Paolo Morellli, Guide pour se perdre en montagne, Ed. Guérin, Chamonix, 2006.
Il s'agit d'un tout petit livre dont la critique a fait des éloges. Ecrit en deux parties, il se compose d'une série de définition sur les "outils" et les "rencontres" propres à la montagne. L'auteur ne prétend pas nous donner un guide comme les autres. Ce que nous avons entre les mains, c'est un guide d'un tout autre genre: le manuel du vagabond, de celui qui part en montagne sans objectif, simplement pour s'y perdre. Le début est assez drôle, on reconnaît quelques situations connues, on sourit de se sentir un peu dépeint. Pourtant, très vite, on se rend compte que le style non plus n'est pas commun. Ce n'est pas un ouvrage à lire de gauche à droite, de la première page à la dernière. Tout comme l'auteur laisse transparaître ses nombreuses années d'expérience à s'égarer dans la montagne, il faut sauter d'une définition à une autre, revenir en arrière, faire des bonds en avant, jusqu'à ce que le lecteur aussi se perde dans le livre. L'ironie domine, le cynisme est roi, la poésie omniprésente. Souvent, l'écriture devient hermétique, ressemble à un monologue de l'auteur duquel nous serions exclus, incapables de suivre sa pensée qui vogue vers l'absurde et l'hallucination. Une fois le livre refermé, on est effectivement totalement perdu, perplexe, sans opinion fiable, un peu ébahi mais heureux de s'être égaré dans ce monde complètement délirant qu'est celui de Paolo Morelli.
Voici quelques extraits:
"enthousiasme: utile quand on songe au suicide. Normalement, le laisser aux novices et à ceux qui partent en tongs sur les glaciers. En montagne, les enthousiastes sont plus dangereux que les avalanches et ressemblent à ces dernières par leur imprévisibilité et la vitesse de leur chute. On le retrouve chez les jeunes et les moins jeunes, au caractère fanatique et fantasque. Change d'itinéraire dès que tu aperçois de l'enthousiasme près de toi, et si tu le sens monter en toi, reste au refuge."
"grimpeurs: secte diabolique divisée en plusieurs familles, de la mystique à la sportive, en bagarre les unes contre les autres. On les reconnaît à ce qu'ils laissent leur voiture le plus près possible de la paroi, courent s'y rendre et retournent plein gaz en ville. Chaque famille esssaie d'arriver la première pour occuper la paroi avant les autres, aussi se réveillent ils de plus en plus tôt, toujours plus tôt, si bien qu'ils grimpent à minuit, parfois même à midi du jour précédent. Très entraînés pour la course à la régression, parfois ils grimpent en descente, et même sur leur immeuble ou sur leur mère. Certains, à tendance mahométane, admettent du bout de la langue qu'ils préfèreraient que la montagne vienne à eux, ce qu'elle fera tôt ou tard, pour se faire monter. Ce sont des enragés de toponomastique, ils adorent laisser leur propre nom à une voie. Ils l'écrivent sur la roche au feutre indélébile, de crainte que la neige ou des rivaux ne l'effacent. Dès qu'ils s'arrêtent, ils se délectent à faire des mots croisés dont ils remplissent les colonnes à l'envers. Ils s'adonnent à leur rite en fin de semaine, il faudra donc que le vagabond se lève tard ces jours-là, quand ils seront déjà morts ou en fuite."
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