Un jour où la tempête se déchaînait dans le ciel et où le vent soufflait dans les interstices des toits comme dans des zampoñas* de bambou, le Tio sortit de la mine, disposé à faire germer sa semence dans le ventre de l'une des femmes les plus jeunes et belles du campement minier.
Il ne voulut pas l'enlever ni l'emmener à l'intérieur de la mine, de peur que sa beauté n'éveille les jalousies de la Chinasupay, qui, pour défendre son amour et son territoire, était capable de faire disparaître les veines de minerai et de causer des dégâts comme quand les palliris entraient habillées en mineurs. C'est pourquoi il préféra la garder éloignée de la mine, loin des yeux de la Chinasupay et des entrailles de la Pachamama.
Le Tio tourna comme un ouragan de poussière et se transforma en chat noir, aux longues oreilles et aux yeux de feu. C'est ainsi qu'il s'éloigna de l'entrée de la mine, erra dans les rues inondées du village et arriva près du campement, où vivait un mineur veuf qui s'occupait de sa fille comme du plus précieux trésor de sa vie.
Le Tio, à peine eut-il trouvé une grotte dans le lit de la rivière, reprit son apparence normale et attendit qu'apparaisse la fille du mineur entre les rafales du vent et les éclairs qui claquaient au loin, illuminant la file de maisons qui, vue depuis le fond de la rivière, ressemblait à un vaisseau fantôme naviguant en direction du ciel.
Dès que la pluie cessa, la fille du mineur, sans se douter que dehors l'attendait la fatalité de son destin, sortit par la porte qui donnait sur la cour et avança jusqu'à l'endroit où se trouvait le Tio, tapi sous un rocher qui avait la forme d'un toit.
Lorsque la fille du mineur atteignit le bord de la rivière, comme attiré par un magnétisme inconnu, elle souleva ses jupons et baissa sa culotte pour uriner, les fesses exposées au souffle du vent. Ce fut cet instant que choisit le Tio pour la coucher dans la boue et la posséder entre les rugissements du tonnerre et la turbulence de la rivière.
Le mineur, en la voyant passer la porte, nue et ensanglantée, comprit que le Tio avait s'était acharné sur sa fille, pour lui faire payer une vieille faveur qu'il n'avait pas su rétribuer à temps. Le pire était que, depuis cette nuit où le malheur était entré dans sa maison, sa fille n'était plus la même; elle perdit la parole et l'usage de sa raison, comme si le Tio l'avait vidée de l'intérieur.
Le mineur, en colère contre l'insolence du Tio, recourut aux sombres arts de la sorcière pour tenter de la faire revenir à elle et lui arracher du ventre le fœtus qui grandissait de jour en jour. Elle enfuma le corps de la jeune fille avec de la q'oa, lui donna des plantes médicinales et des breuvages pour avorter. Tout cela fut inutile, parce que depuis qu'avaient cessé ses menstruations et que lui venaient des nausées convulsives, elle ne faisait rien d'autre que dormir comme un animal irrationnel, tandis que son ventre se durcissait et que ses seins augmentaient de volume.
De sorte que le mineur, dans une vaine tentative de sauver l'honneur de sa famille et d'éviter les ragots des voisins, l'enferma entre les quatre murs de sa maison, où n'entraient ni la lumière du jour, ni l'agitation de la rue. Mais la curiosité des voisins était si grande que, chaque fois qu'ils croisaient son chemin, ils lui demandaient où était sa fille. Alors lui, décidé à dissiper les doutes de ceux qui supposaient le pire, inventa l'histoire selon laquelle sa fille était allée dans son village, où l'une de ses tantes avait besoin de ses services pour les tâches domestiques et les travaux des champs.
Plusieurs mois passèrent, jusqu'à ce que le mineur, conscient du fait qu'il ne pouvait séparer l'enfant du diable du corps de sa fille, prit la ferme décision d'en finir une bonne fois pour toutes avec cette malédiction. C'est ainsi qu'un matin, attrapé dans un tourbillon de nerfs, il prit le couteau à éventrer les cochons et entra dans la chambre de sa fille, qui gisait encore sur son lit, les mains sur son ventre rebondi et le visage rayé par les franges de la mantille. Le mineur la contempla un instant, ému par une angoisse qui le dévorait de l'intérieur. Mais en pensant qu'au sein de ce joli corps se mouvait le fils du Tio, il se jeta sur elle, la saisit par les tresses et lui enfonça le froid métal dans le cou; tandis qu'elle, sans même avoir le temps de réagir, lança un cri sourd, tourna les yeux et succomba sur le coup.
