mardi 23 août 2011

Médias charognards

Ils sont les premiers sur les lieux. Qu'un suicide ou un accident de la route ait eu lieu, qu'on annonce un meurtre ou une agression, ils sont là, tout essouflés d'avoir couru si vite pour avoir la primeur de l'information. Micros en main, caméra au poing, ils s'approchent au plus près qu'ils peuvent de la scène, au diable le périmètre de sécurité ou de dignité. On se croirait dans une série américaine. Gros plan sur le sang, sur le cadavre étendu au sol, sur le visage de la femme brûlée à l'acide. Les portes des hôpitaux leurs sont grandes ouvertes, ils y sont les bienvenus ou bien s'y imposent par la force. Ils ne veulent rien rater. Avec l'accidenté de la route encore sonné, ejecté du bus qui vient de se renverser, c'est l'interview choc. La reporter lui hurle les questions au visage. Alors? Comment ça s'est passé? C'est tout juste si elle se retient de dire "super!" lorsqu'il lui raconte qu'il est l'un des seuls survivants. Peu importe s'il est veuf, ils ne font pas dans le social. Ce qui compte c'est que, ce soir, au journal de 19h, de 21h et aux suivants, les images du sang tout frais feront les gros titres. Avec un peu de chance, le reportage aura sa place pendant deux jours dans les faits divers télévisuels. Je ne sais pas si on peut appeler cela du journalisme. En tout cas, le procédé est courant et extrêmement bien rôdé en Amérique Latine. Bolivie, Pérou, même combat, le journal télévisé n'est qu'un ramassis de scandales, de vols à la tire, de viols et de morts. Comment est-ce que les familles assument-elles cette violente intrusion dans leur vie privée déjà très affectée? Personne ne sait le dire. On lit cependant dans les yeux de la femme aspergée d'essence, de la fillette sexuellement abusée, un regard apeuré par cette agression supplémentaire, celle de la caméra fixée de manière obscène sur leur malheur. Et les téléspectateurs dans tout ça? J'ai suivi un nombre incalculable de journaux télévisés dans une famille bolivienne de classe moyenne. Là-bas, et ce n'est pas une exception familiale mais plutôt une tendance nationale, la petite lucarne est allumée en permanence, de 6 heures du matin jusqu'au soir où, dispersé dans sa chambre respective, chacun continue à regarder la télé. On prend son petit déjeuner avec, on oublie de l'éteindre quand on sort, on la rallume dès qu'on revient, on la regarde d'un oeil en attendant le repas, on s'endort le soir devant. Séries brésiliennes ou mexicaines, reportages politiques, innombrables émissions de musique, films, très peu de documentaires.Il y en a presque pour tous les goûts. Mais lorsque le journal arrive, les fourchettes restent suspendues au-dessus de l'assiette, on augmente le volume, on incite énergiquement son voisin à se taire, c'est le moment crucial. Ce qui remporte le plus de succès au niveau de l'attention, on y revient, c'est sans aucun doute ce qu'on appellerait en France la rubrique des chiens écrasés. Tour à tour, on entend des rires, des commentaires, des phrases de compassion ou de colère contre les malotrus ou "les sauvages qui ont fait ça", oeil pour oeil, dent pour dent... En tant que française, je reconnais ne jamais m'habituer aux images sanglantes que peut proposer la télévision bolivienne. On peut me rétorquer qu'en France aussi, on voit aussi de telles images, de guerre par exemple. C'est vrai, mais ce sont des événements internationaux et, même violents, ils doivent être filmés, c'est de l'information. Par contre, je sais que, et l'actualité est courante, malheureusement, lorsqu'on annonce qu'un enfant a été mordu par un chien dangereux, on ne va pas montrer en gros plan son bras déchiqueté, c'est du voyeurisme. En Bolivie, si. Je me demande bien d'où peut venir cette soif d'images. Ou bien est-ce la fréquence de ces reportages sensasionalistes qui a fait augmenter la demande des téléspectateurs. En tout cas, cela n'est pas vraiment valorisant pour la télévision sud américaine que de présenter ce genre d' "informations" qui s'éloignent à mon avis du journalisme et se rapprochent du repas des charognards.

1 commentaire:

metreya a dit…

N'est-ce pas là de l'imitation malsaine venue des Etats Unis ?