samedi 31 décembre 2011

Mémoire, souvenir et oubli

Katharina Hagena, Le goût des pépins de pomme, 2010.
Plusieurs niveaux de lecture pour ce livre.
Premier niveau, personnel, celui d'un petit bouquin à la couverture agréable, placé sur le présentoir de la caisse d'un grand magasin, histoire simple, idéal pour quelques heures d'avion.
Second niveau, l'histoire simple, en effet, d'une jeune femme qui, à la mort de sa grand-mère, hérite de sa maison, et de tous les souvenirs qui vont avec. Elle retrouve par là même son enfance, doute du passé et de l'avenir, ne sait pas si elle va et doit garder et entretenir ce lourd fardeau que sont ces murs vieillissants. Histoire de conflits de génération. Banal.
Allons plus loin. Troisième niveau. Les souvenirs justement, parlons-en. La grand-mère en question souffrait de la maladie d'Alzheimer, et autour de ce portrait d'une femme qui sent sa mémoire et sa tête lui filer entre les doigts, puis finit par ne plus vraiment le sentir, une réflexion autour des souvenirs, de la mémoire justement, et de l'oubli. Magistral exercice d'analyse de ce qui se passe dans notre conscient et souvent dans notre inconscient, toutes ces failles, ces embellissements, ces choix délibérés ou non de se souvenir ou d'enfouir dans les puits de la mémoire. Tous ces mécanismes qui font de nous ce que nous sommes, ce que nous avons été, qui recréent en permanence notre passé et notre présent déjà lointain, qui nous structurent et nous déstructurent sans le vouloir. La narratrice, à travers cette maison, revit donc certaines choses qu'elle avait décidé d'oublier. Parallèlement, elle nous décrit, d'une part, avec tendresse et tellement de vérité, la plongée de sa grand mère vers le vide total; d'autre part, la résurgence de ses propres souvenirs enfouis.
Quatrième niveau, allons plus loin encore. Mis à part cette réflexion ciselée et lucide sur la mémoire et l'oubli, ce qui forme nos souvenirs, une évocation de ceux-ci à travers les sensations. Le corps, vaste programme, enregistreur permanent de la vie qui nous traverse. Le goût des pommes, l'odeur des confitures, le bruit des pas dans l'escalier qui grince, la caresse de l'eau sur la peau, tout ici est souvenir sensoriel, lien permanent avec le corps, le regard, les sons, le toucher, le bruissement des feuilles dans le vent et le goût des larmes, salées. Poésie corporelle, anatomie poétique, et vice versa. En tout cas, c'est du grand art.
Cinquième niveau, tout le monde descend. Un livre à conseiller pour la qualité de son écriture, simple mais comme nous l'avons vu à lire selon plusieurs niveaux, chacun choisira le sien, chacun prendra ce qui lui convient et occultera le reste. Il en est de l'interprétation des lectures comme de celle des souvenirs...
Petite conclusion personnelle: comme le disait un certain chaman, "les gens et les choses qui croisent ton chemin ne viennent pas par hasard". Parfois, je me plais à penser qu'il en est de même pour les livres.

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