samedi 8 mai 2010

Ajayu de coca

Quand on tient un bon rhume, on ferait n'importe quoi pour que ça s'arrête. Alors, j'avoue, j'essaie des trucs. Comme par exemple ce nouvel alcool bolivien:
Je vous rassure, je n'ai essayé que le seond cocktail à base de cet alcool de coca, le dernier étant réservé sans doute aux fins de soirée désespérées...
Le goût est assez étonnant, très différent du Singani habituel, surtout lorsqu'on mélange avec une boisson gazeuse, comme cela se fait en Bolivie. J'ai eu la sensation assez désagréable de boire de l'infusion de coca, mais avec des bulles... Spécial. Peu à peu on s'habitue, et le résultat n'est pas si mauvais, peut-être un peu lourd sur l'estomac. La question qui reste en suspens est la suivante: étant donné que cet alcool est fait à base de coca, auto-soigne-t-il la gueule de bois du lendemain?... Grande question.
Jusqu'à ce que je prenne la bouteille en photo, je n'avais pas remarqué, m'intéressant plus au contenu qu'au contenant, le nom de ce nouvel alcool nationaliste: Ajayu de coca. Le symbole est donc double. Non seulement la boisson met en valeur la contestée feuille de coca, emblème des indigènes boliviens et de la lutte pour la sauvegarde d'un monument de leur culture, mais elle fait en plus une référence directe aux pouvoirs magiques de la petite feuille verte.
En effet, le terme "ajayu" est une notion difficile à expliquer, mais connue et ressentie par la majorité des boliviens. Ce n'est pas vraiment l'"âme" au sens occidental et chrétien du terme. L'ajayu, c'est l'esprit, la force vive, la flamme qui anime chaque être et le met en mouvement. On dit par exemple de quelqu'un qui a eu une grande frayeur, que "se le salio el ajayu"; mot à mot "son ajayu est sorti de lui", de son corps. En fait, la personne concernée s'est vue vidée de ses énergies, à plat, à côté de ses pompes. Pour qu'elle retrouve son calme et ses esprits, on dit qu'il faut le temps que "se le entre su ajayu", que son ajayu "rentre en elle", qu'elle se resaisisse, se recentre, récupère toutes ses facultés. Un autre exemple. Quand une personne part en voyage loin de chez elle, de là où elle puise sa force vitale, sur sa terre ou au sein de sa famille, son "ajayu" reste parfois là où il se sent le mieux. Je pars, mais je laisse ici mon ajayu, ma force, mon énergie pour soutenir ma famille, mes tripes, mes racines ancrées dans ma terre.
Alors, appeler cette alcool "ajayu de coca", c'est lui donner une référence mi magique, mi rituelle; c'est le situer au coeur de la culture et des croyances boliviennes; c'est peut-être un peu exagéré, mais tellement vrai.
Voilà, comment avoir une discussion philosophique autour d'un verre d'alcool. Une fois n'est pas coutume, les conversations d'ivrognes sont parfois fort intéressantes.

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