Le mineur, se mordant les poings face à l'évidence du crime, pleura son infortune et maudit le jour où elle avait rencontré le Tio. Il enveloppa sa fille dans les couvertures ensanglantées et la mit dans le cercueil qu'il avait lui même construit avec les caisses de dynamite. La nuit, couvert par l'obscurité et sans que les voisins ne le remarquent, il la porta jusqu'au cimetière, où elle fut enterrée dans une fosse qu'il avait ouverte à la force de sa pelle et de sa pioche.
Un an après ce macabre fait divers, dont les circonstances seraient funestes, le mineur veuf, abattu par les remords amers de sa conscience, s'attacha deux cartouches de dynamite sur la poitrine et se fit exploser avant que sa langue ne puisse révéler le secret qu'il gardait dans son cœur. Les voisins, en entendant la détonation qui secoua les fondations du campement, furent confrontés à une terrible réalité, car la victime était dans un coin, la poitrine ouverte et les intestins éparpillés sur les murs et au plafond.
Les voisins, bouleversés par la fin tragique du mineur, firent leur déposition à la police et préparèrent les funérailles selon l'usage des habitants de l'altiplano. Ils veillèrent ses restes pendant la nuit. Les hommes mâchèrent des feuilles de coca et burent des gorgées d'eau de vie, et les femmes, se faisant des signes de croix sur le front, prièrent pour son âme et pour que Dieu ait son âme.
Une fois accomplie la cérémonie religieuse, les gens se rendirent au cimetière en procession, pleurant et portant le cercueil sur leurs épaules. Mais au moment d'inhumer les restes dans la fosse remplie de pierres, on entendit la plainte d'un enfant dans la tombe voisine. Les femmes s'écartèrent d'un bond et les hommes, mettant à l'épreuve leur force physique, commencèrent à creuser avec des pelles et des pioches, jusqu'à toucher le bois d'un cercueil moisi par l'humidité de la terre. Lorsque l'un d'entre eux ouvrit le cercueil, la rumeur des femmes se transforma en cri de terreur, parce qu'il y avait là un enfant, au corps déformé et à la queue de reptile, blotti dans les bras de sa mère.
-C'est un miracle, mon Dieu!, s'exclama l'une d'elles, mettant les mains sur sa bouche. Cette femme est une sainte qui a donné naissance après sa mort.
-Non! Ce n'est pas un miracle, corrigea une autre, en se rendant compte que le cadavre correspondait à celui de la fille du mineur, qui avait été possédée par le Tio cette même nuit où le ciel avait été déchiré par les éclairs et l'averse.
-Si ce n'est pas un miracle, si cette femme n'est pas une sainte, alors l'enfant est le fils du Tio, dirent-ils tous, se regardant tandis que ces mots éclataient sur leurs lèvres.
Les hommes retirèrent leurs ponchos et leurs chapeaux. Ils se signèrent trois fois et, comme pressés par une force divine, ils refermèrent le cercueil et recouvrirent la fosse avec la même terre qu'ils venaient de creuser. Ils firent de même avec la tombe du mineur, dont le corps, réduit en charpie après l'explosion de dynamite, se décomposa avant même que les bougies ne finissent de se consumer.
Depuis ce jour, où l'enterrement s'était transformé en cauchemar, les voisins du mineur ne dormirent ni ne vécurent plus jamais tranquilles, parce qu'ils entendaient la plainte d'un enfant dans le souffle du vent et dans les cascades de la rivière; on disait que c'était le fils du Tio, qui, transformé en génie, leur apparaissait quelquefois sous l'aspect d'un chat noir, d'un chien blanc ou d'un coq rouge, mais la plupart du temps sous la forme d'un démon: large chapeau, cape de feu, bottes en peau et fouet à la main.
Glossaire:
ALTIPLANO: m. Hauts plateaux situés entre 3000 et 5000 mètres d'altitude.
CHINASUPAY: f. Diablesse. Déesse et épouse du Tio.
PACHAMAMA: f. Mère Terre. Divinité des Andes.
PALLIRI: f. Femme qui, à coups de marteau, triture et choisit les morceaux de roche minéralisée dans les monticules de résidus de la mine.
Q’OA: f. Encensoir. Herbe aromatique ou encens que l'on brûle lors du rituel du même nom. La fumée a le pouvoir de parvenir jusqu'aux êtres tutélaires de la cosmogonie andine.
ZAMPOÑA: f. Flûte andine en bambou.
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