lundi 16 août 2010

Préfecture blues

Versailles. Lundi matin, 8h30. Il pleut. Les vacanciers du mois d'aout on déserté la ville royale pour la côte d'azur ou ailleurs. Les trains, en cette journée maussade et à cette heure matinale, ne dégueulent pas encore leurs flots de touristes pressés. Au loin, depuis l'autre rive du grand boulevard, on voit déjà la longue file d'attente qui mène, comme un serpent de mer, jusqu'aux portes mi-closes de l'austère Préfecture. Service des passeports, cartes de séjour et autres formalités. La longue vipère est multicolore, parsemée de visages tristes sous la pluie, de regards inquiets, de dos courbés et de dents serrées. Le vigile, noir, filtre les entrées d'un ton autoritaire. Personne ne bronche, tout le monde attend son tour avec une résignation de défunt. Combien de fois sont-ils déjà venus? Combien de fois ont-ils rempli ces fichus formulaires en javanais? Combien d'heures d'attente crispée dans une vie? Combien de refus encaissés, combien d'espoirs frustrés et de tentatives désespérées. Fatalisme d'une cohorte de sans patrie, sans papiers, sans identité, sans dignité. Wagons nomades s'accrochant aux petites lettres sur les demandes d'asile, au regard de la dame à l'accueil, à un vague signe du destin, s'il en est. Ils rentrent au compte goutte, hagards, éperdus d'hébétude face à cette organisation incompréhensible que personne ne les aide à comprendre et dont ils ignorent les règles du jeu. Pour les autres, ceux qui s'abritent derrière les cages en plexiglas des guichets, c'est évident, pourtant. On vous a déjà dit, on vous l'a déjà expliqué, vous avez encore oublié de... Et vous, savez vous que je vous ai déjà dit, à moins que ce ne soit à un autre interlocteur anonyme, tous les mêmes, des clones sans humanité, que je vous ai déjà expliqué, l'attente, l'espoir, les problèmes, la famille, l'argent, les enfants, la guerre, la pauvreté, la précarité, l'avez vous aussi oublié? Le silence est un roi sanguinaire. Ils se regardent en chien de faïence, eux et la honte de demander, d'être là, d'être né et les autres, les "légitimes", les établis, les français. Ce ne sera pas encore la délivrance pour cette fois, mais y en aura-t-il seulement une un jour, qui sonnera le glas de cette vie d'errance et d'incertitudes. Dehors, sous la pluie, les regards sont baissés, la file d'attente égale à elle-même, les hommes l'ombre de ce qu'il étaient, figés, irréels. Et le monde alentour fait semblant de tourner.

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