus de lavage du minerai
DESMONTE: m. Entassement de résidus de la mine considérés comme stériles, mais qui, en réalité, constituent d'importantes réserves pouvant contenir de l'étain.
PALLIRI: f. Femme qui, à coups de marteau, triture et choisit les morceaux de roche minéralisée dans les desmontes.
TÍO: m. Divinité. Diable et dieu tutélaire qui habite à l'intérieur de la mine. Les mineurs le craignent et lui font des offrandes.
(traduction:emi)

2 commentaires:

Esteban a dit…

Salut chère Emi, cherEs passantEs,

Domitila Barrios Cuenca mérite bien l'hommage de tes articles. Elle n'a peut-être guère de secrets pour toi et d'autres internautes, mais je me permets tout de même de faire suivre ce lien (ES):
http://www.kaosenlared.net/america-latina/item/12539-homenaje-a-domitila-barrios-cuenca-una-mujer-que-supo-cambiar-la-historia-de-su-pa%C3%ADs-bolivia.html

Un fuerte abrazo

Esteban

Emi a dit…

Gracias esteban! Cette photo nous donne à la fois de la tristesse et de l'amour...